Irrigation : faire avancer le projet HPR

«Je reçois beaucoup de questions sur le projet Hauts de Provence rhodanienne émanant d'agriculteurs et d'élus. Il était normal que je rencontre les acteurs impliqués et à la manœuvre, surtout sur cette question stratégique de l'eau. » La sénatrice de la Drôme, Marie-Pierre Monier, a reçu, le 22 octobre à sa permanence de Vinsobres, les présidents des chambres d'agriculture de la Drôme et du Vaucluse, Jean-Pierre Royannez et Georgia Lambertin, ainsi que celui de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), André Bernard. « Nous sommes ici pour présenter la cohérence et l'intégralité du projet HPR sur nos deux départements », a expliqué Jean-Pierre Royannez, revenant sur ce projet « de grande importance pour ce territoire, déjà porté par la mandature précédente. Mais c'est un projet de longue haleine. Si, sur le terrain, les agriculteurs et élus peuvent avoir l'impression qu'il ne bouge pas, nous venons au contraire montrer qu'il avance. »
Après les mois de sécheresse qui viennent de s'écouler, le projet prend encore plus son sens, en particulier au regard des évolutions climatiques qui semblent s'accélérer. « Nous avons besoin des élus des secteurs pour avancer. Après avoir rencontré le ministre de l'Agriculture au salon Tech&Bio, nous avons présenté le projet au préfet de la Drôme et à notre nouvelle directrice de la DDT, a ajouté Jean-Pierre Royannez. Le ministre attend nos propositions mais, vu l'ampleur de ce projet, sa répartition sur deux départements et deux régions, il faudra sans doute le "phaser" sur différentes programmations. Et nous devons aussi le mettre en cohérence avec les associations syndicales autorisées (ASA) pour démarrer au plus vite ce qui peut l'être. »
Ouvrir 40 000 hectares à l'irrigation
Après avoir rappelé sa genèse (voir encadré), André Bernard a présenté une photographie du projet. Son périmètre actuel comprend 81 communes à cheval sur deux régions et deux départements, couvrant une superficie de 1 620 km² structurée par les massifs du Ventoux et des Baronnies avec trois bassins versants : le Lez, l'Eygues et l'Ouvèze, affluents du Rhône. Au niveau agricole, le projet HPR ouvrirait ainsi 40 000 nouveaux hectares à l'irrigation, sur un périmètre complet de 80 000 ha. Les scenarii sont étudiés pour que la canalisation arrivant du Rhône vienne moderniser les prises d'eau gravitaire.
Actuellement, les prélèvements agricoles annuels représentent un jour du débit du fleuve. « Les volumes prélevés seront à la marge des erreurs de comptages actuels, de l'ordre de quelques mètres cubes seconde », souligne d'ailleurs André Bernard, rappelant qu'à l'étiage, le débit tourne autour de 400 à 500 m3/seconde. Contre 1 500 m3/s en hiver et 300 lors d'un étiage sévère.
Revoir les règles sur la hauteur des digues
La problématique, à l'origine notamment de la rencontre avec la sénatrice, est celle des zones situées plus en amont, au-delà de 240 mètres d'altitude. « La création d'une digue permettant la conception d'une retenue d'eau est soumise à législation et ne doit pas dépasser 5 mètres. Or, dans ces zones pentues, c'est insuffisant, a expliqué André Bernard. Nous sensibilisons nos élus pour qu'évolue cette réglementation sur la hauteur des digues, afin qu'elle soit revue à la hausse et corrélée au volume stocké pour ces territoires particuliers. L'objectif est de stocker l'eau quand il y en a trop pour l'utiliser quand les agriculteurs, les collectivités et les particuliers en manquent en été. »
Car c'est là une autre particularité du projet HPR : il n'est pas seulement « agricolo-agricole » mais implique tous les acteurs de l'eau, inquiets en ces temps de sécheresse à répétition. « Nous travaillons avec nos élus pour solliciter des moyens européens nous permettant d'alléger le coût de l'extension des réseaux, évalué à 15 000 euros l'hectare », poursuit le président de la chambre régionale. Pour cela, il faut faire entrer le projet dans le cadre des contrats de plans État-Région. « L'objectif n'est pas d'irriguer à tout va mais de proposer des réseaux cohérents avec une eau brute utilisée par les agriculteurs ainsi que les collectivités pour l'entretien des espaces verts, ou les particulier pour le remplissage des piscines ou l'arrosage des jardins. » Le fait que le projet HPR soit à destination des différents acteurs permet de solliciter des financements européens Feder1, en plus des financements Feader2 propres à l'agriculture.
Après des réunions de présentation en 2018 et 2019, cinq scenarii ont été imaginés. Les premiers travaux devraient débuter en 2020 avec les ASA qui souhaitent s'impliquer et moderniser leur réseau. « Aujourd'hui, tous les propriétaires intéressés sur ce périmètre doivent se faire connaître », a d'ailleurs rappelé Mireille Brun, de la chambre d'agriculture du Vaucluse. Des projets voient d'ores et déjà le jour, en particulier de modernisation de réseaux gravitaires à Saint-Cécile, Violès, Suze-la-Rousse et Mollans-sur-Ouvèze. Des projets d'extension de réseaux à partir du Rhône à Châteauneuf-du-Pape et à Piolenc-Sérignan sont aussi sur la table.
Une question de survie
« Aujourd'hui, l'irrigation n'est plus perçue comme avant, a relancé Jean-Pierre Royannez. La finalité n'est pas de produire toujours plus mais d'être encore là demain. C'est un investissement qui vient sécuriser l'avenir des entreprises. Bref, c'est une question de survie pour que nos territoires conservent des agriculteurs et des productions locales. »
Des propos confirmés par la présidente de la chambre d'agriculture du Vaucluse : « Il nous faut tous prendre de la hauteur sur cette question cruciale de l'eau. Nos anciens ont su créer et préserver des ouvrages qui font que nous sommes là aujourd'hui, sans doute mieux équipés que d'autres régions confrontées, comme nous, au changement climatique. À notre tour maintenant. C'est un projet d'envergure qui fait peur, impliquant beaucoup d'argent et de partenaires. Mais c'est aussi un projet de partage de l'eau pour l'agriculture, les collectivités, les particuliers, avec une finalité d'adaptation au changement climatique, de maintien de productions locales, de lutte contre les incendies, d'aménagement du territoire. »
Céline Zambujo
1 Feder : fonds européen de développement régional.
2 Feader : fonds européen agricole pour le développement rural.