L’approvisionnement, un enjeu à onze chiffres !
Il l’est aussi pour la restauration privée et rapide. Certaines enseignes se distinguent avec des politiques volontaristes.

Le secteur de la consommation alimentaire en France représente près de 80 milliards d'euros, soit 4 % du PIB national. La restauration commerciale pèse à elle seule 50 milliards d'euros, contre une vingtaine pour la restauration collective. Des chiffres qui donnent de l'appétit aux entreprises agroalimentaires et qui permettent de comprendre à quel point l'approvisionnement est un enjeu fort. Il se fait par trois canaux : les agriculteurs en circuits courts (515 000 selon les chiffres du ministère), les entreprises agroalimentaires (15 789) et les distributeurs grossistes (4 000).
Les actions syndicales ont mis le doigt sur l'insuffisance en approvisionnement local, voire français. Son développement passe assurément par une politique plus volontariste des restaurateurs mais aussi par le besoin d'organisation de la profession, la tendance étant clairement à la rationalisation des achats autant pour des raisons économiques que de facilité logistique (nombre de fournisseurs, etc.). Et puis, les normes réglementaires et sanitaires ne facilitent pas le recours aux petits producteurs. La collaboration entre agriculteurs et industries agroalimentaires se révèle donc indispensable pour mettre en place une filière qui valorise la proximité tout en maîtrisant les coûts, les normes et la logistique.
Stratégies variées
Dans le paysage de l'approvisionnement, l'enseigne Metro cash & Carry France, fondée en 1971 est devenue le troisième acteur mondial. Le grossiste ne propose pas moins de 45 000 références. Il n'échappe pas à la tendance du « consommer local ». L'enseigne a lancé un label « Filière région » pour ses produits de la mer, la viande et les fruits et légumes. Elle met aussi en avant son combat pour le goût en proposant 4 500 produits du terroir, soit 10 % de ses références. Évidemment, l'argumentation commerciale est affûtée. Ce que ne dit pas l'enseigne, c'est quel volume cela représente sur le total de ses ventes. Au sein de la restauration, les grandes chaînes internationales prennent désormais une place considérable, avec des politiques d'approvisionnement variables. Buffalo grill annonce 55 % de viande d'origine française. Hippopotamus a signé un partenariat avec l'AOC Maine–Anjou (race rouge des prés) et propose également de la salers et de l'aubrac. Les éleveurs sont valorisés sur le site web de l'entreprise. Du côté de Courtepaille, l'origine est diverse : la viande provient d'une demi-douzaine de pays européens, dont la France.
Mc Do, bon élève ?
Avec deux millions de repas servis chaque jour et un chiffre d'affaires annuel de 4,5 milliards d'euros, Mc Do est plus qu'un symbole, c'est aussi le premier acheteur de viande hachée du pays. L'enseigne américaine, implantée depuis 30 ans, a mis en place une solide filière d'approvisionnement qui repose à 70 % sur les produits français issus de 37 000 exploitations. Un bon chiffre permis par le dynamisme de l'industrie agroalimentaire française. Dans chaque filière,
Mc Do s'appuie sur un partenaire majeur : Mc Key pour le bœuf, Cargill pour le poulet, Est Balt pour le blé, Mc Cain pour les pommes de terre et Florette pour la salade. « Nous avons mis en place une stratégie de long terme qui repose sur une connaissance et une confiance mutuelles », résume Rémi Rocca, directeur achats-qualité-logistique. Depuis 2007, cette confiance se traduit par de la contractualisation sur une partie des volumes, y compris sur les prix, pour ne pas souffrir de la volatilité. Une stratégie pluriannuelle sur le blé et sur la pomme de terre et qui s'étend désormais aux filières animales sur des contrats d'un ou deux ans. Aujourd'hui, c'est plus le manque de disponibilité qui freine la marque dans l'expansion d'achats français. « Pour le bœuf par exemple, nous achetons aux 29 plus gros abattoirs nationaux uniquement de la partie avant de jeunes bovins et génisses, mais nous manquons de volumes(1). Pour pallier cela, nous négocions avec la grande distribution afin de mettre en place à l'avenir des achats groupés : l'avant pour nous, l'arrière pour eux. » Et si la part de bœuf français n'est pas de 100 % comme il y a quinze ans, c'est surtout parce que les volumes de vente ont augmenté, 20 000 tonnes à l'époque, 50 000 tonnes aujourd'hui.
« Mais nous sommes repassés au-dessus des 50 % de viande bovine française », se félicite Rémi Rocca. Une part qui inclut certaines opérations ponctuelles, type
hamburger charolais, des achats qui permettent de segmenter le marché, un souhait de la profession d'ailleurs. « Nous travaillons en partenariat avec les éleveurs et la filière », assure-t-il. Un travail qui s'étend jusqu'à l'amont, l'enseigne soutient des projets de fermes références visant à tester puis diffuser des bonnes pratiques, pas encore de la bio que l'enseigne ne propose pas « hormis dans les Happy Meal sur les yaourts et le jus de pomme. » Si personne n'est dupe de la stratégie de communication et de marketing qui se joue aussi sur ces aspects, on peut se poser la question : Mc Do est-il un nouveau chantre de l'agroécologie et du « manger français » ?
D. B.
(1) : Mc Do achète également de la viande bovine aux Pays-Bas et en Irlande.
Kebab : une traçabilité difficile à remonter
Depuis vingt ans, les fast-foods proposant des kebabs se sont multipliés dans les villes européennes. Ils représentent 14 % des sandwichs vendus en France avec 280 millions d’unités consommées chaque année, soit environ 50 000 tonnes de viande. « Kebab » est dérivé du mot persan « kebap » qui signifie viande grillée. En France, le kebab désigne donc différents plats préparés à base de viande marinée et grillée à la broche. Les kebabs peuvent être au veau, à la dinde, au poulet ou des mélanges comme le veau-dinde ou le poulet-dinde. Dans la plupart des restaurants kebabs, la viande est achetée à des grossistes qui proposent des broches prêtes à cuire. Rares sont les kebabs à fabriquer eux-mêmes leur broche à partir de pièces achetées chez le boucher. Mais d’où vient la viande des broches ?
Cette question posée à quelques gérants de kebab dans Lyon trouve très difficilement une réponse claire. « Personne ne m’avait jamais posé la question, explique le vendeur d’un kebab du 7e arrondissement. Et je ne connais pas la réponse. » Comme lui, nous n’avons trouvé aucun gérant capable de nous indiquer de quel pays provient la viande. Et pour cause, les broches le plus souvent congelées arrivent conditionnées par carton d’un entrepôt d’un grossiste ou des rayons d’un vendeur en semi-gros, pour un prix compris entre 4 et 5 euros le kilo. Comme c’est un produit transformé et qu’aucune réglementation n’impose d’indiquer la provenance des viandes, il est difficile d’en connaître l’origine.
Interrogés au téléphone, les quelques grossistes en broches pour kebabs situés en France ne souhaitent pas répondre à la question. Tout au plus, sur leur site internet, on trouve la mention « viande issue de la communauté européenne ». En 2013, lors du scandale sur la viande de cheval, les autorités autrichiennes avaient révélé que des broches de viandes destinées aux kebabs fabriquées par l’entreprise Lilla Gastronomie AG contenaient de la viande de cheval. Preuve que le marché d’approvisionnement pour fabriquer des kebabs est européen. Selon une enquête des douanes, 90 % de la viande consommée dans les kebabs en France provient de grossistes situés en Allemagne qui utilisent de la viande de veau d’Europe de l’est et de la viande de volaille d’Allemagne ou des Pays-Bas.
Camille Peyrache