Glyphosate : " Nous aurons probablement des contentieux "

Alors que l'autorisation du glyphosate a été renouvelée au niveau européen en 2017, pourquoi avoir retiré ces AMM ?
Caroline Semaille : « Si l'Europe a approuvé la substance active, il nous fallait à nous, agences nationales, réévaluer tous les produits contenant du glyphosate, avec les autres substances actives et les coformulants, et notamment sur le volet génotoxicité. Nous arrivons aujourd'hui à la fin d'une phase assez longue, de deux ans, pendant laquelle nous avons examiné les données des industriels, et toute la littérature scientifique, pour évaluer l'efficacité et les risques de ces produits. Les AMM que nous retirons correspondent à des dossiers incomplets, qui ne nous permettaient pas de statuer sur la génotoxicité. Nous avons cependant accordé un délai de grâce de six mois pour la vente, et d'un an pour l'utilisation. »
En quoi les produits dont vous avez retiré les AMM n'ont pas répondu aux critères d'évaluation ?
C. S. : « Des données manquantes pour certains, des études de génotoxicité absentes pour d'autres, ou des retards : il y a de nombreux cas de figure. L'Anses travaille sur dossier, et nous ne refaisons pas les tests. C'est pour cela que nous devons être rigoureux en étudiant les données qui nous sont transmises. Et en l'absence de ces données, nous jugeons l'analyse comme non-finalisée. Mais nous aurons probablement des contentieux. »
Faut-il conclure de ces retraits que l'Anses considère le glyphosate comme cancérogène ?
C. S. : « Si c'était le cas, la question serait différente, et notamment à l'échelle européenne. Certains industriels, qui ont produit des dossiers conformes à nos méthodologies, ont déposé des études qui écartent les problèmes de génotoxicité, et leurs AMM ont été renouvelées. Mais vu les débats en 2017, il était clair que la génotoxicité serait un point d'attention particulier pour nous. »
Les industriels pourront-ils déposer de nouvelles demandes d'autorisation ?
C. S. : « Dans le cadre de la réévaluation des produits, les fabricants ont déposé leurs dossiers en février 2018. Ils peuvent évidemment déposer une nouvelle demande d'AMM, mais entre les études, et la phase d'évaluation, nous arriverons rapidement sur la période de réévaluation de la substance au niveau européen, qui aura lieu en 2022. Si notre décision rend donc les restrictions sur le glyphosate plus concrètes, il reste tout de même des produits sur le marché. »
Les produits dont l'AMM n'a pas été retirée sont-ils à l'abri jusqu'à la prochaine évaluation européenne ?
C. S. : « Le processus d'évaluation est encore en cours pour certains des 33 produits restants. Mais, dans le cadre du plan de sortie du glyphosate, ceux qui passeront cette première phase devront faire l'objet d'une évaluation comparative. Nous regarderons, usage par usage, si des alternatives non chimiques existent, si elles sont d'usage courant, et si elles ont un impact économique ou pratique majeur. Cette phase, qui pourrait déboucher sur de nouvelles restrictions, devrait se terminer fin 2020. C'est une particularité française : normalement, l'évaluation comparative ne se fait que pour les substances actives candidates à la substitution, ce qui n'est pas le cas du glyphosate. »
Votre décision pourrait-elle avoir un effet dans les autres pays européens ?
C.S : « Chaque État membre prend sa décision au vu des rapports d'évaluations. Les autres États peuvent tout à fait décider de maintenir leurs autorisations. »
Propos recueillis par Ivan Logvenoff
L’Anses retire les AMM de 36 spécialités à base de glyphosate sur 69
À l’issue des évaluations menées suite à la réapprobation du glyphosate au niveau européen en 2017, l’Anses a retiré, le 9 décembre, les autorisations de mise sur le marché (AMM) de 36 produits à base de glyphosate sur les 69 autorisées actuellement en France. La vente de ces produits restera autorisée pendant six mois, et leur utilisation pendant un an, jusqu’à fin 2020. Pour certains des produits restants, l’agence attend encore les conclusions des agences d’autres pays européens. Les spécialités interdites représentent, selon l’agence, environ les trois quarts des utilisations actuelles de glyphosate en France.