La filière cunicole en plein tournant

«Je n'ai pas trop à me plaindre, l'abattoir tient ses cahiers d'abattage à jour », annonce Clément Reynaud, cuniculteur à Crest. Pour l'éleveur de 500 mères, la situation est assez fluide puisque ses animaux sont partis à l'abattoir en début de confinement. « Pour l'heure, je n'ai pas été impacté par des hausses de prix ou des délais de paiement, avoue-t-il. Mais la situation est critique pour les différents débouchés... ».
En effet, les abattoirs sont les premiers concernés par une baisse importante de la consommation et se voient dans l'obligation de congeler leurs stocks. « Ce n'est pas une solution viable à long terme. D'une part, cela coûte cher aux entreprises et, d'autre part, au moment venu, il faudra brader les produits. Tout le monde est perdant », assure Frédéric Douce, directeur du groupement Lapalliance, basé à Crest. Né d'une fusion entre la coopérative Gelap-Union et la Sica* Lapins Sud-Est (LSE), ce nouveau groupement de producteurs englobe 47 éleveurs des régions Auvergne-Rhône-Alpes (64 %), Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, pour une moyenne de 22 000 cages mères. « La commercialisation représente 1 141 000 lapins, pour un chiffre d'affaires estimé à six millions d'euros », précise Frédéric Douce.
« Une question de survie »
La commercialisation se retrouve d'ailleurs perturbée par la crise sanitaire liée au Covid-19. « Les chiffres ont explosé lors de l'annonce du confinement, les consommateurs ont fait le plein. S'en est suivie une deuxième semaine catastrophique, avec un taux de réachat très bas, ce qui a conduit les abattoirs avec lesquels nous travaillons à congeler près de 15 % de la production, ajoute Frédéric Douce. Depuis la troisième semaine, le marché s'est rééquilibré, même s'il est toujours très tendu. Il dépend essentiellement du comportement des consommateurs, très particulier en cette période. Il est donc difficile de s'adapter. »
En plein tourment, la filière n'a pourtant d'autres choix que de répondre aux tendances du marché. Si les grandes et moyennes surfaces devraient prochainement pouvoir référencer la viande de lapin dans leurs drives, la filière cunicole trouverait ici une bouffée d'oxygène. « Aujourd'hui, c'est une question de survie. Nous devons nous adapter à ces nouveaux modes d'achat qui, selon moi, vont perdurer dans le temps », assure-t-il. Par ce biais, le responsable du groupement estime même qu'il y a « une carte à jouer, en touchant éventuellement une clientèle jeune, peu habituée à consommer de la viande de lapin ».
Pour autant, les interrogations sont profondes quant à l'avenir des productions. Faut-il ralentir l'élevage ? Poursuivre la production en tant que telle ? « Nous ne connaissons malheureusement pas l'avenir de la commercialisation. Malgré tout, cette crise va nous faire prendre des virages en productions animales. Il y aura un avant et un après. C'est incontournable », conclut Frédéric Douce. Reste à voir comment la filière cunicole, déjà affaiblie, saura rebondir et répondre aux attentes.
Amandine Priolet
* Sica : société d'intérêt collectif agricole.