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Prix du lait

“ Impossible pour les producteurs de négocier le prix du lait ! ”

Les producteurs laitiers dénoncent des prix du lait bien en dessous de leurs coûts de production, alors que les éléments de conjoncture devraient tirer les prix à la hausse plus rapidement. Éléments de réponse avec Stéphane Joandel, coprésident de la FRPL Auvergne-Rhône-Alpes.
“ Impossible pour  les producteurs de négocier le prix du lait ! ”

Apasec : Comment se fait-il que le prix du lait ne remonte pas alors que les indicateurs de conjoncture sont à la hausse ?
Stéphane Joandel : « Le beurre connaît un vrai succès, notamment en Chine, aux États-Unis et dans les pays émergents sauf qu'on n'a absolument pas anticipé leurs demandes. Les grosses entreprises attendent que le « moins- disant » se positionne pour s'aligner. Résultat : les grands groupes laitiers et fromagers décident de leurs prix sans tenir compte de nos coûts de production. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Ce rapport de force est intenable. De plus, les pratiques de certains industriels sont très opaques. Lactalis préfère payer des indemnités plutôt que de publier ses comptes. Savencia (ex Bongrain), de son côté, a réalisé une hausse de 83 % de bénéfice net par rapport à 2016, alors que nous vendons notre lait à perte. Les producteurs ont besoin de perspectives pour retrouver le goût à ce métier. La conjoncture le permet, les prix à la production doivent suivre . »

Stéphane Joandel, le nouveau coprésident de la fédération régionale des producteurs de lait Auvergne-Rhône-Alpes (FRPL).

La loi Sapin 2 est censée redonner du pouvoir aux organisations de producteurs (OP) afin de fixer des accords-cadres avec un prix plancher avant la signature de tout contrat. Qu'en est-il dans les faits ?
S.J. : « Dans les faits, c'est très difficile. Les OP manquent de pouvoir pour mettre en place de vrais changements, notamment dans le calcul du prix du lait. La loi Sapin 2 est censée favoriser une revalorisation du prix du lait en intégrant les coûts de production et le mix produit de l'acheteur dans les formules de calcul du prix mais rien n'a changé pour le moment. Le problème, c'est qu'on devrait pouvoir parler de ça en interprofession mais c'est impossible : on n'en a ni le droit, ni l'envie. Il y a un véritable dialogue interprofessionnel à remettre en place. Les OP doivent pouvoir s'imposer davantage pour rééquilibrer le rapport de force. »

 

Quel est l'impact des stocks de poudre de lait, hérités de la crise européenne de 2015-2016 après la levée des quotas laitiers, sur le marché européen aujourd'hui ?
S.J. : « Il y a encore près de 400 000 tonnes de poudre de lait stockées en Europe, soit un quart de la production annuelle de lait dans l'UE. C'est énorme. Conséquence : ce stock trop lourd ne trouve pas d'acheteurs, les offres reçues étant trop basses et refusées, jusque-là, par la Commission européenne qui gère ce stock. Le risque c'est que, dès lors que les cours de la poudre de lait remonteront, l'institution européenne remette sur le marché cette poudre pour empêcher que les cours ne remontent trop vite. Ce qui empêcherait encore les producteurs laitiers d'être payés au juste prix. »

 

Comment le prix du lait évolue-t-il dans les pays voisins, en Allemagne par exemple ?
S. J. : « Le prix du lait en Allemagne s'élève à 351 €/1 000 l. Ce pays a connu des prix beaucoup plus bas que la France ces dernières années, mais la nature de la plupart de leurs coopératives, leur a permis de vendre leur lait à un prix raisonnable. Ils n'ont pas la même culture que nous et il y a beaucoup plus de dialogue chez eux. Les OP ont un vrai pouvoir de négociation là-bas. Les contrats sont collectifs et négociés en groupe, alors qu'en France la plupart des industriels proposent des contrats individuels. Dans notre pays, il faut toujours un rapport de force. Nous sommes obligés de nous en prendre aux entreprises, de mener des actions et de monter au créneau pour se faire entendre. Cela ne peut plus durer. »

 

Quelles solutions envisagez-vous ?
S.J. : « Dans ma nouvelle mission, je souhaite rapprocher la coopération du syndicalisme. Si la coopération tire le prix vers le haut, Lactalis et les grands groupes devront s'aligner. Je souhaite aussi me rapprocher des consommateurs car nous savons qu'ils sont prêts à nous soutenir. Les 30 % de lait qui vont sur le marché mondial, on ne le maîtrisera jamais, mais sur le marché français on peut encore faire quelque chose. Le plus important, c'est que nos coûts de production soient pris en compte au moins dans notre pays. »
Propos recueillis Alison Pelotier