L'agro-écologie : une réalité partagée

Quand la maison familiale rurale (MFR) d'Anneyron lui a demandé d'accueillir sur son exploitation la « nuit de l'agro-écologie », il a tout de suite accepté. Il faut dire qu'il aime faire parler de son métier, habitué à pareil exercice lors de l'événement « De ferme en ferme ». Eric Veyret est co-gérant de l'EARL du Creux, implantée à Albon, au nord du département. Avec sa femme Marielle, il cultive des céréales sur une surface de 30 ha (blé, orge, colza, maïs). L'exploitation familiale possède également 9 ha de vergers ainsi que 4,5 ha de légumes. Si les céréales sont collectées par la coopérative Dauphinoise, les autres productions sont commercialisées au détail, en vente directe à l'exploitation ou lors de marchés dans les départements alentours. Après avoir présenté leur activité aux participants, Marielle et Eric Veyret sont notamment revenus sur les différentes techniques agro-écologiques mises en place sur l'exploitation.
Agriculture raisonnée
L'agro-écologie allie les dimensions écologique, économique et sociale et vise à mieux tirer parti des interactions entre végétaux, humains, environnement et animaux. Depuis les années 2000, l'EARL du Creux a choisi de miser sur l'agriculture raisonnée. Elle est d'ailleurs certifiée depuis 2007. « J'ai commencé avec les légumes, c'était plus facile », confesse Eric Veyret. Il faut dire que ce dernier avait été sensibilisé quant à la protection de l'environnement lors de son BTSA spécialisé dans la protection des végétaux. « Nous ne sommes pas en agriculture biologique. Je n'ai rien contre mais le cahier des charges est très précis. Au détail, nous souhaitons aussi proposer aux consommateurs un produit le plus sain possible. Mais l'agriculture raisonnée permet de faire quelques écarts. Nous utilisons des moyens doux mais on ne s'interdit rien si cela est nécessaire. Mais il ne faut pas détruire les auxilaires », explique l'exploitant.
Lâchers d'auxiliaires
Eric Veyret préfère ainsi les moyens alternatifs aux pesticides. Sous ses serres, il n'hésite pas, par exemple, à utiliser du paillage naturel ou plastique. Il privilégie aussi l'utilisation d'auxiliaires, en mettant en place des bandes fleuries ou encore des haies d'arbustes. « Les bandes fleuries fonctionnent bien », confie l'exploitant. Des capsules à base de phéromones sexuelles femelles sont aussi utilisées afin de créer de la confusion. Afin de favoriser la pollinisation, des ruches - pour les bourdons - ont été suspendues. Sans oublier enfin l'utilisation d'engrais verts. La culture de sorgho fourrager - ou de moutarde blanche - permet de limiter l'infiltration des nitrates. Ses racines libèrent aussi des toxines, ce qui désinfecte le sol et permet de lutter contre les nématodes. Broyé et enfouit, il peut aussi libérer de l'azote.
Dans les plantations, des lâchers d'auxiliaires sont également réalisés pour lutter notamment contre les psylles des poiriers. Des haies diversifiées leur permettent de trouver de la nourriture ainsi qu'un gîte. Un hôtel à insectes trône également fièrement sur l'une de ses parcelles.
"Pas forcément plus économique"
Si ces pratiques sont plus saines pour l'environnement, elles ne sont pas forcément plus économiques que l'utilisation de pesticide. « Cela demande beaucoup d'observations, il faut rester vigilant. Nous mettons aussi en place des pièges et faisons des comptages. Lorsqu'un seuil est dépassé, nous devons traiter », précise Eric Veyret. Ce dernier veut également être soucieux quant aux différents matériaux utilisés lors des cultures. Il fait ainsi la part belle au recyclage. Il s'est donc rapproché d'Adivalor. Cette société a pour vocation d'organiser la collecte et la valorisation des intrants agricoles en fin de vie.
L'enseignement de l'agro-écologie
Dans l'assistance, des élèves de BTS de la MFR n'ont pas hésité à prendre la parole lors de discussions ou pour tout simplement poser des questions. Il faut dire que l'agro-écologie ne leur est pas inconnue. Cette thématique est en effet abordée dans l'ensemble des formations professionnelles agricoles. « En fonction des différentes cultures, on va voir quelles sont les techniques agro-écologiques qui sont possibles. Ce n'est pas isolé du référentiel, nous le présentons vraiment comme un véritable fil rouge », explique Cyril Valette, formateur à la MFR.
Les élèves, de tous les niveaux, prennent ainsi part à des cours pratiques. Ils abordent alors, entre autres exemples, les différentes techniques de travail du sol ou la mise en place de bandes fleuries. Mais pas seulement, la théorie étant aussi au programme. « Il faut en effet maîtriser les fondamentaux », poursuit Cyril Valette. Parmi ceux-ci, l'intelligence collective, la rotation des cultures, l'adaptation climatique, la biodiversité des sols, la fixation de l'azote, la gestion de l'énergie, le biocontrôle, l'agroforesterie, la biodiversité, la pollinisation, les semences durables, la synergie culture-élevage ou encore la gestion de l'eau. D'après le formateur, l'agro-écologie est déjà une réalité pour bien des agriculteurs.
A. T.
Agro-écologie / En 2015, des agriculteurs d'Etoile et Livron ont créé un groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE) en vue de réduire leur impact sur la nature tout en maintenant la performance de leurs exploitations.
Le GIEE CBC de la Véore en phase de démarrage
Le GIEE CBC de la Véore fait partie des onze groupements reconnus lors du Salon international de l’agriculture 2015, en présence du président de la République, François Hollande, du Premier ministre, Manuel Valls et du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Ce groupement, qui a participé à la première Nuit de l'agro-écologie le 23 juin, est basé essentiellement sur les grandes cultures. Il regroupe cinq agriculteurs : André Courtial, ses enfants Carine et Olivier (Etoile-sur-Rhône), ainsi que Bruno Bouchet et Alain Charre (Livron). A eux tous, ils exploitent 407 hectares. Les trois premiers produisent des céréales, tomates de plein champ, du tournesol semence. Bruno Bouchet des céréales, arbricotiers, cerisiers, de la vigne. Alain Charre, lui, est apiculteur et réalise de la pollinisation en prestations de service.
Une opportunité
« Notre démarche est partie d'une réflexion, celle de réduire notre impact sur l'environnement et les coûts de mécanisation en mutualisant du matériel, explique Bruno Bouchet, président du GIEE. L'agro-écologie nous donne des moyens pour aller dans ce sens, acquérir des outils alternatifs aux produits chimiques (pour le désherbage, l'engrais). Nous avons pu bénéficier de subventions de l’État, variables selon le matériel mais de 60 % en moyenne. C'est une opportunité pour s'équiper en matériels performants. » Ainsi, via le GIEE, ces agriculteurs ont acheté un tracteur avec autoguidage (RTK) et en ont équipé un autre pour le binage de précision et la fertilisation localisée sur le rang. Ils ont aussi investi dans des bineuses avec fertilisateurs, herse étrille, houe rotative, semoir monograin et un autre pour semis direct, un décompacteur de sol, un rouleau Faca pour détruire les couverts végétaux.
Pour le GIEE CBC de la Véore, 2016 est l'année de démarrage dans l'agro-écologie. « Nous avons commencé à utiliser les bineuses, indique Bruno Bouchet. Alors que nous craignions que ce soit compliqué, la prise en main du matériel d'autoguidage s'est très bien passée. Par contre, les fenêtres d'intervention pour le désherbage mécanique sont parfois étroites. »
Des projets
Le groupe envisage aussi de pratiquer du non-labour et des cultures intermédiaires, pour maintenir des couverts végétaux, la biodiversité et essayer de remonter le taux de matière organique dans le sol. Et la conversion en agriculture biologique d'une partie des terres à partir de 2017 est prévue. « Si nous arrivons à 30 % des 407 hectares, ce sera bien », confie Olivier Courtial.
Le GIEE CBC de la Véore réfléchit également à la faisabilité d'une unité de méthanisation traitant une partie de leurs intercultures et du fumier, lisier (en se rapprochant d'éleveurs pour des échanges avec de la paille). Le digestat serait utilisé pour la fertilisation des cultures. « C'est un élément déclencheur pour le passage en bio », explique Bruno Bouchet. Et Olivier Courtial précise : « Notre réflexion sur la méthanisation est en rapport à la fertilisation azotée en agriculture bio. » Ils projettent encore de pratiquer du stockage à la ferme de céréales et de travailler avec des courtiers « pour mieux maîtriser » la commercialisation de leurs productions.
Annie Laurie