Horticulture et confinement : des pertes considérables

A Manthes, Chloé Morgue a repris l'exploitation de son père, Patrick, en 2018 et l'a nommée « Les Serres de Chloé ». Cette EARL cultive 1,6 hectare de plantes à massifs et en pots, emploie six permanents et dix à quinze saisonniers. L'essentiel des plantes est écoulé par l'intermédiaire d'un groupement de producteurs, Vivaplante (dans le Rhône) qui commercialise auprès de jardineries. Seuls 5 % de la production des Serres de Chloé sont vendus en direct sur place, à des communes, des fleuristes des alentours. Le chiffre d'affaires de l'EARL s'élevait à 1,2 million d'euros en 2019, dont 800 000 sur le premier semestre.
Trois semaines d'arrêt des ventes
Sur cette exploitation, le confinement s'est traduit par l'arrêt total des ventes pendant trois semaines. « Les commandes avaient déjà commencé à ralentir le jeudi précédent, explique Chloé Morgue. Cela a désorganisé la production. Des plantes ont souffert mais pas énormément. J'en ai jeté un peu, préférant repartir avec de nouvelles productions. Pour allonger le temps de culture des plantes, ralentir leur croissance, on a ouvert les serres, modifié les réglages d'aération et de chauffage. » Cette jeune horticultrice a testé le drive pendant une semaine. « Mais c'est chronophage et très peu rentable. Ce n'est pas mon activité habituelle, je travaille avec du gros. »
Le manque à gagner sur les trois semaines d'arrêt total des ventes s'élève à 120 000 euros pour les Serres de Chloé. « Je ne sais pas si je les rattraperai, observe l'horticultrice. Pas pour le moment en tout cas : actuellement, je fais des semaines normales. Et j'espère que les ventes vont redémarrer car, l'autorisation de rouvrir ayant été donnée, je ne crois pas à une aide de l'État. Certaines entreprises, suivant leur période de production et leurs ventes, ne s'en remettront pas. On nous propose des prêts mais, après, il faut les rembourser dans l'année 2020 à des taux faibles ; on ne connaît pas encore les taux de 2021, on nous propose de l'endettement et non une aide... »
Le tableau rempli s'efface d'un coup
La SARL Guichard Végétaux a cinq hectares de serres sur trois sites (deux à Chavannes et un à Peyrins) ainsi qu'un demi hectare de cultures horticoles en extérieur. L'exploitation horticole produit des plantes à massifs, potées fleuries, plants potagers, aromatiques et petits fruits uniquement pour les jardineries. Elle emploie une vingtaine de permanents et actuellement autant de saisonniers.
La nouvelle du confinement est tombée le week-end du 14-15 mars, alors que des opérations commerciales étaient en cours pour cette entreprise. « Du jour au lendemain, le tableau noir qui était rempli s'efface et plus rien ne se passe, se désole la gérante, Stéphanie Guillaume. Nous avions beaucoup de marchandise commandée, réservée depuis six mois et prévue en livraison. En semaine douze, nous avons dû détruire des plants finis, prêts à la vente mais aussi des jeunes plants car on ne voyait aucun avenir favorable dans le futur proche. 150 000 plants ont été jetés cette semaine-là et beaucoup d'autres encore la semaine suivante. Les saisonniers déjà présents ont été congédiés. » Mais les permanents ont continué le travail d'entretien et de certaines mises en culture ; seules deux personnes en administration des ventes ont été mises au chômage partiel pour une dizaine de jours. Et deux autres sont passées en télétravail (responsable comptable et commercial). Trois semaines sans chiffre d'affaires en pleine saison, « c'est une perte conséquente : un peu plus de 10 % de l'activité annuelle ». Une difficulté de plus pour la SARL Guichard Végétaux, qui a vécu une année 2019 « abominable » avec un mois d'avril « exécrable » (pluies), puis la grêle... Comme de nombreux horticulteurs, Stéphanie Guillaume a alerté les élus politiques et responsables agricoles de la Drôme sur la gravité de la situation de l'horticulture.
Une « déferlante » de commandes
Dans la Drôme, le 31 mars, le préfet a donné son accord pour la commercialisation des plants potagers des producteurs locaux (de légumes, petits fruits, condiments et aromates). Et ce, sous conditions de respect des mesures de sécurité sanitaire. « Cela devenait urgent que le plant potager, nourricier soit reconnu comme un produit de première nécessité, note Stéphanie Guillaume. Dès que l'on a senti le vent tourner, en semaine 14, on a relancé 100 % des semis. Et ça a commencé à réellement bouger au 6 avril. Lorsque les jardineries ont rouvert, nous avons eu une « déferlante » de commandes. On n'avait jamais vu cela. L'activité est repartie de façon conséquente, après trois semaines de commerces fermés. L'activité nourricière en premier, les fleurs étant en "second plan", bien qu'étant confinée, une partie de la population s'est mise à jardiner comme elle ne l'avait jamais fait. Cette année, la configuration est exceptionnelle pour le jardin. Je ne peux qu'espérer que la saison se termine mieux qu'elle n'avait commencée, afin d'essayer de combler le trou financier généré par les plantes détruites ».
Pour la sécurité sanitaire de ses salariés, l'entreprise a mis en place des mesures barrières : distanciation sociale, fourniture de masques et gel hydroalcoolique. Des gants, le personnel en disposait déjà avant la pandémie du Covid-19. Moins de personnes travaillent sur certaines machines. Pour la répartition des travaux, les réunions se font à l'extérieur... Le problème, maintenant, c'est de trouver du personnel. « Du jour au lendemain, nos clients nous ont demandé des quantités inhabituelles, ajoute Stéphanie Guillaume. C'est difficilement gérable mais on ne va pas se plaindre, parce qu'on a du travail. On ne peut que s'en réjouir, même si tout reste très compliqué. »
Annie Laurie
Pépiniéristes / Le confinement n'a pas trop pénalisé les Pépinières Roux, à Montvendre, selon Rémi Bret, co-gérant. Les ventes aux professionnels se sont maintenues. Et, pour les ventes directes, l'entreprise s'est organisée.
Pépinières Roux : « On n'a pas trop à se plaindre »

« Au printemps, nous pratiquons davantage de ventes directes qu'en gros, indique Rémi Bret, arrière-petit-fils du fondateur et co-gérant de l'entreprise avec son père, Bernard. Le confinement ne nous a pas trop pénalisés. Nos ventes aux professionnels se sont bien maintenues et, pour les ventes au détail, nous nous sommes organisés. » Un drive et des livraisons
Les Pépinières Roux ont ouvert un drive les matins (commandes par téléphone ou mail, mise en place de mesures sanitaires) et proposent des livraisons les après-midi (à partir de 100 euros dans un rayon de 30 kilomètres, avec 15 euros de frais de port). « Les deux fonctionnent bien, assure Rémi Bret. Honnêtement, on n'a pas trop à se plaindre. On travaille. Des clients nous ont dit que, s'ils n'avaient pas été confinés, ils n'auraient pas refait une haie entière ou entrepris un chantier dans leur jardin. Au final, avec cette organisation, on a fait le même chiffre d'affaires avec deux fois moins de personnel à la vente et de temps d'ouverture. Habituellement, nous avons deux vendeurs presque à temps complet. Du coup, ils sont allés à la production et moi à la vente. Ainsi, une seule personne est au contact de la clientèle. Et c'est plus de temps disponible pour travailler à la production. De ce fait, nous n'avons pas embauché le personnel prévu en avril, il ne viendra qu'en mai. Cela nous fait une petite économie. Nous n'avons pas mis de salariés au chômage et payons nos charges sociales. » Les Pépinières Roux ont su et pu s'adapter. Néanmoins, Rémi Bret s'interroge pour la suite : « Si l'on ouvre notre point de vente, comment assurer la sécurité du personnel et des clients ? C'est compliqué. Il faut faire attention, notamment pour les paiements ».Annie Laurie