“ Je ne veux pas laisser les agriculteurs seuls face aux aléas climatiques ”

L'ancien président de la République, Jacques Chirac, est décédé le 26 septembre. Que vous inspire son lien à l'agriculture ?
Laurent Wauquiez : « L'agriculture perd l'un de ses plus grands défenseurs. Les hommes politiques qui aujourd'hui comprennent et aiment l'agriculture sont de plus en plus rares. L'agribashing s'est généralisé. Les agriculteurs ont l'impression de ne plus être aimés et de ne plus être compris. Auvergne-Rhône-Alpes est une terre d'élevage. Je refuse que l'on impose des repas végétariens dans les cantines, les enfants doivent avoir le choix. Les arrêtés pris par certaines communes contre l'usage des pesticides font oublier la qualité de notre agriculture et de nos terroirs. Et le pire, c'est lorsque l'on impose des accords internationaux qui ne respectent pas les mêmes normes que celles imposées à nos agriculteurs. Nous devons arrêter de baisser la tête. »
Le versement des aides issues des programmes de développement rural (PDR) Auvergne et Rhône-Alpes 2014-2020 accuse du retard. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
L.W. : « Quand je suis arrivé à la Région (en janvier 2016, NDLR), certains dossiers avaient trois ans de retard. Concernant les aides aux surfaces du premier pilier, elles sont aujourd'hui versées à 90 % et le seront à 100 % d'ici la fin de l'année. Nous serons d'ailleurs la seule région de France à ne plus avoir de retard. Pour les aides à l'investissement, la Région a dû financer quinze postes dans les directions départementales des territoires, pour un coût de 2 M€. D'ici fin 2019, nous aurons moins de douze mois de retard et toutes les aides restant à verser le seront avant fin 2020. »
Les PDR arrivant à leur terme, est-ce que tous les dossiers pourront être aidés ?
L.W. : « Du côté du budget de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il n'y aura pas de limite. Mais pour cela, le ministre de l'Agriculture doit nous laisser faire de la sur-programmation budgétaire. Nous l'avons obtenu pour les aides bio. J'ai maintenant besoin du soutien des agriculteurs pour aller plus loin. »
Quelles sont vos ambitions pour l'agriculture régionale ?
L.W. : « Le budget de la Région est passé en trois ans de 35 à 100 M€, dont 8 M€ pour les aides à l'investissement en faveur des bâtiments d'élevage et 16 M€ pour le soutien des agriculteurs confrontés aux calamités. Aujourd'hui, la Région comptabilise 5 300 dossiers d'agriculteurs aidés. La Région agit également dans le cadre des plans de filières et de la marque la Région du goût. Mais ce qui me préoccupe particulièrement aujourd'hui, c'est de pouvoir aider les agriculteurs à se protéger face aux aléas climatiques. »
Entre le gel, les épisodes de grêle et de nouveau la sécheresse, 2019 est une année climatique compliquée. Comment justement la Région compte-t-elle aider les agriculteurs à faire face ?
L.W. : « D'abord en traitant l'urgence, et nous l'avons montré en 2018 : nous avons débloqué 16 M€ pour la sécheresse, avec des démarches simplifiées pour les agriculteurs qui en ont fait la demande. En trois mois, 14 000 dossiers ont été instruits et payés. Pour la grêle, l'État ne fait rien car le risque est assurable. J'ai demandé aux chambres d'agriculture de recenser les dégâts subis par les agriculteurs cette année. Si nous parvenons à faire remonter les informations rapidement, nous pourrons prendre une décision lors de la prochaine commission permanente en octobre. Je ne peux pas m'avancer sur un montant, l'idée sera aussi d'associer les Départements et les Communautés de communes. »
Et à plus long terme ?
L.W. : « La Région aide à l'investissement dans la rénovation de réseaux d'irrigation, la création de nouvelles installations collectives et individuelles, de retenues de stockage de l'eau, elle aide à la protection des exploitations par l'installation de systèmes anti-grêle... 120 dossiers ont été ouverts ces trois dernières années, il y en a plus de 150 en 2019. Si les agriculteurs lancent des projets, qu'ils sachent qu'ils seront soutenus par la Région. »
Oui, mais comment lever les verrous administratifs pour justement permettre aux projets de voir le jour ?
L.W. : « J'ai demandé au préfet de région un système de suivi régional pour sortir des blocages administratifs. L'eau est un sujet d'avenir pour Auvergne-Rhône-Alpes. C'est la raison pour laquelle nous avons aussi l'ambition de créer un fonds d'action global d'adaptation aux aléas climatiques en 2020. »
Le dernier rapport de la Cour des comptes met en avant la baisse des dépenses de fonctionnement de la Région Aura. Est-ce que la réduction des moyens ne va pas à terme affecter la gestion des dossiers ?
L.W. : « La Cour des comptes place Auvergne-Rhône-Alpes à la première place des Régions de France pour la baisse de ses dépenses de fonctionnement, la hausse de ses investissements et la progression de son épargne nette. C'est la Région la mieux gérée de France ! Si j'ai pu augmenter le budget agricole, c'est parce que nous avons fait des économies sur notre train de vie. Et nous avons été capables de gérer l'urgence tout en assurant notre mission de service public. Je traque la " paperasse " : pour une demande d'aide, les dossiers de la Région font trois pages, pas plus ! »
Comment voyez-vous l'avenir des filières d'élevage régionales ?
L.W. : « Il est plus que jamais urgent de retrouver de la fierté dans notre agriculture. On est en train de faire des agriculteurs des boucs émissaires. La France est une terre agricole, les critiques et le dénigrement des agriculteurs, ça suffit ! »
Quelles annonces ferez-vous lors du Sommet de l'élevage ?
L.W. : « J'annoncerai tout d'abord un plan pastoralisme, avec un volet de lutte contre le loup, que j'ai toujours assumé, et sur lequel je ne change pas d'avis. On va consacrer environ 2,5 M€ par an, pour accompagner les structures collectives qui soutiennent le pastoralisme, aider les éleveurs à se protéger et équiper les lieutenants de louveterie en matériel de tir optique pour augmenter les prélèvements. On est une région où les prélèvements ont augmenté, mais le loup aussi a progressé, on ne doit surtout pas baisser la garde. On va ensuite lancer ensemble toutes les initiatives pour les adaptations aux aléas climatiques car je ne veux pas laisser les agriculteurs seuls face à la sécheresse et face à la grêle. Enfin, il faut que tous ensemble nous adressions un message au ministre de l'Agriculture et à l'Europe, pour avoir un vrai budget post-2020. Et nous serons très vigilants pour que l'État n'utilise pas les crédits européens pour faire des économies sur le dos des agriculteurs. »
Propos recueillis par Sébastien Duperay