« La concentration cellulaire dans le lait n’est pas une fatalité »
Au cours de deux journées caprines organisées fin octobre, le Criel, Auvergne-Rhône-Alpes élevage et d’autres partenaires ont présenté études et témoignages d’éleveurs pour gérer au mieux la santé des troupeaux.

© Zoé Besle
Depuis plus de cinq ans, des études sont menées en Auvergne-Rhône-Alpes sur la concentration cellulaire dans le lait des chèvres. Cette concentration augmente dans le lait lorsque des bactéries pénètrent dans les mamelles, la chèvre produisant plus de globules blancs en réponse à l’attaque. Un problème dont il est parfois difficile d’identifier les causes, mais qui peut être amélioré par plusieurs facteurs. « La concentration cellulaire dans le lait n’est pas une fatalité : les éleveurs qui s’en tirent le mieux avec ce problème sont ceux qui arrivent à avoir une vision globale de la santé et du bien-être de leur troupeau », a constaté Benjamin Deltour, vétérinaire libéral, lors d’une intervention à Ouroux (Rhône) le 26 octobre. Lors de cette journée, organisée par le Criel, Auvergne-Rhône-Alpes Elevage et d’autres partenaires comme l’Anicap (association nationale interprofessionnelle caprine), la Région Aura ou la Fidocl (Fédération interdépartementale des entreprises de Conseil élevage du Sud-Est), une vingtaine d’éleveurs laitiers ont pu assister à la présentation d’études régionales menées sur la concentration cellulaire et échanger sur leurs pratiques.
De la chèvrerie à la salle de traite, une bonne hygiène est primordiale pour la santé des animaux. © Zoé Besle
Une étude sur 356 exploitations
L’étude menée sur le territoire s’est déroulée en deux temps : une analyse statistique a d’abord été menée sur une base de données anonyme, rassemblant les concentrations cellulaires des laits de 356 exploitations entre 2010 et 2017, soit environ 72 % des livreurs en Rhône-Alpes. Les données provenaient du laboratoire Agrolab’s, des laiteries Agrial, Fromagerie de la Drôme et Fromagerie Guilloteau ainsi que de la Fidocl. Suite à cette analyse, qui a eu lieu en 2018, une enquête de terrain a été menée en 2019 auprès de dix-huit éleveurs. Dix d’entre eux, qui faisaient partie du groupe A, avaient des concentrations de cellules stables, inférieures à 1,2 million en 2016. Huit autres éleveurs, sur un total de 34, faisaient quant à eux partie du groupe B, avec des concentrations cellulaires supérieures à 1,2 million de cellules en 2016, mais qui ont amélioré leur numération cellulaire entre 2010 et 2016.
Des bêtes bien installées
Pour gérer au mieux les concentrations cellulaires dans le lait, il n’existe malheureusement pas de remède miracle. Les éleveurs enquêtés du groupe A, qui avaient de bonnes moyennes, n’ont pas de pratiques communes à tous ni un élément spécifique par lequel ils peuvent expliquer leur gestion maîtrisée. La clé du succès réside dans une gestion multifactorielle, dans laquelle l’hygiène, la surveillance et le confort jouent un rôle clé. Pour pouvoir observer ce dernier facteur, l’étude de terrain menée auprès des dix-huit éleveurs des groupes A et B a filmé certains élevages en continu durant des journées entières. Ces vidéos, réalisées en 2018 et diffusées lors de la journée caprine à Ouroux, permettent d’identifier différents problèmes chez les éleveurs audités : mauvaise répartition du couchage chez les uns, compétitions à l’auge chez les autres, abreuvoirs insuffisants ou présence de courants d’air dans la chèvrerie... « Tous ces facteurs peuvent influer sur la quantité et la qualité du lait produit par les chèvres : chez un des éleveurs filmés, où les couchages étaient compliqués, les éleveurs ont observé que leurs bêtes chutaient en lait », constate Séverine Fontagnères, conseillère élevage dans le Rhône. La gestion du stress, qui peut influer directement et indirectement sur la concentration des cellules, passe donc par un confort augmenté des bêtes. L’intervenante a rappelé quelques bonnes pratiques en la matière : la surface paillée par chèvre doit être de 1,5 à 2 mètres carrés à l’âge adulte, avec un objectif minimal d’1,65 mètre carré. « Il faut également compter un abreuvoir pour 25 bêtes, et se rappeler que les chèvres craignent plus le chaud que le froid, la température ne doit pas excéder les 15 °C pour les adultes », complète Séverine Fontagnères.
Une hygiène irréprochable
C’est un autre facteur clé pour le bien-être des chèvres : un curage régulier et un paillage conséquent – de 700 grammes à 1 kg par jour et par chèvre – réalisé avec une paille sèche et non humide sont autant d’assurance d’une meilleure santé du troupeau. La régulation de la biosécurité passe aussi par la limitation et le contrôle des pathogènes extérieurs. Sur ce volet, plusieurs témoignages d’éleveurs ont été recueillis et présentés lors de la journée caprine. Parmi eux, Pierre Pascal, éleveur à Crest dans la Drôme, dont la gestion biosécuritaire est draconienne. « Je ne fais aucune introduction sur mon élevage, uniquement des inséminations. Aucune personne étrangère à l’exploitation ne peut y rentrer, et j’ai des bottes dédiées pour les visiteurs occasionnels comme les vétérinaires », explique-t-il en vidéo. Des propos qui n’ont pas manqué d’interpeller l’assistance dans la salle. « Je pense que cet éleveur laitier n’est pas fromager. Sur mon exploitation, je transforme et je fais de la vente en direct, je ne peux pas empêcher mes clients de voir les chèvres, l’accueil est essentiel pour mon activité », a réagi un éleveur suite à ce témoignage. « Il ne faut peut-être pas tomber dans l’excès et s’isoler encore plus que nous ne le sommes déjà », a ajouté un autre agriculteur. Le vétérinaire Benjamin Deltour a rappelé que chaque élevage était différent, mais a souligné le bon geste de prêter des bottes aux vétérinaires, qui sont particulièrement exposés aux pathogènes. Dans la Drôme, où il exerce, une opération « J’habille mon véto » avait été lancée il y a quelques années. Cette convention entre un groupement d’éleveurs et des vétérinaires partenaires était pour lui bienvenue. « Généralement, nous n’avons pas de bottes à disposition mais on amène nos propres pédisacs (protèges-bottes). La biosécurité est généralement plus poussée dans les élevages industriels de porc ou de volaille, mais c’est quelque chose d’encore peu pris en compte chez les éleveurs de chèvres et de ruminants en général », témoigne le vétérinaire. « Si besoin de montrer des chèvres il y a, on peut envisager de laisser un animal réformé à destination du public, où alors des animaux qui sont les moins à risque du troupeau ».
Quid du pâturage ?
L’hygiène, c’est aussi une alimentation de qualité : enlever les refus des rations tous les jours (et ne pas les remettre dans le paillage), avoir un fourrage de qualité en quantité abondante et ne pas abuser des repas à base de concentré - quatre maximum par jour, espacés de trois heures minimum – assurent aux chèvres une meilleure santé. À noter que si les concentrations cellulaires sont généralement plus élevées chez les chèvres qui pâturent, ce n’est pas pour autant que tous les troupeaux d’extérieur sont en moins bonne santé. Chez les éleveurs du groupe A, dont les concentrations cellulaires sont stables, une majorité de chèvres sont au pâturage. « C’est un facteur qui peut jouer, mais pas dans tous les cas : le pâturage rajoute juste de la difficulté », complète Benjamin Deltour.
Z. Besle
Le tarissement, un moment clé
Lors du tarissement, c’est la qualité de la prochaine lactation qui se joue. Il est donc primordial que celui-ci se passe dans les meilleures conditions : la mise en place d’un plan alimentaire progressif, qui commence quelques semaines avant le tarissement, ainsi que le passage éventuel en monotraite quelques jours avant son arrêt total, peuvent grandement influer sur le succès de l’opération. Une étape qui ne doit néanmoins pas excéder deux mois. « Le repos de la mamelle est primordial : après la dernière traite, un bouchon de kératine se forme, qui va progressivement obturer le canal du trayon, cette obturation étant majoritairement observée sept jours après la dernière traite. Il ne faut donc surtout pas retraire ! » a rappelé Clémence Duplessy, technicienne qualité Agrial. Pendant cette période, les cellules sécrétrices se régénèrent et les défenses immunitaires se développent, ce qui peut aider à soigner des chèvres infectées.
Z. B.