L’arbre au service de la vigne

Au cœur des vignobles, il n'est pas rare de trouver des arbres isolés à proximité des parcelles. Les haies autour des vignes refont aussi leur apparition, leur implantation étant encouragée par les responsables professionnels, comme dans le Beaujolais, et parfois soutenue financièrement par des programmes, à l'image du Marathon de la biodiversité de la communauté de communes Saône Beaujolais dont les objectifs sont de planter 42 km de haies sur son territoire (en plus de restaurer ou créer 42 mares). Cependant, il est moins courant de voir des arbres plantés à l'intérieur même des parcelles, sur le rang ou dans l'inter-rang. Pourtant, cette démarche dite d'agroforesterie fait de plus en plus d'adeptes.
Alain Canet est le directeur de l'association Arbre & Paysage 32, spécialisée dans la mise en place de cette technique depuis une trentaine d'années maintenant. « L'agroforesterie fait partie de la boucle de l'agroécologie. Elle en est un des piliers, comme les haies, les lisières, les bosquets, etc. Qu'on soit en culture pérenne ou pas, l'arbre agroforestier va être au service de la production agricole », commente Alain Canet, présent dans le Beaujolais en début d'année pour former plusieurs viticulteurs (lire par ailleurs) sur cette association vigne-arbre qui a toujours existé. « Par définition, on dit que la vigne est une liane qui a évolué avec l'arbre. Elle est faite pour s'accrocher aux plantes », confie-t-il.
Au-delà de cette affinité naturelle, quel est l'intérêt de planter des arbres au milieu des rangs de vignes ? À vrai dire, il n'y en a pas un mais une multitude. « On répond à des enjeux climatiques, d'eau, de protection du sol, de maintien de la biodiversité, de paysage... On a besoin de protéger la vigne qui peut souffrir des excès de chaleur et d'eau, du vent aussi qui peut souffler fort parfois », illustre le directeur d'Arbre & Paysage 32. À travers cet exemple précis, Alain Canet fait référence au changement climatique et au microclimat dans la vigne. La présence d'arbres va modifier les différents flux d'énergie et avoir une influence sur le comportement de la vigne, son bilan hydrique, la durée d'humectation des feuilles ou encore l'exposition des grappes.
L'agroforesterie a donc cette aptitude à subvenir à une multitude de motivations diverses et complémentaires. Autre cas précis, le sol, l'une des principales problématiques de nombreux vignobles (érosion, pente, etc.). « Un arbre fabrique du sol, affirme Alain Canet. Autrement dit, il va créer des flux d'eau. On va aussi parler de fertilité grâce à l'apport de matières organiques (feuilles, racines fines, BRF). L'arbre va nourrir le sol, le stabiliser et le rendre vivant, à l'image des champignons et des mycorhizes. Enfin, il va capter ce CO2 que l'on a au-dessus de nous et qu'il va ensuite réinjecter dans le sol ».
« Le bon arbre au bon endroit »
Planter un arbre au milieu d'une vigne, « rien de plus facile », diront certains. Mais selon Alain Canet, le projet de plantation d'arbres, qui comprend le choix des essences et la technique de plantation et de protection, ne doit pas être négligé. « L'idée principale, c'est de planter le bon arbre au bon endroit. On estime entre 30 et 40 espèces compatibles avec la vigne. D'autres ne le sont pas. Ici, à Chiroubles par exemple, on privilégie des merisiers, des mûriers, des cerisiers, des charmes, de l'alisier torminal, du néflier, etc. En plus des bons arbres, il faut adopter les bons moyens de gestion et les bonnes densités de plantation pour ne pas mettre en difficulté la vigne. Il faut qu'elle et l'arbre rentrent en symbiose ».
Dans son « Itinéraire n°28 - Agroforesterie et viticulture », l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) confirme que le viticulteur doit se tourner vers des espèces d'arbres rustiques et adaptées aux conditions pédoclimatiques locales, en favorisant notamment une diversité d'espèces et génétique pour éviter les populations monoclonales. D'autres critères sont à suivre : l'adaptation au terroir de la vigne, l'hétérogénéité de la parcelle (humidité, profondeur...), des arbres au feuillage léger et peu concurrentiel pour la lumière, des espèces diverses pour abriter une faune auxiliaire variée. « Il faut être draconien sur la conformation et l'origine du jeune plant et j'insiste bien sur le jeune plant, mesurant entre 30 et 60 cm, avec des racines nues et élevées en pleine terre », lance Alain Canet, assurant que les jeunes plants présentent une meilleure reprise que les plants déjà âgés.
En amont, la préparation du terrain est également importante pour assurer un enracinement et un développement optimal des jeunes arbres. Selon l'IFV, « un sous-solage, puis un affinage en surface se feront préférentiellement à l'automne avant la plantation des arbres en hiver ou au début du printemps. Pour limiter la concurrence herbacée et conserver l'humidité du sol, un paillage sera déposé sur une surface de 1 m² autour des jeunes arbres. Il pourra être constitué de paille, de bois raméal fragmenté (BRF) ou d'un film biodégradable ». De même, chaque arbre sera à protéger par une protection physique contre le gibier (sanglier, lapin, chevreuil). « Dès que les arbres sont plantés, il faut impérativement les suivre durant au moins trois ans, sachant qu'une très forte majorité d'entre eux vont se développer, garantit Alain Canet. Pour ce suivi, on va apprendre à les tailler, à préparer la tête, etc. Il ne faut pas que l'arbre soit gênant pour la productivité et la praticabilité de la vigne, et pour le viticulteur dans ses travaux ».
David Duvernay
ESSAIS / Un impact positif sur la vie du sol
L’agroforesterie appliquée à la viticulture a des vertus que l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) du Sud-Ouest a tenu à démontrer dans différents contextes viticoles (source : La Grappe d’Autan, n°114 - janvier 2019). Deux vignobles agroforestiers, l’un en Gironde, l’autre en Gascogne, ont permis de réaliser cette étude. Le premier, conduit en agriculture biologique (mécanisation, hormis au niveau de la zone proche des arbres), est composé d’une parcelle de 3,5 ha, plantée en 2002 à 6 600 pieds/ha avec du merlot. En 2009, des arbres fruitiers ont été plantés sur deux rangs à la place de pieds manquants. La distance entre l’arbre et le rang de vigne le plus proche est de 1,50 m. Le second vignoble, situé à Lagardère (Gers), est constitué d’une parcelle de 2,2 ha de sauvignon gris plantés en 2008 à 4 000 pieds/ha. Trois rangs d’arbres ont été plantés la même année (cormier, alisier torminal et poirier sauvage). La distance entre la ligne d’arbres et la vigne est de 3,50 m.Pour évaluer la variabilité de la vigueur des parcelles, deux types de capteurs (le GreenSeeker® et le Physiocap®) ont été utilisés et associés à un GPS différentiel pour géolocaliser la mesure. En parallèle, des mesures de rendements et de la qualité des raisins ont été réalisées par échantillonnage en différents points des parcelles.
Première conclusion : le développement des arbres n’a pas d’effet négatif sur la vigueur de la vigne que ce soit pour l’un comme l’autre de ces vignobles. L’IFV a également analysé l’impact sur la biodiversité, les arbres contribuant théoriquement au maintien d’une grande diversité d’espèces. Ce projet a mis en évidence « des effets contrastés de l’arbre sur la répartition des ravageurs (cicadelles vertes) et de la biodiversité (insectes, araignées). […] Il n’a pas permis de conclure sur un effet tranché et uniforme de l’implantation d’arbres intra-parcellaires sur ces paramètres, dans le cas de parcelles encore jeunes ».
En revanche, la plantation d’arbres au milieu des vignes a surtout des effets positifs sur la vie du sol. « Davantage de vers de terre de type anécique et endogé ont été retrouvés sur la ligne d’arbres. On note également que les zones travaillées (inter-rang ou rang de vignes) présentent un nombre significativement moins élevé d’individus que les zones avec un enherbement permanent ». L’IFV rappelle d’ailleurs que « les vers de terre jouent un rôle important dans la dégradation et le recyclage des matières organiques en surface ou dans le sol ».
D. D.