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Coronavirus

L’agriculture, une activité prioritaire plongée dans l’inquiétude

Si le monde agricole est amené à poursuivre son activité, la situation tendue liée à l’épidémie du Covid-19 entraîne de sérieuses conséquences pour la profession. Récit.
L’agriculture, une activité prioritaire  plongée dans l’inquiétude

«Si les choses rentrent dans l'ordre d'ici un mois, les agriculteurs ne seront pas les plus impactés », avance Marc Fauriel, producteur de fruits à Loriol-sur-Drôme. Pour l'heure, le travail au milieu de ses vergers peut se dérouler sans trop de problèmes : « Nous ne travaillons pas dans un milieu confiné. Nous pouvons faire travailler nos salariés à l'extérieur, dans le respect des règles sanitaires, en évitant notamment de constituer de grosses équipes. Il faut essayer de rester serein, même si les tendances ne sont pas à l'optimisme ». Mais tout n'est pas si simple. Dans un contexte de confinement, la filière horticole semble être, par exemple, l'une des plus touchées. La fermeture des jardineries et des fleuristes a fait souffler un vent de panique chez les professionnels au démarrage de la saison de printemps.

L’horticulture figure parmi les filières les plus touchées.

Le coup de grâce pour la filière horticole

La SAS Arthaud Serres des Rosettes, située à Mours-sur-Eusèbe, en fait les frais : « Après la grêle, la neige, voici le coronavirus. C'est le coup de grâce », regrette Valérie Arthaud. C'est notre plus grosse période de travail. Les ventes de printemps constituent 70 % de notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, la situation est vraiment inquiétante. » En attendant, les salariés sont à leur poste pour maintenir la production : repiquage, arrosage, entretien... « Cela ne durera pas. Nous avons dix à quinze jours devant nous mais, ensuite, l'hectare de serres partira à la benne... », déplore-t-elle. Si la société redoute les grosses surprises à venir - entendez les factures d'électricité, d'eau et autres charges à payer -, l'équipe suit attentivement les annonces du gouvernement et prépare un dossier de chômage partiel pour ses employés. « Nous n'avons pas la certitude que notre dossier sera bien pris en compte, les services étant surbookés », s'inquiète Valérie Arthaud.

Un déficit de main-d'œuvre étrangère ?

Dans les secteurs qui emploient de la main-d'œuvre saisonnière, et notamment venant de l'étranger, de nombreuses questions se posent suite à la fermeture des frontières. Pour Marc Fauriel, l'avenir est encore flou : « La préparation de la saison n'est pas évidente. Nous craignons de ne pas pouvoir avoir de main-d'œuvre, au moment des cueillettes à la mi-mai, avec les problématiques de circulation de biens et de personnes », explique-t-il. Chaque saison, Fauriel Fruits embauche près de 80 % de sa main-d'œuvre à l'étranger. « Il nous faudra obligatoirement des bras, sinon on ne pourra pas travailler. En temps normal, nous avons déjà de grandes difficultés à trouver du personnel... On pourrait donc très vite se retrouver en incapacité de ramasser les fruits si la situation devait perdurer », s'alarme-t-il.

Les agriculteurs employeurs craignent des problèmes de main-d’œuvre pour la cueillette.

Problèmes d'approvisionnement

Pour autant, un autre souci se pose, celui de la disponibilité des produits et des matériels. La situation est très tendue au niveau de l'approvisionnement des produits phytosanitaires, des semences, des filets paragrêle, du matériel d'irrigation... avec des retards de livraison ou un manque de stocks.
Un problème d'approvisionnement auquel Top Semence pourrait être confronté d'ici quelques semaines, les semences « mères » arrivant en partie du Chili ou du Brésil. « C'est au niveau de la réception, en temps voulu, des semences que nous pouvons aujourd'hui avoir des interrogations », prévient Yves Courbis, président de Top Semence. Malgré tout, les plans de campagne 2020 sont en cours de préparation et rien n'indique, à cette heure, que les semis seront retardés. « C'est de notre responsabilité de prévoir, au cas où, un plan B. Si l'on ressent l'inquiétude des agriculteurs du territoire, nous devons avant tout pouvoir les rassurer ». Un courrier leur a d'ailleurs été récemment adressé afin de lever toute appréhension.

Au niveau de l’approvisionnement, la situation est tendue.

Des retards de livraison

Pourtant, avec une baisse importante de l'activité des transporteurs, les retards de livraison pourraient bien s'accumuler. A la tête des Etablissements Banc et fils, qui disposent notamment de concessions à Donzère et Alixan, Jean-Marie Banc craint que les pièces et gros matériels arrivent avec du retard. « Dans l'ensemble, les livraisons sont en décalage d'un ou deux jours. Nous arrivons encore à travailler mais, si la situation s'amplifie, cela risque d'être compliqué », pense-t-il. Alors que l'effectif a été réduit afin de minimiser les contacts physiques, le concessionnaire poursuit son activité, comme l'y autorise la loi : « Après l'annonce du confinement, les agriculteurs étaient un peu dans le flou quant à l'ouverture, ou non, de nos concessions. Nous avons donc eu quelques jours de flottement et un début de semaine chaotique », avoue-t-il. L'heure est désormais aux dépannages urgents et autres travaux en cours. « Mais nous ferions mieux de peut-être tout arrêter quelques semaines afin de véritablement stopper cette épidémie », soupire Jean-Marie Banc. 

Amandine Priolet

 

Ventes en hausse pour la filière des Ppam 

La filière des plantes à parfum aromatiques et médicinales (Ppam) est également touchée, à une moindre mesure. « Les marchandises ne partent pas puisque les dockers sont bloqués sur les ports. Pour autant, il est aujourd’hui trop tôt pour dire que la situation est inquiétante, considère Alain Aubanel, président de la fédération des producteurs de plantes à parfum de Drôme et Ardèche. Certaines huiles essentielles bénéficient en revanche d’un regain d’intérêt : la vente en pharmacie ou en boutiques spécialisées est franchement en hausse. » La vente d’huile essentielle de lavande (reconnue comme un anti-stress) a en effet pris de l’ampleur depuis début mars. « Nous avons du stock en France pour répondre à ces demandes, tout comme la Bulgarie qui a un stock colossal. Avec son dumping social et environnemental, nous ne jouons d’ailleurs pas dans la même cour », assure-t-il. Avant d’ajouter : « Certains médias, qui nous ont tapé dessus à une époque, nous définissent aujourd’hui comme des sauveurs ». 

Primeurs, vente directe / Un chiffre d’affaires en chute libre

Spécialisée dans la distribution de fruits et légumes frais sur Montélimar et ses alentours, l’entreprise Pouit & Bannier a été impactée par les fermetures des établissements scolaires, puis des restaurants. « Cela entraîne une perte d’environ 70 % de mon chiffre d’affaires, indique son dirigeant, Vincent Bannier. On continue de travailler uniquement par solidarité pour les clients, comme l’hôpital de Montélimar ou les maisons de retraite. Mais, en toute honnêteté, je préfèrerais fermer et rester chez moi. Depuis lundi, j’ai mis la moitié de mon personnel en chômage partiel », précise-t-il.
Au niveau des approvisionnements, le commerçant reste prudent : « Nous gérons au jour le jour. Mais les prix commencent à augmenter car la main-d’œuvre fait défaut. Je regrette le manque de préparateurs, de transporteurs. Nous ne pouvons pas disposer de tous les produits. Et, finalement, c’est la rareté qui entraîne la hausse des prix ». Mais l’inquiétude de Vincent Bannier ne s’arrête pas là : « Nous travaillons également avec des commerçants qui font les marchés. En cas d’arrêt de ces derniers, ce serait un gros point noir de plus pour nous. Au niveau économique, nous ne savons vraiment pas comment ça va se passer. Mais le chiffre d’affaires est secondaire, la priorité est la santé de tous. »
Elodie Merlin, créatrice du petit marché de producteurs La ferme des Gamelles à Bourg-lès-Valence, a pris la décision de suspendre temporairement son rendez-vous hebdomadaire : « Environ 35 personnes viennent dans un laps de temps de deux heures. C’est très concentré et je ne veux prendre aucun risque, explique cette mère de famille de deux enfants en bas âge. Mais il est certain que j’aurai une perte sèche de trésorerie qui va me faire très mal », déplore-t-elle. 

Les salons viticoles annulés, l’agrotourisme touché…

Du côté des vignerons, l’heure est aussi à l’inquiétude. Jean-Luc Monteillet, à la tête du Domaine de Montine à Grignan, est plongé dans le doute : « Le caveau ne tourne plus, il n’y a plus personne. Tous nos clients, bars, restaurants et événementiels ont fermé. Les salons, durant lesquels nous pouvons faire un peu de trésorerie, ont tous été annulés. Cette année, il faudra faire sans. Malgré tout, les charges continueront de tomber. Le chiffre d’affaires qu’on ne fera pas pendant deux mois manquera obligatoirement en fin d’année. Le contexte me fait d’ailleurs craindre des dépôts de bilan en cascade chez mes clients… Si la situation dure trop longtemps, on se dirige vers une catastrophe économique. » Malgré tout, le viticulteur poursuit son travail dans les vignes. « En réalité, mes salariés craignent bien moins d’être ici en plein air, plutôt qu’en grandes surfaces ! »
Le Domaine de Montine, qui diversifie son activité avec la mise à disposition de gîtes, subit là aussi un coup d’arrêt. « Je viens de recevoir deux nouvelles annulations pour des réservations en avril et mai. Nous avons généralement du monde à partir de Pâques. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci. Pour l’heure, les réservations de l’été sont maintenues. Nous verrons l’évolution… », note Jean-Luc Monteillet. Touché de plein fouet, l’agrotourisme risque ainsi de subir une chute libre dans les semaines et mois à venir.
Amandine Priolet

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