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Logement des agriculteurs

Habiter sur sa ferme ? Pas si simple…

Longtemps, le logement des agriculteurs n’a pas été un souci majeur lors de l’installation. Mais avec le développement des installations
hors-cadre familial, des formes sociétaires et l’augmentation des prix du foncier bâti, c’est aujourd’hui une problématique réelle lors des transmissions d’exploitation.
Habiter sur sa ferme ? Pas si simple…

Au fil des ans, le profil des repreneurs a changé. En Rhône-Alpes, les « hors-cadre familiaux » représentent près de 40 % des installés et les formes sociétaires, qui impliquent l'existence de plusieurs logements sur l'exploitation, sont majoritaires en élevage laitier. « Parfois des projets de reprise achoppent pour un problème de logement », reconnaît Bernard Thuillier, chef du pôle installation-transmission à la chambre régionale, « c'est pourquoi nous insistons beaucoup sur la notion d'anticipation auprès des cédants ». Nombreux sont encore les futurs retraités qui souhaitent rester sur leur ferme après leur arrêt d'activité. Parce que la maison est aussi un bien patrimonial familial mais aussi pour des raisons affectives évidentes tout d'abord. « Il faut faire prendre conscience que la vie ne s'arrête pas si on doit déménager », argumente Bernard Thuillier. Mais le problème n'est pas simplement sentimental. Dans de nombreuses zones périurbaines, le relogement des agriculteurs retraités est un casse-tête financier avec l'explosion des prix et le faible montant des retraites agricoles.

Des cas problématiques

À Pollionay au sud de Lyon, Bernard Ravel, producteur de fruits et notamment de noisettes voudrait goûter prochainement à une retraite bien méritée. Mais il tient d'abord à transmettre son outil de travail. Pour en faciliter les démarches, il est passé sous statut juridique EARL. « Mon projet, c'était de réhabiliter l'un de mes anciens bâtiments agricoles, désaffecté, pour faire mon habitation et de laisser ainsi mon logement, même si j'y suis attaché, en location à mon repreneur. Mais cela m'a été refusé », déclare, amer, l'agriculteur. « Pourtant, je me suis bougé pour transmettre mon exploitation. J'ai vu une douzaine de candidats mais à chaque fois cela a échoué à cause de l'absence de logement. Je ne peux pas vendre ma maison et puis ce ne serait pas un cadeau au repreneur vu le prix de l'immobilier sur le territoire. Et je n'ai pas l'intention d'aller habiter en HLM ! » Robert Ravel pointe du doigt des règles d'urbanisme devenues trop pénalisantes, « parce que dans le passé, il y a eu des abus. » Et de tirer la sonnette d'alarme : « si la collectivité ne prend pas ce problème à bras-le-corps, cela va devenir compliqué d'installer en zone périurbaine », prévient-il.

Dans la Drôme, dépôt de permis de construire

Le problème de logement peut se poser aussi dans un cadre familial. À Allex dans la Drôme, les frères Palix sont installés en EARL avec leur mère (proche de la retraite) sur une exploitation en polyculture (poules pondeuses, semences, plantes aromatiques...). Les deux frères ont déposé un permis de construire en même temps. « Notre mère qui habite sur place peut gérer les urgences mais elle sera bientôt à la retraite », témoigne Sébastien. « Nous avons choisi des terrains à faible valeur agricole, pas trop éloignés des maisons pour éviter le mitage ». Pourtant, si son frère Dorian a obtenu une autorisation de construire, Sébastien se l'ait vu refuser. « J'ai demandé un recours gracieux, sans succès. Je suis allé au tribunal administratif, cela dure depuis un an et demi. » Du coup, sa vie quotidienne est compliquée. Sébastien habite avec son épouse à 15 km de l'exploitation. « On nous dit qu'il n'y a pas besoin de proximité immédiate. Je ne suis pas d'accord, nous avons besoin d'habiter sur place pour développer notre exploitation ». Lui aussi pointe le rôle des collectivités et notamment la mairie « A une époque, certains se déclaraient agriculteurs avec deux ou trois bêtes, juste pour construire. Les maires n'ont pas fait leur boulot à ce moment-là. Et aujourd'hui, on nous freine », regrette-t-il.

Dans les monts d'Or, la collectivité s'en mêle

Si la collectivité est donc souvent montrée du doigt, certaines ont décidé d'agir de manière très volontariste pour faciliter les installations et sauver l'agriculture de la pression foncière. C'est le cas du syndicat mixte des monts d'Or, qui regroupe neuf communes au nord de Lyon. Une zone fortement résidentielle, très huppée, et pour couronner le tout, au relief difficile. Autant de handicaps qui menacent l'agriculture de disparition.
La collectivité, sous l'impulsion de son président, Max Vincent, maire de Limonest, a décidé de se porter acquéreur de plusieurs bâtiments agricoles (caveau, chèvrerie, bâtiment de stockage, meunerie, etc.....) mais aussi d'un logement d'habitation à Curis-au-Mont-d'Or. Elle a d'abord accueilli des maraîchers en Gaec. Suite à leur départ, c'est un jeune éleveur de vaches allaitantes, dont l'exploitation sociétaire est située à un kilomètre, qui y a pris place. La location se passe dans le cadre d'un bail rural, à des conditions tarifaires acceptables. Ce n'est donc pas un « placement » immobilier de la part de la collectivité mais bien une démarche dans le sens de l'intérêt général : le maintien d'une agriculture de proximité. Cette ambition ne devrait pas s'arrêter là, le syndicat mixte projette d'autres achats de logements pour mise à disposition des agriculteurs. Avec une limite : les moyens financiers de la collectivité qui ne sont pas extensibles. Les élus locaux aimeraient maintenant que la Métropole reprenne cette politique volontariste à son compte. 

David Bessenay

 

 

Élevage / Jeune éleveur laitier en Gaec en Haute-Savoie, Maxime Merméty habite à 3 km du site de l’exploitation. Cet éloignement lui impose des inconvénients mais présente aussi des avantages sur le plan de la vie personnelle et familiale.

Des contraintes et des avantages de loger loin de la ferme

 

Pour un éleveur, habiter à distance du troupeau peut paraître contraignant. La surveillance des vêlages nocturnes, la mise en route de la traite matinale en hiver alors que les routes ne sont pas encore déneigées, la présence permanente lors des nombreuses visites des technico-commerciaux, livreurs et conseillers ou encore la prévention face aux intrusions, vols et incendie font partie des réels inconvénients. Ils nécessitent de fréquents allers-retours quotidiens du logement au bâtiment agricole et la prise de dispositions particulières.
Au Gaec La Ferme des Clappins à Vaulx (Haute-Savoie), quatre associés élèvent 110 vaches laitières montbéliardes pour une production annuelle de 900 000 litres de lait, livrée à la coopérative de Sales pour transformation en tomme et emmental de Savoie IGP par la fromagerie Chabert. Le Gaec n’est propriétaire que de la parcelle où se trouve le bâtiment, sans possibilité de logement attenant. En dehors de Sylvain Desgeorges qui réside à proximité immédiate, les autres associés (Maxime Merméty, Cédric Barra et Pascal Contat) habitent à quelques kilomètres de l’exploitation. Avec des roulements d’astreinte, ils se sont organisés pour gérer leurs impératifs d’agriculteurs de façon équilibrée tout en préservant leur vie familiale.
Décrocher de la surveillance du troupeau
Installé en 2008, Maxime a eu en 2011 la possibilité d’acquérir une petite maison à rénover à Saint-Eusèbe, à 3 km de la ferme. Il y vit aujourd’hui avec sa compagne Laure, infirmière de nuit, et sa petite fille Mathilde de 16 mois. Passionné d’élevage et de montbéliardes, il trouve maintenant des atouts d’être à l’extérieur de l’exploitation. « Je peux plus facilement accepter de décrocher du troupeau, lâcher un peu la surveillance des animaux pour me consacrer à ma vie personnelle et à ma fille. C’est important d’avoir un autre environnement visuel pour se couper réellement du travail. Sans quoi, il y a toujours quelque chose à faire à la ferme », témoigne le jeune père de famille. Il estime aussi que cette distance entre le lieu de travail et le logement lui permet d’avantage « d’être à fond dans le boulot, sans avoir par exemple à surveiller un enfant en même temps, car une exploitation, le matériel, les vaches, ça reste dangereux ».
Dans un département pratiquement périurbain, avec une très forte pression foncière et des prix de l’immobilier difficilement accessibles, le logement des agriculteurs est une vraie problématique. « Surtout pour les jeunes qui ont beaucoup investi lors de l’installation : nos revenus ne nous permettent pas de construire et nous devons souvent saisir des opportunités. Beaucoup sont obligés de rester en location. Moi j’ai eu de la chance car j’ai longtemps cru ne jamais pouvoir devenir propriétaire avec mon budget serré », avoue-t-il. Comme souvent dans le milieu agricole, le relationnel et le bouche-à-oreille peuvent permettre d’accomplir ses projets. 
B. C.