Accès au contenu
Zoonose

La fièvre charbonneuse à la loupe

Depuis fin juin, une quinzaine de foyers de fièvre charbonneuse ont été détectés sur des bovins, des ovins et des équidés dans le département des Hautes-Alpes. Le point sur cette maladie aussi surprenante que destructrice.
La fièvre charbonneuse à la loupe

En France, des foyers de fièvre charbonneuse sont régulièrement détectés dans certaines régions et surviennent généralement de manière occasionnelle. Le nombre de cas identifiés varie selon les années (0 à 5 par an) mais une conjonction de conditions climatiques et géologiques peut parfois donner lieu à des résurgences multiples groupées, telles que constatées cet été 2018 dans le département des Hautes-Alpes. Les derniers épisodes recensés en France étaient situés en Moselle et Cantal (2016) et Haute-Marne (2017).

Les spores de la fièvre charbonneuse peuvent résister des dizaines d’années dans le sol et ressurgir à la faveur de conditions climatiques ou écologiques particulières, ou d’activités humaines.

Qu'est-ce que la maladie du charbon ?

La fièvre charbonneuse ou charbon bactéridien est une zoonose (maladie commune à l'homme et à l'animal) qui affecte les mammifères et principalement les herbivores. Elle est due à la bactérie Bacillus anthracis qui a la particularité de persister sous forme de spores dans l'environnement et particulièrement dans les sols. Ces spores peuvent résister des dizaines d'années dans le sol et sont susceptibles de remonter en surface à la faveur de conditions climatiques ou écologiques particulières (alternance de sécheresse et de fortes précipitations), ou d'activités humaines.
Lorsque l'animal ingère les spores, la bactérie se réactive et se multiplie dans l'organisme. On parle alors de septicémie. La maladie se manifeste chez les animaux sous la forme notamment d'une forte fièvre, avec des symptômes généraux, circulatoires, hémorragiques, digestifs et urinaires, et évolue rapidement vers la mort, en deux ou trois jours.

Mode de contamination

Les animaux contractent la maladie surtout en ingérant de l'herbe ou de la terre contaminée par les spores. L'existence d'une lésion des muqueuses est nécessaire à l'initiation de l'infection. Une fois ingérées, les spores peuvent germer en pénétrant le corps de l'animal par des plaies et provoquer la maladie. La transmission entre animaux est très rare. Les cas surviennent donc habituellement de manière occasionnelle.

Les sources de contamination

Une carcasse d'animal mort est une importante source de contamination de l'environnement in situ, mais aussi à distance par dispersion de spores par les charognards ou par la pluie qui entraîne et concentre les spores dans les parcelles en contrebas. La dispersion des spores dans la terre est aussi assurée par les vers de terre et la microfaune qui ramènent à la surface les spores des carcasses enterrées. Les aliments (fourrages et pailles contaminés) ou les sous-produits d'origine animale (poudres d'os ou farines) ont pu être également des sources de contamination animale à distance du foyer initial.
Une saison sèche, où l'herbe est courte, piquante, broutée avec des petits gravillons, succédant à de fortes pluies qui ont concentré des spores dans ce qu'on appelle les « champs maudits » serait ainsi particulièrement propice à l'apparition de cas chez les ruminants.

Et chez l'homme

Chez l'homme, trois formes de fièvre charbonneuse sont décrites : cutanée (escarre noirâtre), intestinale et pulmonaire. La forme cutanée, la plus fréquente, est le plus souvent liée à la manipulation sans précaution d'animaux morts ou de produits d'origine animale contaminés. Que ce soit chez l'animal ou chez l'homme, les antibiotiques sont efficaces contre la fièvre charbonneuse. Le meilleur moyen pour éviter qu'un animal se contamine reste la vaccination des troupeaux.
En cas de suspicion (fièvre en pâture, mortalité brutale, syndrome hémorragique...), il est primordial de prévenir son vétérinaire sanitaire.

 

Laura Cauquil, vétérinaire conseil du GDS 38

 

TÉMOIGNAGE / Plusieurs dizaines de bovins sont morts au cours de l’été dans les Hautes-Alpes en raison d’une contamination à la fièvre charbonneuse ou maladie du charbon. La source n’est pas encore connue mais les conséquences, elles, le sont.  

Pas de collecte de lait pour les exploitations victimes

«Rien ne doit rentrer ni sortir de l’exploitation », explique un éleveur laitier(1) des Hautes-Alpes. Les exploitations touchées ont été mises en quarantaine. Justifiée en raison du risque de contagion, cette mesure est drastique pour l’agriculteur. Elle bloque la collecte de lait ainsi que la vente de vaches de réforme et de veaux. Les vaches restent également dans l’étable pour limiter les échanges. La dureté de la sanction varie cependant selon l’organisme collecteur.
Sodiaal et Lactalis ne collectent pas
« Les fromageries privées collectent le lait mais le traitent. Sodiaal ne collecte pas le lait mais rémunère tout de même les éleveurs. Lactalis ne collecte ni ne rémunère les éleveurs durant la quarantaine », ajoute-t-il. S’il n’est pas collecté, le lait doit être détruit selon les recommandations sanitaires. L’éleveur doit le verser dans la fosse à lisier ou l’épandre sur son tas de fumier durant la durée de la crise. Plusieurs échanges ont eu lieu entre les organismes sanitaires tels que la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), la direction départementale des services vétérinaires (DSV) ou le Groupement de défense sanitaires (GDS), pour déterminer si le lait pouvait être consommé et sous quelles conditions. Selon eux, si le lait des exploitations touchées est pasteurisé, il peut être en réalité vendu. Même si la quarantaine est compréhensible, le refus de collecte des deux grands groupes ne passe donc pas auprès des agriculteurs.
Fonds de solidarité
Sans collecte, se pose la question de la rémunération de l’éleveur durant la crise. Afin de soutenir les éleveurs concernés, un fonds de solidarité devrait se mettre en place au niveau national. « Le but est de prendre en charge les vaccins, la perte des animaux ainsi que la rémunération de l’éleveur », explique notre interlocuteur. Mais là encore, la maladie du charbon n’est pas le seul problème. « Nous pensons que ce fonds de solidarité doit directement revenir à l’éleveur. Or, Lactalis souhaite faire une avance de rémunération aux éleveurs touchés et obtenir le fonds de solidarité par la suite », annonce-t-il. Le choix de rémunération est d’autant plus important que la mise en quarantaine est longue. Elle doit durer un minimum de 21 jours. Si cette période est précise, c’est qu’elle dépend du temps d’inoculation du vaccin. Toutes les bêtes présentes dans l’exploitation touchée ont été vaccinées contre la fièvre charbonneuse en urgence. Ce vaccin demande une vingtaine de jours pour être pleinement efficace. Durant ce temps, certaines bêtes peuvent encore mourir. Les exploitations installées à proximité sont aussi enjointes à faire vacciner leurs vaches laitières afin de limiter les risques de contamination. Même si les autres exploitants sont plus éloignés de la zone contaminée, chacun redouble de vigilance lors de la vente de leurs animaux.
De nouvelles analyses médicales
Les éleveurs touchés sont en quarantaine depuis fin juillet. Lors du décès d’une vache, une analyse est faite pour confirmer les soupçons. Après une analyse menée dans le laboratoire régional, une confirmation de résultat est effectuée au niveau national avant la déclaration de mise en quarantaine. Pour lever celle-ci, de nouvelles analyses médicales devront être faites. La levée de la sanction devrait donc se faire début septembre après concertation des organismes collecteurs, sanitaires et représentants des éleveurs. Selon l’éleveur laitier des Hautes-Alpes, « cela a été une grosse frayeur mais le plus gros de la crise est derrière nous ». 
Virginie Montmartin
(1) L’éleveur a souhaité garder l’anonymat.