Herbe : des pluies bénéfiques, après une sécheresse précoce

Fin avril, « dans des prairies pâturées en coteaux exposés plein sud, j'ai eu l'impression d'être en juillet : on voyait plus de terre que d'herbe », témoigne Jean-Pierre Manteaux, conseiller élevage à la chambre d'agriculture de la Drôme. Cette année, en mars, la végétation a été freinée par le froid et sept semaines se sont passées sans pluies, avant celles de fin avril. Des prairies naturelles en sols superficiels, sableux ou exposées au sud ont souffert du sec. La pousse de l'herbe a même été nulle certaines semaines dans des parcelles très sensibles.
Pour la rédaction du bulletin PâtuRA, Jean-Pierre Manteaux s'appuie sur des mesures d'hauteurs d'herbe* et des données de 23 stations Météo-France de Drôme et Isère. Dans ces stations, par rapport à 2019, le cumul de températures (moyennes) du 1er février au 26 avril « a augmenté de 60 à 80°C selon les territoires, soit de 0,7 à 1°C par jour », constate-t-il. L'ETP (évapotranspiration potentielle), elle, est stable sur les territoires drômois des suivis PâtuRA « plaine vallée du Rhône » et « piémont » et augmente en « montagne 26 » (tableau). Par contre, les pluies ont été très faibles jusqu'à fin avril.
Un fort déficit hydrique
Le déficit hydrique (bilan pluies moins ETP) cumulé fin avril est de 177 mm sur le territoire « plaine vallée du Rhône », 104 en zone « piémont » et 56 en zone « montagne 26 ». Autrement dit, sur ces secteurs, les pluies sont inférieures aux besoins des plantes. « Le cumul semaine après semaine du déficit hydrique rend bien compte de l'intensité de la sécheresse, explique Jean-Pierre Manteaux. Quand il dépasse 100 mm, les prairies sur sol superficiel à faible réserve utile (40 mm) souffrent du sec. Cette année, en cumulant des ETP élevées et des pluies très faibles, le déficit hydrique est faramineux ». Il fait aussi remarquer que les cartes-bilans « hiver » de Méteo-France englobent souvent octobre-novembre-décembre et le début de l'année suivante. Sont ainsi cumulés des mois très arrosés (automne) avec d'autres traditionnellement peu pluvieux en Drôme (janvier, février). « Les bilans hydriques sur ces six mois ne sont pas alarmants. Pourtant en 2020, encore plus qu'en 2019, nombre d'éleveurs ont souffert de la sécheresse ».
Le climat méditerranéen remonte
« Le déficit hydrique s'accentue fortement, note le conseiller. Cette année, dans la zone de piémont, il correspond à celui de 2019 en zone de plaine et celui des terres froides à celui du piémont l'année dernière. La frontière climatique se déplace. Cela correspond bien aux travaux du projet de recherche Climfourel. » Dans cette étude (2004-2011), destinée à identifier les impacts du changement climatique sur la ressource fourragère, François Lelièvre (Inra) prévoyait une remontée du climat méditerranée pas seulement en été : avec des hivers plus doux, une pousse de l'herbe plus longtemps à l'automne et plus tôt au printemps. « C'est ce qui se passe », observe Jean-Pierre Manteaux, précisant que, cette année, l'exploitation du lycée agricole du Valentin à Bourg-lès-Valence et des éleveurs ont sorti leurs vaches dès la mi-février. Et, sur le secteur le plus séchant (vallée du Rhône), le déficit hydrique a commencé le 1er janvier contre le 10 mars en 2019.
Le pâturage tournant amortit les sécheresses
« Le pâturage avec plusieurs petites parcelles, comme au Valentin, est un bon moyen pour amortir des sécheresses, assure Jean-Pierre Manteaux. Les vaches restent un jour et y reviennent plus d'un mois après. Elles n'épuisent pas les plantes en broutant les nouvelles feuilles. Avec des temps de repousse allongés, les sécheresses peuvent être mieux "encaissées". Et, avec un tel système, de la luzerne - plante résistant bien au sec - peut être introduite dans le mélange. Par contre, si les animaux restent une semaine dans la pâture, la luzerne trop piétinée disparaîtra. Le Valentin a réussi la combinaison gagnante prairie multi-espèces et système de pâturage résistants au sec. Leur système, bien adapté en production laitière et en ovins viande, est plus compliqué en bovins viande car les vaches allaitantes sont gérées par lots et restent souvent une semaine sur une même parcelle. »
L'intérêt de diversifier l'assolement
Faute d'eau, les températures élevées de ce printemps n'ont pas fait pousser l'herbe mais ont favorisé les floraisons précoces (quinze jours à trois semaines d'avance). De ce fait, des agriculteurs ont commencé les foins en semaine 17. « Les pluies de ces derniers jours sont salvatrices pour beaucoup de cultures, estime Jean-Pierre Manteaux. Elles sécurisent la deuxième coupe des ray-grass, luzernes et prairies temporaires fauchés en avril. Sur le Vercors, les prairies naturelles fanées devraient se diversifier. Pour les prairies naturelles en zones de plaine et piémont, il faut encore de l'eau. La pluie a été bénéfique aux méteils ; ils peuvent faire un rendement correct. Mais je suis inquiet pour le Diois et les Baronnies, qui ont reçu peu d'eau depuis dix jours. » Et d'ajouter : « Avec le changement climatique, on a intérêt à diversifier son assolement ».
Annie Laurie
* Mesures réalisées avec un herbomètre chaque semaine par Adice sur une 15aine de parcelles de Jean-Luc Berthoin à La Chapelle-en-Vercors et par l'exploitation du lycée agricole du Valentin à Bourg-lès-Valence sur ses 34 parcelles.