L’unique élevage de grenouilles en France

C'est une histoire de passion qui a poussé Patrice François à se lancer dans l'élevage de grenouilles. Ce fils de pisciculteur est également poissonnier à Roanne, dans la Loire. Il lui a fallu dix ans pour parvenir à lancer ce projet d'élevage, afin de réunir les autorisations nécessaires et les financements. Pendant sa préparation, il a fait une rencontre cruciale, celle d'André Neveu, chercheur à l'Inra et spécialiste en raniculture. C'est d'ailleurs l'Inra de Rennes qui lui a fourni la souche de grenouilles de son élevage. L'institut de recherche a sélectionné en 1992 cette souche de grenouille domestique destinée à l'élevage. « C'est grâce aux travaux des scientifiques de l'institut national de la recherche agronomique (Inra) de Rennes que j'ai pu relever ce défi. L'espèce que nous élevons est la grenouille verte rana ridibunda. Mais elle est issue d'une souche spéciale, baptisée rivan 92, obtenue par sélections successives. Contrairement à sa cousine sauvage, qui se nourrit d'insectes, cette espèce peut manger des granulés destinés à l'aquaculture, composés de farines de poisson et d'oléagineux. »
Un marché potentiel très important
Installé à Pierrelatte, l'élevage de Patrice François s'étend sur 2 500 m² et se compose de 80 bassins. Cela a nécessité un investissement initial de 250 000 euros en 2010. Près de 80 000 grenouilles par an sont élevées dans des eaux maintenues à une température comprise entre 18 et 22 °C. « Au début, nous utilisions l'eau de refroidissement de la centrale nucléaire toute proche, explique le raniculteur. Depuis deux ans, nous utilisons une eau chauffée par une centrale à bois qui la produit par cogénération. En termes d'image, c'est beaucoup mieux, même si ça ne change rien pour l'élevage. » L'élevage « Grenouilles de France » produit ainsi environ quatre tonnes de grenouilles fraîches vendues à la restauration française. En France, environ 800 tonnes de cuisses de grenouilles fraîches sont consommées chaque année en provenance de la pêche artisanale de Turquie et 4 000 tonnes de cuisses congelées, dont la plupart viennent d'Asie ou d'Egypte. « Ici je n'utilise aucun produit phytosanitaire, souligne l'éleveur. Qualitativement parlant, nos grenouilles sont beaucoup mieux que celles importées. D'ailleurs, je n'arrive pas à satisfaire la demande des restaurateurs. Je souhaiterais augmenter la production pour atteindre 20 tonnes dans quelques années. »
Un produit haut de gamme
Malgré la forte demande et un prix de vente du produit élevé – la cuisse de grenouille fraîche importée se négocie autour de 28 euros/kg à Rungis et se vend au minimum à 50 €/kg au consommateur - l'élevage de Patrice François n'a pas encore trouvé son équilibre économique. « Cela reste un élevage très complexe, confie le raniculteur. Nous avons dû tout apprendre depuis le début, sélectionner notre propre aliment et inventer des procédés pour l'élevage. Malgré tout, nous rencontrons encore des difficultés zootechniques à différentes étapes de l'élevage, parfois les pontes sont peu fertiles. » Il faut également veiller de près à la protection des têtards puisque la rana ridibunda présente très tôt un comportement cannibale. Cela provoque des pertes importantes au niveau des têtards, seuls 20 % d'entre eux se métamorphosent en grenouilles.
Enfin, c'est un élevage assez long puisqu'il faut environ neuf mois pour aller du têtard à la grenouille adulte de 90 g, dont huit mois en bacs de grossissement pour devenir adulte. Sur place, un salarié s'occupe de l'élevage, de l'abattage et de la découpe des grenouilles à temps plein, tandis que Patrice François travaille une quinzaine d'heures sur l'élevage à Pierrelatte, le reste du temps il est dans sa poissonnerie à Roanne. Deux projets d'élevage de grenouilles devraient voir le jour dans les mois qui viennent en Basse-Normandie. Dans les deux cas, les porteurs de projet ont rendu visite à Patrice François. « Il y a de la place pour l'élevage de grenouilles fraîches en France, le marché est demandeur. Mais il faut avoir conscience que c'est un élevage plus compliqué qu'il n'y paraît », conclut-il.
Camille Peyrache
CHRISTOPHE MARGUIN / La grenouille s’affiche toujours comme le produit emblématique de la restauration dombiste. Christophe Marguin, chef connu et reconnu comme fervent défenseur de la cuisine gastronomie française, témoigne.
“ La grenouille, incontournable de la carte ”

Prêt à s’approvisionner localement
Christophe Marguin ne fait pas exception. Le chef s’explique : « Actuellement je travaille avec la poissonnerie Grandguillaume de Neuville-sur-Saône. Les grenouilles sont produites en Turquie. Elles arrivent fraîches chez nous. La grenouille reste un produit phare du restaurant, c’est un plat emblématique ». Christophe Marguin propose trois recettes à sa carte : les grenouilles en persillade poêlées au beurre AOC de Bresse, la galette de pommes de terre croustillante aux grenouilles désossées, et l’omelette des Dombes aux grenouilles désossées. Interrogé sur la pertinence de la relance d’une filière locale de production et la possibilité d’acheter plus cher des grenouilles françaises, il répond : « C’est dommage qu’il n’y ait qu’un seul éleveur en France, Patrice François poissonnier à Roanne. Je sais qu’il a déposé le nom “ Grenouilles de France ” et qu’il recherche des terrains en Dombes. Il n’en produit malheureusement pas assez pour pouvoir s’approvisionner régulièrement. Oui, je serais prêt à m’approvisionner localement, et je serais vraiment content de faire la promotion des grenouilles de la Dombes. Quant au prix, le problème aujourd’hui, c’est que les gens ne se rendent pas compte du fait que la grenouille reste l’un des produits les plus chers. Ça coûte aussi cher que du homard mais ça n’a pas l’image du produit de luxe ». Patricia Flochon
