Accès au contenu
Exposition universelle de Milan

La France débat sur les besoins alimentaires du monde

L’Exposition universelle de Milan vient d’être inaugurée et se déroulera jusqu’en octobre 2015. La France y occupe un pavillon réalisé en sapin blanc du Jura. Notre pays animera un débat sur le thème : « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». Sa culture gastronomique et la qualité de son modèle agricole et agroalimentaire donnent à la France la légitimité d’interroger le monde sur la capacité de nos agricultures à nourrir 9,6 milliards d’individus à l’horizon 2050.
La France débat sur les besoins alimentaires du monde

Les démographes font leurs comptes : chaque seconde le monde voit naître trois enfants et enregistre le décès de 2,25 personnes. C'est écrit dans l'équation, la population mondiale augmente de 75 millions d'individus tous les ans et notre planète comptera 9,6 milliards d'humains en 2050. Nous serons alors environ trois milliards d'êtres humains en plus et la question de savoir si les agricultures du monde seront capables de les nourrir est posée. C'est le cœur des débats que le pavillon France à l'Exposition universelle de Milan se propose d'aborder tout au long de cet événement mondial (1). La France, en raison de l'originalité de son modèle alimentaire, de la capacité de son agriculture à produire de la qualité et de la diversité, en raison aussi de l'excellence de sa gastronomie a une réelle légitimité à s'interroger et à interroger le monde sur cette question tout aussi vitale que planétaire. Car les perspectives alimentaires sont d'autant plus préoccupantes que l'augmentation de la population mondiale se produira surtout dans les zones du monde où la capacité de production est la plus faible. Le Proche et le Moyen-Orient, l'Inde et surtout l'Afrique(2) concentreront en effet l'augmentation de la population et c'est là que les conditions agro-climatiques sont globalement les moins favorables à la production agricole.

Déjà 8 récoltes sur 13 déficitaires

Les experts d'Invivo l'affirment : dès 2030, dans 15 ans, l'Afrique du Nord verra ses besoins en céréales croître de 50 %, ceux du Moyen Orient de 60 % et ceux de l'Afrique subsaharienne de 140 % (voir carte). La demande en viande progressera tout autant même si de belles âmes estiment que le monde en consomme déjà trop. Au nom de quoi, nos pays développés qui consomment 95 kilos de viande par an et par personne empêcheraient-ils les populations des pays en voie de développement de passer de 25 à 50 kilos de viande consommée par an et par personne ? D'autant que la consommation de viande est le marqueur universel de l'amélioration des conditions de vie et du pouvoir d'achat des familles pauvres. Certes, le monde n'est ni équilibré, ni juste, ni raisonnable. Bruno Parmentier, ancien directeur de l'école supérieure d'agriculture et conférencier à l'Exposition universelle de Milan explique que « chaque soir 850 millions de personnes se couchent avec la faim au ventre. Un milliard d'humains se couchent carencés de n'avoir mangé que du riz ou du manioc. Mais dans le monde, un milliard d'autres personnes se couchent en surpoids et 600 millions sont obèses. » On mange trop ici mais trop peu ou trop mal là-bas...
Cette question de la disponibilité et de la juste répartition de l'alimentation conditionne pourtant la paix civile. C'est si vrai que les militaires mesurent la capacité de l'agriculture à répondre aux besoins nutritionnels des populations et dans les écoles de guerre les généraux savent que si le pain vient à manquer durablement c'est à eux qu'il reviendra de contenir la révolte des peuples affamés. Les émeutes de la faim de 2008 nous ont montré les dangers d'une offre déséquilibrée qui fait bondir ou s'effondrer les prix des céréales. « Or, sur les treize dernières récoltes mondiales de céréales, huit ont été déficitaires », note Bruno Parmentier.

Il faudra produire plus

Entre 1900 et 2 000, grâce à sa modernisation, l'agriculture mondiale s'est montrée capable de nourrir une population qui a augmenté de 4,5 milliards d'individus. « C'est remarquable ! », s'exclame Bruno Parmentier. Mais face à des rendements qui aujourd'hui plafonnent et sans l'acceptation par les opinions publiques installées dans le confort de l'autosuffisance de technologies innovantes, il doute que nos agricultures soient en mesure de renouveler cet exploit. La question se pose alors, en effet, comme la France le fera à Milan, de savoir comment satisfaire les besoins alimentaires des 4 milliards de personnes supplémentaires que notre planète devra accueillir dans les 30 ans qui viennent ? 
Serge Berra
(1) Exposition universelle de Milan du 1er mai au 31 octobre 2015.
(2) Selon l'OMS, en 2050, l'Afrique subsaharienne verra sa population croître de 1 milliard de personnes
(+ 117%). L'Afrique du Nord et l'Asie de l'Ouest connaîtront une progression de leur population de 60 %.

 

 Ce bâtiment innovant représente un paysage inversé inspiré des halles.

Le pavillon France, un reflet du savoir-faire français

Illustration du savoir-faire français alliant un matériau traditionnel et des technologies de pointe, le pavillon de la France est entièrement réalisé en sapin des forêts de l’Hexagone. De l’abattage des arbres à la découpe des pièces, tout s’est déroulé en Franche-Comté.

Une halle de marché, une grange, une cave, une cathédrale ou encore une ruche, le pavillon de la France à l’Exposition universelle de Milan est tout à la fois. Ce bâtiment territoire qui représente un paysage inversé a, en effet, été imaginé comme un grand marché sur deux étages à l’image des halles, lieux d’échange et de production, présentes partout sur l’Hexagone. Un grand marché où les 1 000 personnes attendues à l’heure pourront s’interroger sur comment relever le défi alimentaire à travers quatre piliers : promouvoir un modèle alimentaire durable ; produire plus, produire mieux ; transfert d’innovation et plaisir santé.  

Production locale

Surtout, ce bâtiment en forme de « canopée » est le reflet d’un savoir-faire français alliant un matériau traditionnel, le bois, et des technologies de pointe. En effet, le pavillon de la France est entièrement conçu en bois lamellé-collé, issu d’essences de sapin et d’épicéa produites dans le Jura. Les 900 m3 de matière première qui auront été nécessaires à la création de ce bâtiment de 3 600 m2, dont 2 000 bâtis, ont été taillés et assemblés entre les murs de l’entreprise Simonin à Montlebon dans le Doubs. Cette société spécialisée dans la taille artistique du bois exportant ses créations dans le monde entier.
Le pavillon de la France est exemplaire du savoir-faire français en matière d’ossature bois, dans sa forme la plus innovante, avec des assemblages invisibles, une géométrie complexe et des formes courbes. Ce concept d’esprit  « low-tech (*)» sera entièrement démontable et remontable.

Architecture version numérique

Dans son architecture aussi, le procédé se veut innovant. La « canopée » du bâtiment est conçue comme si elle épousait parfaitement une surface tumultueuse très tourmentée, formée de creux et de bosses, composée d’arches qui partent du sol, passent au-dessus des bosses et reviennent au sol. Cette canopée représente plus de  2 000 pièces courbes et droites pour 780 m3. Plusieurs ouvertures courbes et doubles courbes permettent les accès et supportent les éléments de structures et  de façades. Les plans d’exécution ont été réalisés à l’aide d’un nouveau logiciel de dessins et surtout le taillage des pièces sur une machine à commande numérique qui donne une précision inégalable avec des méthodes traditionnelles dans un délai très court.
D’autant plus durable, le bâtiment est à très basse consommation d’énergie. Le pavillon France est conçu pour permettre une ventilation et un rafraîchissement naturels grâce à un flux d’air traversant et un procédé de tirage thermique par le lanterneau du centre. En terrasse, un rafraîchissement naturel est réalisé en faisant circuler le flux d’air sur les cultures flottantes. Cet espace sera également le lieu de mise en scène de la capacité d’innovation française grâce à l’exposition de technique avancé en termes de culture hors-sol en aquaponie et hydroponie (houblon en façade, herbes aromatiques sur la terrasse…).
Cette vitrine française abritera aussi une scénographie unique qui apportera des réponses à la problématique universelle de l’alimentation. En effet, après avoir traversé un jardin agricole témoin de la diversité française, les visiteurs découvriront un foisonnement d’expériences, de matières, de végétaux, de technologies, d’odeurs, de dégustation…Témoins du savoir-faire à la française. 
Marie-Cécile Seigle-Buyat
(*) L'anglicisme low-tech ou basse technologie, par opposition à high-tech, est attribué à des techniques simples, économiques et populaires. L'usage des low-tech témoigne de la volonté de s'opposer aux modes technologiques, considérées comme mercantiles, avilissantes et déraisonnables écologiquement (wikipédia).

 

Histoire : les Expositions universelles servaient le prestige et l’innovation

La première Exposition universelle s’est déroulée à Londres en 1851. Essentiellement tournées vers l’industrie et les arts, les premières expositions ont servi à valoriser le savoir-faire industriel de chaque pays hôte et à faire circuler l’innovation dans la société.
C’est aux Anglais que l’on doit la première Exposition universelle. The Great exhibition of the works of industry of all nations fut organisée pendant 5 mois et demi à Londres en 1851. Au sein d’une immense bâtisse de verre et d’acier conçue spécialement à cette occasion, quatre sections permirent de répartir les éléments exposés : matières premières, machines, produits manufacturés et objets d’arts.
Diffuser l’innovation
Pour l’empire britannique de l’époque, l’exposition universelle avait pour but de diffuser auprès des professionnels industriels et artisans, les technologies les plus récentes en matière de machines et de fabrication. Déjà, au milieu du XIXe siècle, le maître mot était l’innovation. Avec plus de six millions d’entrées, soit près du quart de la population du Royaume-Uni de cette époque, cette première exposition fut un incroyable succès et une vitrine de la puissance économique et technologique de la Grande Bretagne. Elle coïncida avec l’apogée de qui défendait ouvertement la doctrine libre-échangiste comme vecteur de paix dans le monde. Très impressionné par sa visite, l’empereur français Napoléon III décida d’organiser à son tour une Exposition universelle des produits de l’agriculture, de l’industrie et des beaux-arts à Paris en 1855 pendant six mois sur les Champs-Élysées. Elle accueilla plus de 24 000 exposants, soit trois fois plus qu’à Londres dont la moitié de Français. Les autres étaient originaires d’une trentaine de nations voisines.
C’est pour cette occasion que fut construit dans un délai record le gigantesque Palais de l’industrie de 208 mètres de long à Paris qui s’avèra largement sous-dimensionné. Les organisateurs lui ajoutèrent donc des galeries annexes. Pour accueillir les artistes, le Palais des beaux-arts fut créé avenue Montaigne et accueillit près de 5 000 œuvres. Les grands artistes de l’époque furent présents : Bartholdi, Ingres, Corot, Delacroix, Courbet, Baudelaire, Decamps, etc.
L’agriculture y trouva également sa part avec des innovations exposées autour du drainage, de l’irrigation, de l’amendement des sols et de la mécanisation des tâches agricoles. Le fabricant américain Mc Cormick y présenta sa machine à moissonner qui rencontra un grand enthousiasme. Là encore, l’objectif de l’Empereur fut d’en faire une fête de la paix (alors que la guerre de Crimée fait rage) et de montrer aux nations étrangères la grandeur de la France. Plus de cinq millions de visiteurs découvrirent les nouveaux produits et les machines innovantes.
Paris candidate pour 2025
Paris accueillera cinq autres expositions universelles, dont celle de 1889 pour laquelle la tour Eiffel fut édifiée. La dernière date de 1937. C’est en 1928 qu’une convention internationale fut signée par 39 pays pour créer l’organisation intergouvernementale dite Bureau international des expositions (BIE) dont le siège est à Paris et qui encadre et réglemente les Expositions universelles. « Une Expo est un événement international dont les objectifs sont l’éducation du public, la promotion du progrès et la coopération internationale », indique le site internet du BIE. Elle joue le rôle « de plateforme de dialogue pour le progrès et la coopération, vise l’éducation et le divertissement du public, est un outil de développement et de prestige pour le pays hôte et permet la coopération internationale entre les participants. » Après la Seconde guerre mondiale, la fascination pour le progrès matériel fait place à la promotion du progrès humain et au dialogue international. La prochaine Exposition universelle aura lieu à Dubaï en 2020 sur le thème « Connecter les esprits, construire le futur ». Pour 2025, la ville de Paris s’est portée candidate pour accueillir l’événement. 
Camille Peyrache