« La prévention du suicide n’est pas seulement un acte médical mais sociétal »

En quoi se distingue ce nouveau dispositif Agri'Écoute par rapport à la précédente plateforme d'écoute ?
Philippe Laurent : « Les partenaires qui ont l'habitude de travailler avec nous sur ce sujet peuvent contacter directement le médecin du travail, soit au niveau du service de l'action sanitaire et sociale, soit au niveau de la santé-sécurité au travail. Avec l'ancien dispositif, les appels aboutissaient auprès d'écoutants bénévoles, par transfert sur les postes d'écoute ouverts de SOS Amitié notamment. L'écoute anonyme est importante dans ces situations de détresse mais nous manquions de données sur les appelants, même anonymes et générales. Le dispositif a donc été professionnalisé. Aujourd'hui, c'est le même numéro, la même dénomination mais, désormais, ce sont des psychologues cliniciens qui sont au bout du fil. Des professionnels de la santé mentale qui possèdent des techniques d'écoute active face à des plaintes psychologiques et qui peuvent potentiellement intervenir directement avec le régulateur du Samu face à des situations de crise urgente même si ces dernières sont très rares. Les écoutants de SOS Amitié recueillaient la parole des appelants et pouvaient conseiller d'appeler le 15 dans les situations d'urgence. La possibilité d'intervenir est donc plus importante. Autre point positif : le psychologue clinicien peut rappeler l'appelant, jusqu'à quatre reprises, et l'orienter vers des consultations avec des psychologues locaux. Parler anonymement à des écoutants professionnels de santé mentale permet de s'exprimer, de libérer la parole. C'est un dispositif complémentaire très intéressant pour les agriculteurs, leur entourage familial et les partenaires qui interviennent auprès des agriculteurs. Reste à structurer l'articulation entre les personnes qui vont appeler Agri'Écoute et la MSA locale lorsqu'il y a besoin d'un accompagnement médico-socio-psychologique par rapport à des situations de difficultés sociales, socio-économiques, médicales ou d'impasse... »
Pourquoi sensibiliser particulièrement l'entourage personnel et professionnel, les partenaires agricoles, sur cette dernière campagne de communication ?
P. L. : « La prévention du suicide n'est pas seulement un acte médical mais sociétal, pour faire référence à ce qui se fait déjà au Québec avec les "sentinelles". Nous souhaitons mettre en veille les partenaires professionnels et les citoyens par rapport aux personnes en souffrance que l'on peut rencontrer, et arriver à parler du mot "suicide". On a quelques appels des personnes elles-mêmes mais c'est assez rare, ce qui s'explique par le repli sur soi, la honte d'être dans cette situation de souffrance, de détresse, de sentiment d'échec...
Le point de départ de cette action de prévention au niveau de notre caisse a été le cas d'un jeune agriculteur qui s'est suicidé alors que tout le monde se rendait compte de sa situation difficile, mais personne ne savait quoi faire... C'est l'objectif des actions de sensibilisation et de formation en interne et à destination des professionnels qui interviennent dans le secteur agricole : comment parler de ce sujet quand on voit quelqu'un en souffrance ? Comment orienter les personnes sur lesquelles on va détecter un risque ? De nouvelles sessions de sensibilisation, de formation sont en projet au cours du second semestre 2018. Dans les signalements, les plus grands "recruteurs" de situations de détresse sont les travailleurs sociaux de la MSA qui accompagnent les agriculteurs en difficulté. Ce qui est assez original dans l'agriculture, par rapport à d'autres secteurs professionnels en France, c'est que l'on a entre 20 et 25 % des signalements qui proviennent de l'environnement professionnel, c'est-à-dire les chambres d'agriculture, les contrôleurs laitiers, l'administration, les élus MSA... »
Comment s'y prendre pour participer à cette prévention ?
P. L. : « Il faut déjà expliquer de quoi on parle quand on parle de dépression et de ses symptômes. On essaye de vulgariser cette pathologie, les idées suicidaires font partie de la maladie parmi d'autres symptômes. Lorsqu'il y a une crise aiguë, il faut la traiter comme une urgence. Toutes les actions de sensibilisation et de formation sont utiles. C'est aussi surtout lever le tabou et en parler, pour être vigilant lorsque la personne en souffrance lance des appels - parce qu'une personne en situation de risque suicidaire lance des appels même s'ils ne sont pas franchement exprimés - et rebondir dessus pour réagir et nouer le dialogue avec elle. Quand la personne n'en parle pas, se renferme, c'est arriver à lui faire passer le message que l'on est inquiet pour elle et discuter des possibilités d'aide et d'orientation. La croyance populaire dit que le fait de parler de suicide va donner l'idée aux personnes en souffrance de passer à l'acte... Au contraire, c'est un moyen de pouvoir échanger, elles pourront être soulagées de pouvoir en parler car souvent elles n'osent pas le faire. Le fait d'avoir ce type d'écoute est une pierre complémentaire même modeste pour la prévention. »
Propos recueillis par Anaïs Lévêque
Mal-être en agriculture / Divers facteurs de souffranceChez les exploitants et salariés agricoles, les principaux facteurs de mal-être correspondent à des réalités sociales préoccupantes et des contextes de crise agricole (économique, sanitaire, aléas climatiques...). Ce sont principalement des soucis d’ordre financiers, la pression des réglementations et l’impact des crises agricoles. Mais aussi la surcharge de travail et les difficultés pour concilier vie professionnelle et vie privée, l’isolement géographique et le manque de vie sociale, l’épuisement physique et émotionnel, les conflits entre associés et avec les membres de la famille, ou encore les contextes de transmission familiale de l’exploitation...
PRÉVENTION/ Afin d'améliorer la détection et l'accompagnement des adhérents en situation de mal-être, Agri'Ecoute se professionnalise. La MSA cherche aussi à sensibiliser le plus grand nombre sur l'existence de ce dispositif.
Agri'Ecoute, un accompagnement personnalisé et anonyme
Créé dans le cadre du plan de prévention du suicide en agriculture en 2014, le service Agri’Ecoute répond à la gestion du mal-être et des situations de crise suicidaire à destination des adhérents de la MSA. Depuis sa création, 4 000 appels ont été recensés. Désormais, ce sont des équipes de psychologues cliniciens diplômés et spécialisés qui sont disponibles à répondre efficacement à toute personne qui en ressentirait le besoin. L’objectif : les aider et les amener à prendre du recul par rapport à des situations douloureuses ou de crises suicidaires. Un accompagnement personnalisé et anonyme est assuré à distance par ces mêmes psychologues cliniciens sur plusieurs temps d’échanges si besoin ou si les adhérents le souhaitent. Anonymat pouvant par la suite être levé afin d’assurer un relais sur la durée avec la cellule de prévention du suicide de la MSA la plus proche, aussi longtemps que nécessaire. Chaque cellule de prévention est composée de travailleurs sociaux, de médecins du travail, professionnels de la santé et de sécurité au travail, des services de santé ou techniques...Encourager l’attention de l’entourage
Dans le cadre d’une campagne de communication, la MSA cherche à sensibiliser le plus grand nombre sur l’existence du dispositif téléphonique Agri’Ecoute. Entourage proche, personnel ou professionnel, partenaires tels que les représentants des chambres d’agriculture, les syndicats, coopératives... tout le monde est requis afin d’améliorer la protection des adhérents concernés par les états de mal-être, de souffrance et de crise suicidaire.
Cette campagne de communication répond au silence des personnes concernées qui n’osent pas toujours parler de leur désarroi, par fierté ou par pudeur. « Chacun, à son niveau, doit pouvoir se sentir impliqué et convaincre ou inciter un exploitant ou un salarié agricole en proie à des difficultés à contacter ce dispositif téléphonique d’écoute », rapporte Claude Chazal, du service communication à la MSA Ardèche-Drôme-Loire. Le repérage d’une personne en difficulté est en effet crucial pour désamorcer et gérer une situation de crise. Sans conseils adaptés et l’attention de l’entourage proche, le risque est de voir s’accentuer cette crise.
