Guerre en Ukraine : instabilité sur les marchés
La guerre russo-ukrainienne rebat les cartes des marchés mondiaux, en particulier ceux des céréales et des intrants. Si la France n’a pas à craindre, pour l’heure, pour ses approvisionnements, d’autres pays risquent de subir d’aussi rapides que sévères conséquences.

«La situation est incroyable, inimaginable », lâche Jean-François Loiseau, président de la Commission internationale de FranceAgriMer et président d’Intercéréales. Il appelle les responsables politiques à « réarmer la France et l’Europe agricole et agroalimentaire et à disposer des stocks sécuritaires comme l’ont notamment fait l’Algérie et l’Egypte après les émeutes de la faim en 2008 ». Il se désole « d’en arriver à une guerre pour qu’on se pose ce type de questions » et déplore « qu’aujourd’hui plus personne ne veut financer ces stocks stratégiques ».
Si d’une manière globale la France n’a pas à craindre pour ses approvisionnements en alimentation humaine et animale, d’autres pays européennes pourraient bien connaître des difficultés. Notamment l’Italie et l’Espagne qui sont importateurs de maïs et dépendent des exportations de Russie et d’Ukraine. D’autant que leurs stocks sont au plus bas. « De l’ordre de quelques semaines à un mois. C’est court, c’est demain », a-t-il confirmé. À titre de comparaison, l’Arabie Saoudite peut tenir environ 4 mois.
Seul bémol pour les producteurs français : les menaces existent bel et bien sur les productions de volailles et de porcs qui dépendent fortement des tourteaux de tournesol pour leur alimentation. En effet, si la France produit chaque année environ 700 000 tonnes, elle en importe environ un million de tonnes. L’Ukraine représente près de la moitié de ces importations. Ce que confirme en partie Max Zribi, chef de l’unité Grains et Sucre de FranceAgriMer. Il ajoute qu’« en tournesol, l’Ukraine représente 50 % des exportations mondiales d’huile de tournesol dont 77 % des volumes partent vers l’Inde, l’UE et la Chine ».
Manque d’engrais ?
Cette guerre hypothèque aussi sérieusement l’approvisionnement en intrants, ce que soit en engrais ammoniaqués, azotés et potassés, dont la production est directement liée au secteur des énergies, en forte hausse. « La Russie représente 40 % des exportations mondiales de nitrate d’ammonium, notamment vers le Brésil qui achète près des 60 % de ses volumes en Russie ». Le pays représente également 17 % du marché global des engrais phosphatés et 20 % du marché mondial de la potasse. Le risque est de tomber dans une « spirale à la hausse » pour le prix des engrais, avec de possibles conséquences sur « les semis de printemps si ces engrais venaient à manquer », a expliqué Max Zribi. D’autant que la mise au ban de la Russie des systèmes financiers internationaux (Swift) lui interdit toute transaction. Mais Moscou pourrait s’appuyer sur le marché parallèle des crypto-monnaies pour poursuivre ses échanges, notamment avec la Chine.
Revoir Farm to Fork
En tout état de cause, cette guerre rebat l’ensemble des cartes économiques et logistiques. Elle oblige de nombreux pays à reconsidérer leurs stratégies agricoles et alimentaires, d’autant que pour certains le spectre de la pénurie avance à pas feutrés (lire encadré). Plus aucun bateau ne part des ports d’Ukraine et de Russie. Les compagnies d’assurance maritime ont augmenté leurs tarifs et le prix du transport maritime ne cesse de croître. Dans un tel contexte inédit, « il est évident que Farm to Fork doit être abandonné en l’état et revu », plaide Jean-François Loiseau. « Même s’il faut que l’on conserve les grands objectifs de la transition écologique », il estime que l’Europe doit agir avec pragmatisme. « Il nous faut bâtir une ambition européenne de souveraineté. L’Europe doit redevenir une puissance agricole forte », a-t-il conclu.
Christophe Soulard
Pénuries alimentaires : le spectre de 2008
« La Tunisie, le Liban et les pays d’Afrique subsaharienne sont aujourd’hui les plus vulnérables », a relaté Max Zribi. Ces pays sont en effet très dépendants aux importations de céréales en provenance d’Ukraine.
Ainsi, entre 2010 et 2018, le Liban a importé entre 67 et 95 % de son blé en provenance de pays de la région de la mer Noire, principalement de Russie et d’Ukraine. « Le stock en fin de campagne est faible dans ces pays », a ajouté l’expert de FranceAgriMer. Cette situation fait rejaillir le spectre des émeutes de la faim de 2008 qui avaient ensuite débouché sur les printemps arabes de 2010-2011. D’autres pays pourraient également être concernés au Maghreb et au Moyen-Orient, « leur vulnérabilité étant accentuée par une forte sécheresse ».