La filière pépinière Ppam se dessine un bel avenir

Depuis quelques années, la baisse du prix des céréales et les charges importantes que doivent supporter les exploitations, notamment en production de semences (main-d'œuvre, irrigation...), ont modifié considérablement le paysage drômois. Des agriculteurs ont tendance à délaisser les grandes cultures au profit de l'or bleu, la lavande ou le lavandin. « Cette situation commence à entraîner une saturation du marché de l'huile essentielle, notamment en lavandin et lavande produits en conventionnel. Pour ces dernières, les prix sont déjà en baisse, situation que l'on n'avait pas connue depuis onze ans. Il est important de diversifier les plantations en plantes aromatiques mais également en plantes médicinales qui peuvent très bien s'intégrer dans une rotation grandes cultures », explique Aurore Magnon, conseillère spécialisée en grandes cultures et Ppam à la chambre d'agriculture de la Drôme.
Un métier tout particulier
Force est de constater que la demande émanant du terrain en termes de plants est grandissante, à tel point qu'on entend encore aujourd'hui parler de pénurie de plants. « Certains producteurs me disent qu'ils ne pourront pas planter de lavandin avant l'année prochaine, d'autres qu'ils n'auront pas de plants de lavande maillette en agriculture biologique avant 2022... », poursuit la jeune femme. Pour autant, cette activité pépinière est encore peu connue et propose, à elle seule, un métier tout particulier, nécessitant un « investissement humain, une minutie et une traçabilité rigoureuse nécessaire pour faire perdurer la filière Ppam ainsi que des facteurs indispensables à la réussite : l'irrigation, le savoir-faire technique, la main-d'œuvre saisonnière... », note Aurore Magnon.
C'est en ce sens que la chambre d'agriculture de la Drôme propose un accompagnement et des conseils aux nouveaux installés mais aussi aux producteurs de longue date. « Il est important pour moi de pouvoir les orienter, les aiguiller dans la bonne direction dès le départ mais aussi prendre le temps de les écouter, de les rassurer et de les accompagner face à ce qui est, très souvent, l'inconnu pour eux. Cela va de l'aide administrative pour les dossiers de subvention à un appui technique en fonction de leurs besoins ».
Garantir une équité entre producteurs
La chambre d'agriculture de la Drôme et le Crieppam(1) proposent des formations aux jeunes installés. De plus, ils peuvent bénéficier d'une aide dans le montage du dossier de certification plants sains et dans l'étude économique et de marchés. Ils peuvent aussi prétendre à des programmes d'aides : Rebondir 26 par la chambre d'agriculture et le plan régional filière Ppam par la Région, qui finance de l'investissement et un jour d'accompagnement technique à hauteur de 80 %.
Si, aujourd'hui, tout le monde peut produire des plants, que ce soit en aromatique, médicinale ou à parfum, le CIHEF(2) a statué sur l'obligation d'une certification plants sains dans un horizon de quatre ans. « Cela permettra de garantir une équité envers l'ensemble des pépiniéristes et de lutter contre le dépérissement des plants, entraîné par des maladies à phytoplasme, à Xylella... »
Du point de vue de la commercialisation, les mentalités évoluent. « Les évènements de ces dernières semaines que nous connaissons tous ont fortement changé la donne. Les ventes d'huiles essentielles en compléments alimentaires, voire en herboristerie, ont parfois fortement progressé. Les consommateurs se sont tournés vers une "médecine naturelle", déclenchant une frénésie pour la proximité et le local », constate-t-elle. Ainsi, la filière a un bel avenir devant elle, même s'il faut sans cesse se diversifier. « Il est important de repenser nos choix de cultures, de diversifier nos ateliers de Ppam et de poursuivre cette production locale, conclut Aurore Magnon. Les profils des nouveaux pépiniéristes sont d'ailleurs très souvent diversifiés et c'est ce qui fait la richesse de leur métier. »
Amandine Priolet
(1) Crieppam : centre régionalisé interprofessionnel d'expérimentation en plantes à parfum, aromatiques et médicinales.
(2)CIHEF : comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises.
Une reconversion réussie pour Dominique Faure
Certains agriculteurs se sont orientés vers une activité de pépinière Ppam. C’est le cas de Dominique Faure, installé en grandes cultures depuis 2009 à Saint-Gervais-sur-Roubion. Après deux années de galère - tornade en 2018 et sécheresse en 2019 - l’agriculteur doute : « Les rémunérations dans le monde des semences sont devenues catastrophiques : les charges ne cessent d’augmenter, les rendements sont minables et les marges se réduisent fortement ».En contact avec Aurore Magnon, conseillère en grandes cultures et Ppam à la chambre d’agriculture de la Drôme, il lui fait alors part de ses craintes pour l’avenir. « J’avais l’idée de faire des herbes aromatiques, comme du thym. Mais elle m’a déconseillé de me lancer directement sans faire de formation. Elle m’a aussi guidé vers un marché avec une forte demande, la lavande, qui requiert une technique assez simple », souligne Dominique Faure. Dans le même temps, l’agriculteur a suivi un programme financé par la structure, appelé « Rebondir 26 », avec un accompagnement administratif et technique.
« Pour 30 000 euros d’investissement (serres et autres matériels), j’ai changé la vision de mon exploitation », confie-t-il. Pour commencer, Dominique Faure a planté 1 000 plants sains certifiés de base. Avec 800 m² de serre et une parcelle de 1 500 m², le tout jeune pépiniériste est confiant pour l’avenir : « Le marché des huiles essentielles de lavande se porte bien. Même si l’engouement ralentira, il y aura toujours besoin de lavande ou d’autres plantes aromatiques et médicinales. Ainsi, d’ici cinq ans, j’espère diversifier ma production ». Et pour répondre à toutes ses interrogations, le pépiniériste peut compter sur le soutien de la chambre d’agriculture : « Aurore Magnon m’apporte une présence permanente et un appui technique précieux ».
A. P.
Témoignage
Installée depuis 1994 avec son époux à Puygiron, Karine Del Vitto consacre une grande partie de son exploitation à la production de plants sains de lavande et de lavandin.
« La rentabilité est plus intéressante qu’en grandes cultures »
Karine Del Vitto, avec du recul, comment se comporte le marché ?
Karine Del Vitto : « Il y a une dizaine d’années, on trouvait des plants chez tous les pépiniéristes. Depuis quatre ans, le marché est en très forte et constante augmentation. Nous recevons de plus en plus de demandes, ce qui nous contraint à refuser des commandes. Nous devons attendre un, voire deux ans, pour fournir nos clients. Aujourd’hui, même si les prix ont chuté, les exploitants agricoles gagnent toujours plus qu’avec du blé. La rentabilité est plus intéressante qu’en grandes cultures, ce qui incite les agriculteurs à planter. »
Quels sont les avantages et, a contrario, les contraintes des plants sains ?
K. d V. : « En cultivant des plants sains, nous évitons le dépérissement de la lavande et n’allons pas droit à la catastrophe. En revanche, les inconvénients sont nombreux. D’une part, il faut disposer de nos propres pieds mères pour prélever nos boutures. Il faudrait donc augmenter le prix des plants pour pouvoir investir dans des serres car cela demande un entretien et un espace importants. De plus, le cahier des charges à respecter est conséquent et les charges financières sont lourdes. Surtout qu’à l’heure actuelle, où la demande est forte, les plants “traditionnels” sont vendus au même prix que les plants sains. »
En tant que pépiniériste Ppam, bénéficiez-vous d’un accompagnement de la chambre d’agriculture de la Drôme ?
K. d V. : « Nous sommes effectivement en étroite relation avec Aurore Magnon au niveau de la filière. Elle nous conseille beaucoup sur les modifications à apporter, les techniques à réaliser... De plus, j’aime régulièrement tester de nouvelles méthodes, notamment en ce qui concerne les dates de bouturage. C’est donc toujours agréable d’avoir des conseils et d’échanger sur notre métier. »
Quelle vision portez-vous sur l’avenir de la filière Ppam ?
K. d V. : « Même si j’ai du mal à me projeter dans les années futures, la filière va certainement se maintenir. Il est possible que la demande baisse un peu, du fait de la diminution du prix des huiles essentielles. La situation va peut-être évoluer en fonction de l’obligation de produire, à terme, uniquement des plants sains certifiés. »
Propos recueillis par A. P.