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Protection des cultures

Interdiction du diméthoate : « c’est la frustration »

Membre du bureau de la FNPF (Fédération nationale des producteurs de fruits), Vincent Pestre, arboriculteur à Chevinay dans le Rhône, suit de près le dossier « diméthoate ». À l’instar de toute la profession, il s’estime trahi par le ministre de l’Agriculture.
Interdiction du diméthoate : « c’est la frustration »

Quel sentiment a prévalu à l'annonce de l'interdiction de l'utilisation du diméthoate par le ministre Stéphane Le Foll ?
Vincent Pestre : « C'est une énorme frustration. Le diméthoate était sur la sellette depuis plusieurs années et on travaillait fort pour trouver une solution technique. Le ministre nous a trahis en annonçant, très tardivement, sa décision. On cherchait une solution technique et il a donné une réponse politique et environnementale. »

Était-ce une décision inéluctable ?
V. P.: « Non, car l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) affirme qu'elle n'a pas tous les éléments pour juger de la toxicité envers les consommateurs. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) estime également manquer d'éléments pour se prononcer. Désormais, c'est aux États membres de l'Union européenne de le faire. Nous constatons enfin que deux pays, le Canada et la Suisse, réputés pour leur sérieux au niveau scientifique, ont réhomologué le diméthoate ! »

Le ministre peut-il faire machine arrière en reportant cette interdiction ? (1)
V. P. : « L'espoir est infime mais nous allons tenter... »

Cette décision est-elle seulement handicapante pour les producteurs de cerises ?
V. P. : « Les cerises, premiers fruits de l'été, sont les plus concernés par la drosophila suzukii. Mais nous savons que l'insecte menace également fortement le vignoble. Potentiellement, tous les fruits pourraient être concernés si nous n'arrivons pas à endiguer le foyer sur les cerises. »
Quelles sont les autres pistes pour se prémunir du ravageur ?
V. P. : « Nous travaillons sur des solutions de long terme : de protections physiques (filets), le développement de variétés plus précoces donc moins sensibles à la drosophile. Il nous faut aussi améliorer la connaissance du ravageur qui n'est arrivé sur notre territoire qu'en 2010. Du côté des firmes phytosanitaires, trouver d'autres molécules efficaces demande du temps. On nous annonce une éventuelle solution pour 2019... Pour le court terme, c'est beaucoup plus compliqué, d'autant qu'il n'y a même pas d'essai sur le sujet dans nos centres d'expérimentations. Le diméthoate était le pivot de notre stratégie de lutte. Il était utilisé entre 14 et 21 jours avant récolte et nous apportait de la flexibilité. Nous pouvons utiliser des adulticides mais ils sont beaucoup moins efficaces. »

Vincent Pestre : « Nous ne voulons pas faire de surenchère médiatique sur le diméthoate car sinon les consommateurs pourraient se détourner de la cerise cet été… »
Le ministre a promis de faire jouer la clause de sauvegarde nationale et donc d'interdire la commercialisation de cerises de pays qui utilisent le diméthoate. Cette annonce vous convainc-t-elle ?
V. P. : « On ne peut pas être contre. On regrette néanmoins que, sur ce sujet, Stéphane Le Foll cherche à être le « mieux disant » au sein de l'UE. Nous attendons juste que la France ne soit pas pénalisée par rapport à ses concurrents(*). Et puis, dans un espace comme l'Europe où la libre circulation est inscrite dans la Constitution, on s'interroge sur la protection de nos frontières face à l'arrivée de cerises traitées au diméthoate... »

Comment s'annonce la campagne 2016 pour les producteurs ?
V. P. : « La pression n'a jamais été aussi forte suite à cet hiver très doux. Mais le pire n'arrive pas toujours, il ne faut pas se résigner. Nous allons mettre des moyens de lutte en place et aussi espérer un coup de pouce de la météo. On sait que la drosophile est sensible à la chaleur et au sec. Si l'été 2016 pouvait ressembler à celui de 2015... ». n

Propos recueillis par David Bessenay

(*) Le ministre de l'Agriculture a confirmé sa décision le vendredi 15 avril Et le 19 avril, il a annoncé que « l'interdiction d'importation de cerises venant de pays autorisant le traitement des cerises au diméthoate serait effective de suite ». Les autres pays producteurs que sont l'Espagne, l'Italie, la Pologne, la Grèce et la Slovénie ont également déclaré mettre en place l'interdiction du diméthoate sur la cerise. Par ailleurs, Stéphane Le Foll a informé que le cyantraniliprole et le spinetoram pourront être utilisés dès cette campagne. De plus, des indemnisations seraient octroyées aux producteurs afin de compenser les pertes économiques liées aux attaques de la drosophila suzukii en 2016.