L’élan de solidarité pour Thomas Durif
Emprisonné à Valence depuis le mois de juillet, Thomas Durif, éleveur à Crupies, peut compter sur la solidarité des agriculteurs de sa commune et de ses proches pour gérer son exploitation.

Céréales, lavandes ou élevages, les fermes habillent la « colline rocheuse », cette petite commune drômoise connue sous le nom de Crupies. Fin connaisseur de l’histoire de cette contrée, Denis Achard, 65 ans, a vécu toute sa vie aux pieds de la montagne de Jumelle. L’ancien éleveur de caprins implanté sur la commune depuis 1983 connaît aussi bien les paysages que les familles de cette campagne. En 2020, prêt à prendre sa retraite, il prépare la transmission de sa ferme à Thomas Durif, alors âgé de 20 ans, un jeune du coin.
Denis Achard se rappelle de la détermination de ce garçon, alors à la MFR de Divajeu, impatient de trouver où s’installer. Finalement, l’éleveur lui a vendu un terrain sur lequel Thomas Durif a construit un bâtiment pour accueillir une nouvelle activité d’élevage de brebis. Assez vite, le jeune agriculteur parvient à rassembler un troupeau de 160 bêtes. En parallèle, il loue le reste de l’exploitation de Denis Achard, notamment des terres pour faire pâturer ses animaux. Une transmission de ferme qui semble se passer « comme sur des roulettes »… Jusqu’au mois de juin 2024. Le jeune éleveur doit faire face à la justice : il est condamné à trois ans de prison ferme pour des faits de violences volontaires survenus en 2020.
Des soutiens à toute épreuve
Un véritable coup de massue pour Denis Achard qui considère son repreneur comme son « propre enfant » et qui se dit « prêt à tout pour lui permettre de réussir dans ce monde ». Nouveau coup dur, quelques mois plus tard, en octobre, lorsque Thomas Durif fut reconnu coupable de l’empoisonnement d’un loup et condamné à des indemnisations et du sursis. « Ça devenait une obsession pour lui. Il dormait au milieu de ses bêtes avec un sac de couchage, se rappelle le retraité. Mais il a finalement cherché à cohabiter et à développer d’autres manières de protéger le troupeau avec des chiens de protection, le déboisement et il avait d’autres idées. »
Thomas Durif s’est endetté à hauteur de 250 000 € pour la construction de son nouveau bâtiment, l’achat de matériel et de son troupeau. Impossible donc de stopper le fonctionnement de l’exploitation. « Sinon, c’était la disparition de la ferme. Une double peine pour lui », rapporte Denis Achard. Thomas Durif a donc demandé à son mentor de devenir mandataire durant sa peine de prison. « Son arrestation m’a mis dans tous mes états, confie le retraité. Mais, à 65 ans, je ne me sentais pas de la faire tourner seul avec mes soucis de santé ».
Denis Achard a été mandaté par l’éleveur pour s’occuper de ses 160 brebis et des chiens de protection. ©ME-AD26
Heureusement, il a pu compter sur les agriculteurs et les proches de Thomas Durif pour l’aider. « Tout le monde a répondu très vite, ça s’est fait naturellement », témoigne Laurent Houdart, l’avocat qui le défend. Le professionnel assure la défense du jeune agriculteur bénévolement. Il le connaît depuis son installation puisqu’il lui achetait des agneaux. Il rapporte l’image de quelqu’un « apprécié par beaucoup de monde et élu au conseil municipal ». Edmond Tardieu, agriculteur à Vesc, a quant à lui proposé de prêter son matériel. « Thomas m’avait beaucoup consulté pour l’aménagement de son bâtiment et la race des brebis. Il était très à l’écoute », se rappelle ce voisin dévoué. Ces derniers mois, un autre voisin, Kurt Hildebrandt, éleveur de chiens, a gracieusement assuré le dressage et nourris Vinci, le troisième chien de protection du troupeau de l’agriculteur emprisonné. « Un appui supplémentaire et idéal pour m’aider à contrer les attaques de loups », précise Denis Achard.
De nombreuses missions
Grâce à son matériel de semis plus « performant », les foins ont pu être réalisés plus rapidement. Deux jeunes agriculteurs, Jérémy Fargier et Jérémy Benoît assurent ce travail sur près de 130 hectares. Jérémy Benoît, considéré comme « le grand frère » de Thomas Durif, a aussi mis en ballot et stocké les foins, une « grande aide » pour Denis Achard. Cette entraide agricole, couverte par la MSA, permet à l’exploitation de Thomas Durif de tourner en son absence. « Elle durera le temps nécessaire, assure Denis Achard. L’objectif, c’est qu’il retrouve son bébé en bon état ».
Foins, transhumance, vaccination, gestion des chiens, commercialisation... La gestion de la ferme nécessite un investissement quotidien des éleveurs. ©ME-AD26
La veille de son départ en prison, Thomas Durif et son mentor ont réalisé la transhumance vers les Trois becs. Lorsque la fièvre catarrhale s’est déclarée, Denis Achard et plusieurs agriculteurs sont montés vacciner le troupeau de l’éleveur. « Il a fallu d’abord les départager car elles étaient au milieu de 500 bêtes avant de pouvoir les vacciner », se rappelle l’agriculteur mandaté. Fin septembre, l’entraide a une nouvelle fois fonctionné puisque cinq ou six agriculteurs ont redescendu le troupeau : 25 kilomètres, trois jours de marche. Enfin, il a fallu gérer le déparasitage puis le départ à la lutte durant trois semaines avant de renvoyer les animaux pâturer dans les champs.
Pour la commercialisation de la viande issue de son élevage, avant son emprisonnement, l’éleveur livrait ses clients en caissette. Aujourd’hui, pour limiter la charge de travail, ses agneaux partent en engraissement à la coopérative Agneaux soleil. Ava, la mère de Thomas Durif, se charge de la commercialisation de la lavande de son fils à travers « Pépites d’Ava », une entreprise qu’elle vient de monter. De quoi valoriser la production des trois hectares de cette plante à parfum que possèdent Thomas Durif. « Ça me met la chair de poule rien que d’y penser, témoigne Ava, la mère de Thomas. C’est extraordinaire cette solidarité. C’est un très beau geste ».
M.E.
« Le berger » de la prison
Selon ses soutiens, l’éleveur serait surnommé « le berger » par les autres détenus de la prison de Valence. L’établissement aurait fait appel à ses conseils alors que des moutons viennent entretenir ses espaces verts. De là, Thomas Durif aurait proposé à la direction un projet de création d’ateliers pour valoriser la laine. « Cela illustre l’esprit qui l’anime », estime Laurent Houdart, son avocat. En plus des visites une fois par semaine, sa famille et ceux qui le soutiennent lui concoctent chaque mois un peu de lecture. Ils lui envoient « La gazette de la Vialle », un journal créé de toute pièce qui met en avant la vie quotidienne sur la ferme, celle de sa famille et les loisirs. Brèves, chasse, pêche, champignons et même une photo de Mike Horn qui lui dédicace un livre. « Ce soutien, c’est pour lui permettre de tenir et de se projeter », rapportent ses amis.
Sa famille et ses amis lui envoient chaque mois « La Gazette de la Vialle », un condensé de photos et d’articles pour le soutenir. ©Denis Achard