L'expérimentation via CulturTruf

CulturTruf est un projet d'expérimentation coordonné par l'Inrae*, en collaboration avec la fédération française des trufficulteurs (FFT), le CTIFL** et financé par FranceAgriMer (FAM), explique Flora Todesco. Cette jeune femme est présidente et co-fondatrice avec Claude Murat (ingénieur de recherches Inrae Grand-Est et coordinateur de CulturTruf) de la start-up Wetruf SAS.
Après une première phase de trois ans (2016 à février 2019), CulturTruf a été reconduit pour la même durée (2019-2022), avec également un financement de FAM. Ce programme consiste à étudier l'effet des techniques culturales sur le cycle biologique de la truffe et sur le régime hydrique du sol, entre autres pour gérer l'arrosage dans les truffières. Pour ce faire, des sites expérimentaux sont en place dans toutes les régions trufficoles françaises. Ces sites sont suivis soit directement par les trufficulteurs, soit par les conseillers en trufficulture locaux, le tout sous la supervision d'Inrae. Ils sont équipés de sondes (tensiomètres restant à demeure dans la terre) et d'enregistreurs sur le terrain pour suivre le potentiel hydrique (pF***) dans le sol. Ces enregistreurs envoient à distance des données de température et d'eau disponible dans le sol.
Première phase (2016-2019)
Après la mise en place d'une vingtaine de sites CulturTruf, les trois premières années de l'expérimentation ont surtout visé à observer comment les trufficulteurs géraient leurs truffières, surtout l'arrosage, sans pour autant qu'ils aient accès aux données des sondes. Les premières données ont montré que la plupart des trufficulteurs arrosaient autour du seuil de pF 4. Les premiers tests ont principalement eu lieu sur truffe noire. « Les trois premières années d'expérimentation ont permis de trouver ce seuil, indique Flora Todesco. A pF 4, on est juste en dessous du point de flétrissement dans le sol où la terre est vraiment sèche et l'eau n'est plus suffisamment disponible pour être extraite par les organismes vivants. Donc, le point où la truffière doit être irriguée. Cette gestion de l'arrosage a permis aux trufficulteurs du réseau d'avoir des productions normales après les sécheresses très fortes de 2017 et 2019. Enfin, un autre résultat important a été de démontrer que, si la truffe a besoin d'eau, il s'agit d'une culture économe puisque il en aura fallu entre 300 et 1 000 m3 par hectare pour passer ces deux années sèches, soit bien moins que pour beaucoup d'autres cultures. »
Deuxième phase (2019-2022)
Pour la deuxième phase de CulturTruf, le dispositif expérimental a été renforcé avec huit sites supplémentaires. Les objectifs de CulturTruf 2 sont de : valider expérimentalement le seuil d'arrosage de pF 4 pour la truffe noire (Tuber melanosporum) ; tester expérimentalement le seuil d'arrosage de pF 3 pour la truffe de Bourgogne (Tuber aestivum var uncinatum) ; tester des ombrages et des paillages destinés à diminuer la température du sol et maintenir son humidité afin de préserver au maximum la ressource en eau. Depuis 2016, trois sites on été installés en Auvergne-Rhône-Alpes : deux pour la truffe noire (dans la Drôme et l'Ardèche) et un site en truffe de Bourgogne (dans le Puy-de-Dôme).
Annie Laurie
* Inrae : institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.
** CTIFL : centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.
*** pF : valeur de 1 à 6 sur les cultures, en général. Cette valeur est inversement proportionnelle à la disponibilité de l'eau. Autrement dit, plus elle est élevée, moins l'eau est disponible. Le pF 2 correspond à une pleine capacité d'eau dans le sol.

Comme innovation, Wetruf a, entre autres, développé un outil pour gérer l'irrigation dans les truffières, qui est sur le point d'être commercialisé et a d'ailleurs été présenté à l'assemblée générale de la fédération Auvergne-Rhône-Alpes des trufficulteurs (Farat) le 13 mars à Bourg-lès-Valence. « Il s'agit, dans un premier temps, d'un lecteur (par la suite, nous aurons aussi un enregistreur) qui mesure le potentiel hydrique (pF) dans le sol grâce à des sondes à plâtre (différentes des sondes utilisés dans le projet CulturTruf qui, elles, sont bien plus coûteuses), indique Flora Todesco. On a aussi développé une formule de calcul précise pour lire le pF dans le sol. Le projet a été initié sous Inrae puis mis dans les mains de la start-up pour l'amener à terme. »

Wetruf a développé une deuxième innovation : le diagnostic moléculaire de différentes espèces de truffes. « Par une analyse ADN, nous pouvons identifier/discriminer différentes espèces de truffes, explique Flora Todesco. C'est un kit ADN, un protocole de biologie moléculaire, qui fait l'objet de notre deuxième licence de savoir-faire avec l'Inrae. Les applications de ce diagnostic, c'est la confirmation de l'espèce de truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum) qui est très proche de deux autres, Tuber brumale et Tuber indicum (la truffe de Chine) ; c'est pourquoi la discrimination est importante. Ce test est réalisable sur la truffe, le sol ou les racines. Cette technique peut également être utilisée pour identifier une espèce inconnue. Parallèlement, nous travaillons toujours sur la recherche et le développement de nouveaux outils de ce type pour aller plus loin dans l'identification des espèces de truffes. »Partenaire de la filière
Vis-à-vis de la filière trufficole, « Wetruf se veut un partenaire privilégié, confie encore Flora Todesco. D'ailleurs nous sommes en lien direct avec la FFT et les différentes fédérations régionales, dont la Farat. Et nous assurons maintenant les formations au CFPPA du Pradel (en Ardèche) réalisées dans le cadre du plan de filière truffe signé avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes ». Et de résumer : « Wetruf fait le lien entre la science et la culture ».A. L.
Truffières /Stocker l'eau pour arroserPour les trufficulteurs, « deux des trois dernières saisons (2019-2020 et 2017-2018, à cause de la sécheresse) ont été particulièrement médiocres en termes de production, déplore le président de leur fédération Auvergne-Rhône-Alpes (Farat), Didier Roche. Surtout sur le Sud-Drôme où très peu de truffières ont accès à l'irrigation ».
Au niveau de la Farat, « l'une des pistes, explique-t-il, est de pouvoir inciter les trufficulteurs, dans un cadre légal, à stocker l'eau pluviale (d'un bâtiment ou ruisselant dans un fossé, par exemple) l'automne, l'hiver, au printemps pour l'utiliser l'été suivant. Cela, avec des bâches plastiques dimensionnées de façon à avoir suffisamment d'eau pour arroser pendant un été très sec. D'où l'intérêt des sites expérimentaux et du programme CulturTruf. Selon l'analyse faite dans ce cadre, environ un mètre cube d'eau par arbre est nécessaire par saison pour obtenir une production de truffes digne de ce nom ; ce qui est peu ».A. L.