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Agroécologie

L'abondante vie des sols, à préserver et à développer

Sous nos pieds, un nombre incalculable de bactéries et de champignons s'active. Les nouvelles technologies d'analyse du génome permettent aux chercheurs de prendre la mesure de l'immense biodiversité du sol et des fonctions fondamentales dans le cycle de la vie qu'elle remplit. Pour l'agriculture, les sols, bien plus qu'un substrat, regorgent de fonctions à connaître, à préserver et à développer pour produire plus et mieux.
L'abondante vie des sols, à préserver et à développer

Xavier Nesme est docteur de l'université de Lyon et chercheur à l'Inra en écologie microbienne, spécialisé dans les bactéries pathogènes du sol et ce qui fait leur spécificité. Il décrit les raisons qui font que la vie du sol revêt une importance fondamentale.

2015 est l'année internationale des sols, pour quelles raisons prend-on conscience maintenant que les sols sont importants ?
Xavier Nesme : « Il y a encore quelques années, il était très difficile de mesurer la diversité et la vie des micro-organismes du sol. La communauté scientifique se doutait qu'il y avait là une grande quantité de vie sans pouvoir identifier facilement chaque bactérie ou champignon. Nos outils d'alors, comme la culture en laboratoire, ne permettaient d'isoler et d'identifier que 10 % des micro-organismes. C'est avec les nouvelles technologies du génie génétique, comme l'analyse du génome, que les chercheurs ont eu accès à l'extrême richesse du sol. Dans un gramme de sol forestier, ce sont en effet des dizaines de milliers d'espèces de micro-organismes qui y vivent. Nous n'en sommes qu'au début de l'inventaire et de la compréhension du rôle et des fonctions de ces micro-organismes. C'est comme si les chercheurs venaient de découvrir la forêt amazonienne avec sa richesse extraordinaire et ses ressources technologiques, sauf qu'elle est sous nos pieds. »

La FAO affirme que les sols contiennent 25 % de la biodiversité terrestre.
X. N. : « Ce chiffre est très compliqué à valider mais c'est un ordre de grandeur réaliste. Ce que l'on sait effectivement, c'est que les sols sont un très grand réservoir de biodiversité. Les micro-organismes qu'il contient jouent un rôle central dans les grands cycles bio-géo-chimiques nécessaires à la vie, tels que ceux de l'azote ou du carbone. Par exemple, avant l'invention de la synthèse artificielle de l'ammoniac et du nitrate constituants des engrais artificiels au début du XXème siècle, la quasi-totalité de l'azote organique des plantes et des animaux (acides aminés, acides nucléiques, protéines) provenait de l'activité de bactéries du sol. Ces bactéries sont capables de "fixer" l'azote atmosphérique (N2) impropre à la vie sous cette forme, en ammoniac (NH3) assimilable par les plantes. Cette réaction est très coûteuse en énergie. Elle se fait donc le plus souvent en symbiose avec les plantes qui lui apportent l'énergie nécessaire sous forme de sucre. Les rhizobiums par exemple vivent dans des organes spécialisés des racines des légumineuses, les nodosités où elles profitent du carbone organique (sucre) issu de la transformation du gaz carbonique (CO2) atmosphérique par la chlorophylle de la plante sous l'effet de la lumière. En échange, les bactéries fournissent à la plante de l'ammoniac utilisé à son tour pour former des acides aminés et des protéines. Ces bactéries dites " fixatrices " d'azote sont bien sûr toujours présentes dans les sols dont elles sont une ressource agro-écologique majeure dans le contexte de la réduction des intrants de synthèse en agriculture. »

Où en est la recherche sur les micro-organismes du sol aujourd'hui ?
X. N. : « Il y a de grandes avancées en ce moment, notamment dans le séquençage des génomes qui nous permet de faire des diagnostics très précis de la vie du sol. L'Inra mène par exemple un programme dans ce domaine appelé Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS). L'objectif du RMQS est d'analyser la qualité des sols de France à partir d'un échantillonnage exhaustif des sols avec une maille de 16 km / 16 km permettant une cartographie précise des sols et de leurs caractéristiques. La mesure de la qualité microbiologique se fait par l'étude des séquences d'ADN de la totalité des organismes présents dans les sols, c'est-à-dire des génomes de milliards de bactéries et de champignons qui y cohabitent. Pour parler de ce génome étendu à toute une communauté microbienne qui représente une masse colossale d'information génétique, on parle de "métagénome". L'étude des métagénomes nécessite de gros moyens de calcul mais elle permet de déterminer les fonctions remplies par les micro-organismes présents sans recourir à leur mise en culture. C'est donc une avancée considérable puisqu'on ne sait pas cultiver la plupart d'entre eux. Toute cette vie coexiste avec de nombreuses formes de collaboration et tout cela participe au fonctionnement biologique du sol. La mesure de la biodiversité microbienne des sols permet de se faire une idée de leur qualité et de leur capacité à supporter les stress. Il y a en général beaucoup de redondance dans les fonctions du sol qui peuvent être exercées par différents organismes. C'est une sorte de garantie du sol contre les stress qui peuvent affecter une partie de ces organismes. Il y a cependant des micro-organismes, dits pivots ou clés de voûte, qui assurent seuls une fonction rare et essentielle. C'est le cas par exemple de nitrobacter qui est capable de transformer les nitrites toxiques (NO2-) en nitrates (NO3-). C'est une espèce clé car très peu d'autres bactéries ont la même fonction. »

Quelles conséquences sur les sols ont les pratiques agricoles basées sur la chimie ?
X. N. : « Pendant longtemps, nous ne nous sommes pas préoccupés des sols car, en apportant simplement des engrais chimiques, les plantes poussent bien. Cependant, à partir du moment où la matière organique (MO) n'est pas renouvelée et s'épuise, le sol perd certaines fonctions. Il devient battant, résiste moins bien à l'érosion, garde moins d'eau, etc. Aussi, aujourd'hui, on travaille à maintenir et à augmenter le stock de MO dans les sols par des pratiques agricoles repensées. Car on sait qu'un sol en bonne santé et plein de vie apporte de très nombreux services à l'agriculture. L'Inra travaille beaucoup sur des recherches d'itinéraires techniques permettant d'améliorer la qualité des sols sans baisser les rendements mais en réduisant les intrants. »

Quels services rendent les sols ?
X. N. : « Les sols déstructurés sont battants et sujets à l'érosion alors que des sols riches en MO retiennent plus d'eau et sont capables de mieux résister à la sécheresse. Par ailleurs, un sol riche en MO est aussi riche en micro-organismes, ce qui laisse moins de place pour les pathogènes et donne une meilleure résistance des plantes aux maladies. Un domaine de recherche prend actuellement de plus en plus d'importance : celui des rhizobactéries favorables à la croissance des plantes ou PGPR (pour plant growth promoting rhizobacteria). Ce sont des bactéries qui sont bénéfiques à la santé et au développement des végétaux. Certaines rhizobactéries produisent des hormones stimulant le développement racinaire, d'autres inhibent les pathogènes, d'autres stimulent les défenses immunitaires de la plante. L'Inra travaille ainsi sur les pratiques agricoles qui permettent de favoriser ces micro-organismes déjà présents dans le sol ou qui peuvent être apportés par enrobage de semences. Enfin, les sols ont aussi des capacités de détoxication. Certains micro-organismes arrivent par exemple à volatiliser le mercure. Cette propriété est d'ailleurs utilisée en Guyane pour détoxiquer les sols pollués par les exploitations minières plus ou moins sauvages. » 

Propos recueillis par Camille Peyrache

 

 

Focus sur ces vers qui nous veulent du bien ...


Il existe une centaine d’espèces de vers de terre en France dont une quinzaine est très commune. Elles sont déterminées selon trois grandes catégories écologiques, les épigés et les anéciques, et les endogés . Les vers de terre épigés ou vers de surface (n° 1 sur le schéma) sont petits, de 1 à 8 cm, restent localisés sur l’horizon superficiel organique du sol. Ils sont vifs et de couleur rouge sombre ou vineux. Ils ne creusent pas de galerie et contribuent au fractionnement de la matière organique. Leur durée de vie est d’un an, leur cycle de reproduction de 6 semaines produit 72 descendants par mois. Ces vers de terre sont peu présents en grandes cultures et vivent dans les litières et les couches de matière organique. Ce sont ceux que l’on trouve dans les tas de fumier ou les composts.
Les anéciques (n° 2 sur le schéma) sont de grande taille de 10 à 100 cm dont la tête souvent rouge, est plus sombre que le reste du corps. Ils creusent des galeries verticales et profondes et leur présence est visible en raison des rejets de déjection qu’ils forment à la surface sous forme de tortillons, les turricules. Ces vers viennent chercher la matière organique à la surface et la distribuent dans les profondeurs. Ces explorateurs sont les vers les plus directement utiles à l’agriculture car ils favorisent l’aération et la stabilité des sols, contribuent à la décomposition et au brassage de la matière organique.
Enfin, les endogés ou vers dans la terre (n° 3 sur le schéma) sont des vers de taille moyenne (3 à 16 cm) reconnaissables à la décoloration de leur pigmentation. Ils vivent dans les premiers centimètres du sol où ils construisent des galeries horizontales. Leur durée de vie est comprise entre 2 et 3 ans. Les vers endogés se protègent des conditions climatiques non pas en s’enfonçant dans le sol comme les anéciques mais en se mettant au repos entourés d’un mucus protecteur. Ces vers se nourrissent de matière organique plus ou moins dégradée et de sol minéral.
La présence de vers de terre est très variable selon la nature du sol et son mode de culture. Dans une prairie permanente, on estime entre 150 et 300 le nombre de vers au mètre carré, soit 1 à 2,5 tonnes à l’hectare. En grandes cultures, le nombre de vers au mètre carré est compris entre 1 et 3 vers, soit environ 50 kg à l’hectare.
Les données et le schéma sont issus des travaux de recherche du Laboratoire d’écologie du sol et de biologie des populations, Université de Rennes 1.