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Commerce international

“ L'agriculture peut faire capoter les négociations du TTIP ”

Houssein Guimbard, économiste au Cepii (recherche et expertise sur l'économie mondiale), est spécialisé dans le commerce international. Il revient sur la place et le rôle de l'agriculture dans les négociations du commerce international.
“ L'agriculture peut faire capoter les négociations du TTIP ”

Quelle est la place de l'agriculture dans le cadre du TTIP ?
Houssein Guimbard : « En l'état, le commerce bilatéral entre les deux pays est relativement faible : 8 % des importations agroalimentaires de l'UE proviennent des États-Unis, 13 % de l'autre côté de l'Atlantique. Une signature du TTIP (ou Tafta) pourrait entraîner une augmentation dans le secteur agroalimentaire de 60 % des exportations de l'UE vers les États-Unis et de 125 % des importations de l'UE en provenance des États-Unis, d'ici 2025. Toutefois, la valeur ajoutée dans le secteur agricole européen connaîtrait une baisse de 0,5 %. Par ailleurs, certains secteurs seraient très négativement touchés par la signature d'un accord. C'est notamment le cas du secteur de l'élevage (bovin, volaille) ou de celui des céréales. »

Sur quels points agricoles spécifiques les négociateurs coincent-ils ?
H. G. : « Les normes sanitaires et phytosanitaires principalement. Côté européen, on craint une harmonisation à la baisse des normes, avec le bœuf aux hormones, le poulet au chlore ou encore les OGM. Les États-Unis, eux, craignent les fromages à bactéries par exemple... Il faut donc relativiser : dans les deux pays, les normes restent assez élevées. »

Dans l'affaire du bœuf aux hormones, l'agriculture était un moyen de pression des États-Unis pour faire plier l'Union européenne. Et dans le cadre du TTIP ?
H. G. : « C'est le cas. En dehors du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, les gros dossiers industriels ne posent pas de problèmes particuliers. Mais l'agriculture reste un sujet sensible dans les négociations commerciales. Elle peut être, par ses spécificités et dans certains cas, un moyen de pression substantiel pouvant stopper des négociations beaucoup plus larges, comme celles du TTIP (ou, avant cela, celles du cycle de Doha), au même titre que le règlement des différends investisseurs-État. »

L'agriculture est-elle un « point faible » ou un secteur offensif de l'Union européenne dans les négociations commerciales à l'international ?
H. G. : « L'agriculture en Europe est un sujet important et politique. Certains secteurs agricoles sont clairement offensifs (le vin et les boissons, plus généralement). D'autres pourraient souffrir d'une ouverture à la concurrence internationale (les produits laitiers ou encore les fruits et légumes). Ce secteur peut faire capoter les négociations dans le cadre du TTIP. L'agriculture représente " peu " en termes d'emplois, mais c'est un sujet sensible car, derrière elle, se cachent d'autres enjeux : normes environnementales, gestion des territoires, sécurité alimentaire, images nationales... C'est notamment à cause de ce poids politique que dans l'affaire du bœuf aux hormones, les Américains avaient mis des droits de douane sur le roquefort, la moutarde ou le chocolat plutôt que sur les BMW. Toucher à l'agriculture peut plus rapidement créer une instabilité politique. » 

Propos recueillis par C. R.

 

 

Les membres de l’OMC ont conclu leur dixième Conférence ministérielle à Nairobi le 19 décembre dernier en parvenant à un compromis in extremis sur les aides à l’exportation. Une onzième se tiendra en 2017.

Les négociations agricoles “ dans l'obscurité ”

A l’issue de l’accord entre les 160 pays de l’OMC, le 19 décembre dernier à Nairobi, le directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo a déclaré que c’était « le résultat le plus important pour l’agriculture depuis vingt ans ». Après une semaine de négociations difficiles, l’accord obtenu à l’arraché prévoit l’élimination immédiate des subventions à l’exportation, à l’exception de quelques produits agricoles transformés, dans les pays développés. Mais pour d’autres, cet accord est un demi-succès. En effet, à Nairobi, les ministres ne sont parvenus à un accord que sur un des trois piliers de la politique agricole, celui de la concurrence à l’exportation. Le moins compliqué à traiter puisque la plupart des pays ne recourt plus aux subventions à l’exportation. Les deux autres piliers, l’accès aux marchés et les soutiens internes ont été écartés. Les positions paraissant inconciliables entre des pays en développement comme l’Inde qui veulent continuer à protéger leur marché et des pays développés comme les États-Unis qui ne veulent pas renoncer aux subventions pour leurs agriculteurs. Au final, les ministres ne se sont pas accordés sur l’avenir du programme de Doha. « Certains membres souhaitent continuer le cycle de Doha, tandis que d’autres insistent à explorer de nouvelles architectures », indique la déclaration finale. Il n’en reste pas moins que la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, et le commissaire à l’agriculture, Phil Hogan, se sont félicités des résultats de Nairobi qui « ouvrent de nouvelles opportunités pour le commerce et l’investissement dans un système global ». Avec un accord sur les produits technologiques, des dispositions en faveur des pays les moins développés et le compromis sur les subventions agricoles, la Conférence de Nairobi n’a pas sonné la mort du cycle de Doha. Mais de nombreux dossiers et parmi eux les plus épineux restent sur la table, notamment dans le domaine agricole.
Revoir les bases de la négociation
Les membres de l'OMC, qui sont toujours divisés sur la façon de poursuivre les négociations du cycle de Doha sur l'agriculture, restent, de plus, pour la plupart, très discrets sur le soutien interne qu'ils apportent à ce secteur. « Nous ne pouvons pas négocier dans l'obscurité », a averti le 9 mai l'ambassadeur de Nouvelle-Zélande, Vangelis Vitalis, qui présidait une réunion informelle du comité de l'agriculture de l'OMC. Il soulignait ainsi l'importance de disposer d'informations actualisées sur le soutien interne octroyé par les 162 membres de l'organisation.  Seuls 24 d'entre eux étant à jour dans leurs notifications dans ce domaine, ce qui est, selon lui, « à la fois embarrassant et préoccupant ». Les négociateurs restent par ailleurs divisés sur la méthode à retenir pour poursuivre les pourparlers du cycle de Doha : conserver comme base le texte du projet d'accord avorté de 2008, ou bien repartir de zéro. Les États-Unis et l'UE ont été ceux qui plaident pour une nouvelle approche, notant que le contexte avait changé au cours des dernières années. La délégation américaine a suggéré de s'attaquer d'abord aux distorsions des échanges les plus urgentes et d'évaluer les « bénéfices » des différentes méthodes de négociation, plurilatérales, multilatérales, etc.
Sur l'accès au marché, de nombreux pays membres ont reconnu les efforts entrepris pour réduire les droits de douane dans d'autres enceintes telles que les accords commerciaux préférentiels. Sur la concurrence à l'exportation, quelques-uns ont estimé que le travail devait se poursuivre au-delà des résultats enregistrés à Nairobi. Le Canada a ainsi pointé du doigt le programme américain GSM-1012 de crédits à l'exportation. D'autres dossiers jugés problématiques ont été soulevés, ainsi les restrictions à l'exportation, les normes sanitaires et phytosanitaires, les normes privées, les subventions aux biocarburants et à la bioénergie, mais aussi, ce qui est plus récent, les indications géographiques (IG).
« Passer de la réflexion
à l'action »
Le directeur général de l'OMC, Roberto Azevêdo, a jugé le 9 mai, lors d'une réunion de tous les membres de l'organisation, qu'il était temps de « passer de la réflexion à l'action » en vue de la 11e Conférence ministérielle, en 2017. « Nous devons garder un œil sur le calendrier, a-t-il dit. Cinq mois ont passé depuis notre 10e Conférence à Nairobi. Bientôt, il sera temps de se retrousser les manches. » Certains dossiers ont, en effet, comme échéance la 11e Conférence ministérielle, a rappelé Roberto Azevêdo, citant la mise au point d'une solution permanente pour les programmes de stockage public de produits agricoles à des fins de sécurité alimentaire, mécanisme souhaité par les pays en développement du G33, en particulier l'Inde.