L’agriculture au cœur des négociations
à traiter. Le volet agricole peut parfois bloquer le processus des négociations, voire faire capoter un accord.

Alors que des accords commerciaux sont en négociation au sein de l'OMC, pourquoi des accords régionaux se mettent-ils en place entre l'Europe et les États-Unis, ou le Mercosur ?
Thierry Pouch : « Les négociations sur l'OMC ont débuté en 2001 et malgré quelques avancées comme la fin des subventions sur les exportations, il n'y a toujours pas d'accord ! Les pays émergents se méfient des pays industrialisés. En 2008 et 2012, l'Inde a fait capoter les accords pour préserver sa paysannerie. Il y a 162 membres à l'OMC, obtenir l'unanimité est compliqué. L'absence d'un accord multilatéral global favorise le développement d'accords bilatéraux ou régionaux. Et puis, il y a des enjeux stratégiques. Les États-Unis veulent contrecarrer la montée en puissance de la Chine. C'est pour cela qu'ils ont développé un projet de traité transatlantique mais aussi transpacifique avec douze pays. Enfin, il y a la crise depuis 2007 et la volonté à travers ces accords de générer de la croissance et des emplois. Mais les prévisions de gain de croissance sont limitées, de l'ordre de 0,5 % du PIB. »
Concernant le Tafta, quelles sont les ambitions agricoles des États-Unis ?
T. P. : « Aujourd'hui, les États-Unis sont déficitaires avec l'Europe en matière de commerce de produits agricoles. Ils souhaitent une baisse voire une suppression des droits de douane pour récupérer le marché. Il faut rappeler que l'Union européenne (UE), en matière agricole, se protège mieux que les États-Unis avec des droits deux fois plus élevés, 13, 6 % en moyenne, avec des pics importants sur certains produits (viandes bovine et porcine). Si on fait tomber cette barrière douanière, le marché européen va être pénétré en force. »
Les États-Unis ont une vision des produits agricoles très différente de la nôtre. Avez-vous des exemples ?
T. P. : « Effectivement, le concept des AOC est inconnu des Américains qui sont sur des stratégies de marque. C'est pourquoi les Français mais aussi les Italiens, avec la mozzarella ou la Grèce avec la feta ont des fortes craintes. Par ailleurs, le principe de précaution n'existe pas outre-Atlantique. Il faut donner la preuve de la nocivité pour le retirer de la vente. Enfin, le bien-être animal n'est pas une notion très développée aux États-Unis. »
L'agriculture européenne a donc de bonnes raisons de s'inquiéter ?
T. P. : « Bien sûr. En premier lieu, l'élevage est particulièrement menacé mais aussi les fruits, le maïs, etc. D'après les études prospectives, la progression des exportations européennes aux États-Unis serait de l'ordre de 56 %. Inversement, celle des produits américains vers l'Europe serait de 116 %. C'est pire encore avec le Mercosur dont les échanges agricoles sont largement en défaveur de l'Europe. Et puis, des importations massives auraient pour conséquence l'effondrement du marché intracommunautaire. »
Quelle devrait être selon vous la position européenne ?
T. P. : « Il faut que l'UE se positionne clairement. Est-ce que le libre-échangisme est l'axe central de sa politique ? Est-ce que l'agriculture est devenue une simple variable d'ajustement ? Qu'allons nous faire avec le secteur de l'élevage si nous ouvrons nos frontières aux viandes américaines ? »
Va-t-on vers une signature rapide du traité transatlantique ?
T. P. : « Même si Barack Obama et Angela Merkel militent en faveur d'une signature rapide, il existe beaucoup d'inconnus et cela paraît peu envisageable. Les élections se profilent aux États-Unis, en France et en Allemagne... Et puis, une fois signé, cet accord devra être ratifié par le Parlement européen puis par les 28 pays de l'Union. Cela demande du temps. Mais vous savez, ce projet remonte à 1961, sous Kennedy ! »
Finalement, ne vaudrait-il pas mieux sortir l'agriculture de ces accords commerciaux ?
T. P. : « Cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises mais sans succès. Force est de constater que l'agriculture s'est banalisée. Elle est devenue un enjeu économique comme un autre, un objet de convoitise. Il faudrait d'énormes pressions pour réussir à la sortir des accords commerciaux globaux. »
Propos recueillis par David Bessenay
Position FNSEA : “ Avec envie et méfiance”
« Contrairement à d’autres syndicats, nous participons à la discussion, c’est le meilleur moyen de défendre nos positions », tonne Arnold Puech d’Alissac, membre du bureau de la FNSEA en charge des questions commerciales internationales. Le syndicat majoritaire, qui travaille proche du secrétaire d’État au commerce extérieur, Matthias Fekl, sur ce dossier, a intégré plusieurs groupes de travail. Dans l’état actuel des choses, il a demandé un arrêt des négociations « car les Européens ont fait des propositions généreuses et on ne voit rien venir côté américain. » Arnold Puech d’Alissac estime que cet accord pourrait être bénéfique « pour les vins et le lait ». Mais il comprend l’inquiétude des éleveurs sur l’ouverture massive aux importations, « en sachant que la consommation de viande en France est en baisse. Nous devons être très vigilants ». C’est avec pragmatisme que la FNSEA souhaite avancer sur ce dossier. « Il ne faut pas effrayer la population et les agriculteurs avec ce traité. On veut aboutir à un accord équilibré. Bien sûr, il serait plus facile de dire non à cet accord que de négocier. Nous sommes un grand pays exportateur. Il faut continuer à trouver en dehors de nos frontières des perspectives de croissance. L’immobilisme n’est pas de la sagesse. » Mais pour aboutir à des accords, il reste du pain sur la planche. « Ce sont 10 000 lignes de tarifs douaniers à étudier… »UE-Mercosur /
La viande bovine sur le grill
Le Mercosur est une union régionale de pays d’Amérique du Sud constituée de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay, du Venezuela et de la Bolivie. L’UE négocie actuellement un accord commercial avec le Mercosur et les deux zones ont échangé, le 11 mai dernier, leurs offres dans le cadre de cette négociation. Alors que la Commission européenne a, officiellement, exclu de sa proposition la fixation d'un contingent d'importation pour la viande bovine, secteur sensible (de même que l'éthanol), pour le ministre uruguayen des affaires étrangères, Rodolfo Nin Novoa, dont le pays préside actuellement le Mercosur, « ce qui n'est pas inclus, c'est la quantité de viande bovine destinée à l'UE, qui sera déterminée à un stade ultérieur, [...] nous donnant la certitude qu'elle fait partie des négociations », affirme-t-il. De son côté, le bloc sud-américain aurait, du moins à ce stade, exclu de sa proposition, les produits laitiers, le vin et l’huile d’olive, intérêts offensifs de l’UE.La Fédération nationale bovine (FNB) dénonce l'obsolescence du mandat de négociation de l'Europe avec le Mercosur dans un communiqué de presse du 18 mai. « Il est légitime de s'interroger sur les conditions d'octroi des mandats de négociations délivrés à la Commission », estime la FNB. Elle observe que « celui relatif au Mercosur, délivré par le Conseil, date de 1999 et n'a plus de sens tant la situation économique et la consommation ont profondément évolué depuis cette date ». Pour le syndicat, « il serait, en conséquence, judicieux d'introduire des clauses de caducité dans les mandats de négociation afin de leur redonner la légitimité politique nécessaire ». Si la FNB salue « la détermination dont ont fait preuve la présidence et le gouvernement français » dans les dernières négociations, elle constate que ce n'est pas « à la Commission de présenter, aussi précocement, une offre sur la viande bovine, [...] produit offensif pour les pays du Mercosur ». La FNB alerte également sur le fait que la viande bovine n'est pas exclue des négociations pour le moment, mais qu'il s'agit plutôt « d'un report de calendrier ».
C. D.À savoir
L’UE est le premier partenaire commercial du Mercosur, puisqu’elle représentait 20 % du commerce du bloc latino-américain en 2013. Le commerce entre les deux partenaires s’élève à 110 milliards d’euros. Le Mercosur est, pour sa part, le 6e plus important marché d’exportation pour l’UE (toujours selon les données de 2013). Les exportations du Mercosur vers l’UE sont des produits agricoles (43 % des exportations totales) et des matières premières (28 %), alors que l’UE exporte principalement des produits manufacturés, notamment des machines et des équipements de transport (46 % des exportations totales) et des produits chimiques (22 %). 86 % des importations de bœuf et 70 % des importations de volailles en Europe proviennent de ces pays.