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Horticulture

Imaginer les cultures horticoles de demain

A l’occasion de ses trente ans, la station expérimentale horticole (Ratho), a fait le point sur différentes expérimentations menées dernièrement telles la création de serre bioclimatique, l’aménagement de serres pour la culture de spiruline ou encore la culture verticale dans un substrat artificiel.

Imaginer les cultures horticoles de demain

«Au Ratho, nous développons des techniques très innovantes comme les serres bioclimatiques qui permettent d'économiser sur l'énergie de chauffage ou d'allonger la durée de culture, explique le président de la station expérimentale horticole, Éric Vuillermet, horticulteur à Bassens en Savoie. Mais nous essayons également de nous projeter dans le futur. Face à la baisse de la consommation du végétal par les collectivités et les consommateurs qui est très marquée, nous essayons d'imaginer d'autres productions complémentaires qui nous permettraient de nous diversifier en utilisant nos installations. » C'est par exemple le cas de la culture de la spiruline sous serre que le Ratho expérimente depuis peu, de l'aquaponie pour combiner productions végétales et élevage de poisson, ou encore de la culture verticale de légumes feuilles ou de plantes ornementales avec Zipgrow.

 Régis Genève est producteur de spiruline depuis 2012 en Isère, au sud de Vienne. En 2014, son épouse s’est installée avec lui  et l’exploitation embauche un saisonnier six mois par an.

Diversifier les cultures

La spiruline est une cyanobactérie utilisée comme complément alimentaire qui se développe naturellement dans les lacs saturés de matières organiques et de soudes sous les tropiques. Cette microalgue, de couleur bleu vert, se développe dans l'eau entre 30 et 37 °C. Aussi, pour la cultiver en France, il convient de s'installer sous serre et plutôt dans la partie Sud du pays, même si l'on trouve des producteurs de spiruline en Bretagne ou en Lorraine, leur temps de production est plus réduit qu'au sud de Lyon. Pour expérimenter la production de spiruline, le Ratho a installé quatre bassins d'un mètre carré, sous une serre double vitrage dotée d'écrans thermiques. « Nous pensons que cette production peut être un moyen de se diversifier ou de transformer son activité pour un producteur horticole, explique Bernard Darfeuille, responsable technique et opérationnel du Ratho. C'est pourquoi, nous avons choisi d'expérimenter cette production en travaillant sur la nourriture azotée apportée à l'algue. Les producteurs travaillent aujourd'hui avec de l'urée minérale et souhaitent trouver des alternatives. » Les premiers liens entre l'horticulture et la production de spiruline sont nés dans le Var où, entre 2008 et 2010, une vingtaine d'horticulteurs s'est mise à produire la microalgue. Et le seul centre de formation sur la spiruline se situe à Hyères, dans le Var.

Produire, transformer et vendre

Invité par le Ratho pour parler de son expérience, Régis Genève produit de la spiruline depuis 2012, année de son installation à Moissieu-sur-Dolon entre Vienne et Romans-sur-Isère. Il exploite 1 000 m² de serre pour 750 m² de bassin, soit 70 m³ d'eau. « C'est une production économiquement viable et techniquement intéressante, explique l'algoculteur dont l'épouse s'est installée sur l'exploitation en 2014 et qui emploie un salarié saisonnier de mai à octobre. L'équilibre économique de cette production repose sur trois métiers : produire, transformer et vendre. » La spiruline a besoin de chaleur et de lumière, mais dès que l'eau dépasse 40 à 41 °C, elle meurt. À l'inverse quand il fait froid, la bactérie entre en dormance. À la belle saison, entre juin et septembre, le rythme des récoltes par filtration est assez soutenu, jusqu'à 4 à 5 récoltes par semaine lorsque les conditions de températures sont optimales. L'opération est réalisée avec une toile de 50 microns pour retenir les spirales de la microalgue. « Il faut être présent pendant cette période car si l'on ne récolte pas, la spiruline meurt et encrasse la toile de filtration. » Il faut ensuite transformer la spiruline en paillette sèche. L'opération est réalisée en deux temps, d'abord par pressage de la pâte de spiruline qui permet d'éliminer près de la moitié de l'eau. Puis, une fois que l'ensemble a la consistance de la pâte à modeler, celle-ci est extrudée en spaghettis disposés sur des claies afin de sécher à basse température pour conserver les qualités nutritionnelles. « La majorité de la spiruline cultivée dans le monde provient des USA et de la Chine et est produite industriellement et séchée à haute température, indique Régis Genève. Au final, on ne parle pas du même produit. » Une fois les spaghettis de spiruline secs, ils sont broyés en fragments, forme sous laquelle est commercialisée la spiruline artisanale.

La clientèle de spiruline est très large

Pendant la saison froide, la production s'arrête. « Nous sommes alors occupés par l'entretien et la commercialisation, raconte Régis Genève. Nous vendons 100 % de notre production en direct au siège de l'exploitation, par correspondance, dans des points de vente collectifs ou des magasins ou encore lors de salons. Nous sommes amenés à conseiller énormément nos clients qui ont des profils très différents, des sportifs aux personnes âgées, en passant par des personnes en convalescence, anémiées ou carencées, des végétariens ou encore des femmes enceintes... » Les consommateurs suivent des cures d'un mois au rythme de 5 à 10 g par jour, soit une à deux cuillères à café. La spiruline contient toutes les vitamines, sauf la C. 10 g du produit apportent autant que 12 carottes en bêtacarotène, couvre 80 % des apports journaliers en fer recommandés pour un adulte avec une biodisponibilité pour l'organisme deux à trois fois supérieure à la viande, 20 % en magnésium, 10 % en calcium. Elle apporte également entre 5,5 et 7 g de protéine avec tous les acides aminés. « La spiruline ne remplace pas la viande ou le poisson, elle permet de compléter l'alimentation », souligne Régis Genève. Son prix de vente est d'en moyenne 150 euros par kilo de matière sèche. La commercialisation se fait par sachet de 100 ou 500 g. 

Camille Peyrache

 

Zoom / Cultiver en hydroponie à la verticale

Le Ratho accueille une expérimentation sur les solutions de fertilisation pour un dispositif de culture hydroponique à la verticale nommée Zipgrow. Cette technologie américaine a été développée en 2010. Elle offre plusieurs bénéfices dont l’augmentation de la densité, un travail à hauteur d’homme, une facilité de manutention avec des éléments modulables et détachables facilement. Cela permet de les utiliser facilement sur un mur, un balcon en intérieur. Les végétaux sont cultivés dans un substrat breveté, une mousse de filtration. « C’est le cœur du système, explique Éric Dargent, fondateur de la société Refarmers qui commercialise le système en France. Cette mousse contient 93 % de vide ce qui permet un taux d’oxygénation très important des racines. Elle filtre les éléments nutritifs et permet aux bactéries du cycle des nitrates de s’y fixer pour jouer leur rôle. » Cette mousse a d’abord été développée pour l’aquaponie où l’eau chargée des déjections de poissons nourrit les plantes. « Si l’on introduit des vers de terre dans la mousse, ceux-ci peuvent la coloniser si la fertilisation est d’origine organique, souligne Éric Dargent. L’expérimentation menée au Ratho compare plusieurs modalités de fertilisation organique avec un témoin en fertilisation minérale. Les premières observations montrent que les salades fertilisées par un petit bassin de poissons nourries avec un aliment pour carpes koï très complet, sont les plus développées. Ce système permet d’imaginer de nouvelles formes de cultures comme des plantes fraîches à couper en magasin ou chez soi, sur son balcon. Une colonne est vendue 53 € HT pièce par lot de dix. Il faut compter 824 euros HT pour un système complet de huit colonnes.  C. P.

 

Innovation / Le Ratho teste un système de serre bioclimatique dynamique qui permet de stocker l’air chaud par convection dans des bidons situés sous les tablettes de culture.

Les serres bioclimatiques permettent d’élargir sa palette de production

Dans ce prototype de serre bioclimatique dynamique, un dispositif de gaines et de ventilateurs permet de forcer l’air chaud stocké en haut de la serre à circuler entre les bidons stockeurs sous les tablettes de culture.

La Ratho teste depuis peu une nouvelle déclinaison de serre bioclimatique « dynamique ». Contrairement à la première serre bioclimatique installée au Ratho qui vise à emmagasiner les calories dans une rangée de bidons noirs remplis d’eau, la serre bioclimatique dynamique cherche à stocker également l’énergie contenue dans les niveaux supérieurs de la serre par convection forcée. Installées dans une serre à double paroi, équipées d’écrans thermiques, les tablettes de cultures en hydroponie sont installées sur des bidons remplis d’eau à environ un mètre du sol. L’air chaud de la serre est aspiré par une gaine et soufflé au milieu des bidons, sous les tablettes. Une partie des calories sont stockées dans les bidons et une circulation d’air chaud ou boucle convective se crée partant de dessous les tablettes pour s’élever en léchant les plants sur celles-ci. « Nous découvrons petit à petit l’aérodynamique à l’intérieur d’une serre avec l’objectif d’atteindre un coefficient de performance de 20, détaille Bernard Darfeuille, responsable technique et opérationnel du Ratho. Aujourd’hui, pour une calorie électrique dépensée pour la convection forcée, nous en stockons dix dans les bidons. Il nous faut encore travailler pour améliorer la circulation de l’air autour des bidons et trouver les bons débits d’air. Mais, clairement, ces systèmes permettent d’économiser de l’énergie et de réguler la température. » Pour une serre avec une consigne de température élevée, ce système n’a pas d’intérêt mais pour une consigne à 14 °C, il est pertinent. Quand la serre refroidie, l’air se réchauffe au contact des bidons, l’énergie est alors déstockée. « L’objectif est d’aller vers le développement de modules simples à mettre en œuvre via l’autoconstruction », conclut Bernard Darfeuille. C. P.