La prévention du suicide, une cause nationale

Le suicide est une cause de décès importante dans le monde agricole, supérieure à la moyenne des autres catégories professionnelles. Les statistiques établies par l'INVS (Institut national de veille sanitaire) sur la période 2007-2009 ont fait état d'un excès de suicides dans la catégorie des 45-54 ans (38 % des cas), majoritairement des hommes, et plus particulièrement chez les éleveurs bovins viande et lait. Le suicide étant ainsi chez les agriculteurs la troisième cause de décès après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Au total, sur ces trois années-là, 417 agriculteurs et 68 agricultrices se sont donné la mort. Les chiffres de 2009-2011 dont la publication officielle reste à venir, confirmeraient la tranche d'âge sensible, mais pas l'excès de suicides dans la filière bovine. L'hypothèse formulée par les professionnels de santé est donc que le taux de suicide est en lien direct avec l'état économique d'une filière. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a ainsi fait part, le 2 février, à l'occasion de la remise du deuxième rapport annuel de l'Observatoire national du suicide, de sa volonté « de soutenir les secteurs d'activité en crise, je pense par exemple à l'agriculture ».
Facteurs de risque
La conjoncture économique actuelle inquiète aussi les professionnels de santé de la MSA. « Nous réfléchissons aux meilleurs moyens de prévenir », assure le docteur Philippe Laurent, responsable du service santé sécurité au travail de la MSA Ardèche-Drôme-Loire. Nous essayons de faire lien entre les appels reçus au numéro national (lire ci-dessous) et les services dédiés dans les caisses locales. » Les agriculteurs font partie des professions à risque mais ils ne sont pas les seuls. « Les médecins et les policiers sont aussi des métiers très exposés à ce fléau, ainsi que les chômeurs, poursuit le docteur. Néanmoins, les agriculteurs accumulent beaucoup de facteurs de risque : la pénibilité du travail, le manque de reconnaissance, les problèmes administratifs, le risque de mésententes au sein de la famille ou d'un Gaec ou encore l'accès aux moyens pour passer à l'acte. Autant de facteurs qui peuvent conduire au burn-out, à la dépression et ensuite au suicide. »
Le plan de prévention de la MSA salué
Le plan national mis en place par la MSA a pour but à la fois de mieux connaître la réalité du suicide et de monter des dispositifs d'écoute et des cellules de prévention. Les personnels et élus de la MSA ont été sensibilisés et formés. La création des 31 cellules de prévention, qualifiée « d'action innovante » par l'Observatoire, a permis de « détecter, d'accompagner et d'orienter » 1 489 agriculteurs en difficulté depuis 2012, avec une montée en puissance importante du dispositif (1 009 cas détectés en 2014, 838 en 2013 et 408 en 2012). Un tiers des cas a été jugé grave et urgent. Le rapport souligne « l'efficacité du travail en réseau » qui s'appuie sur des « sentinelles » bénévoles (entourage, médecins, élus MSA...) réparties sur le territoire rural. Les exploitants sont plus concernés par les situations à risque que les salariés agricoles, avec 74 % des cas.
L'Institut national de veille sanitaire publiera prochainement les statistiques relatives au suicide chez les agriculteurs pour les années 2010 et 2011. Il mènera également une étude plus spécifique, ciblée sur les salariés agricoles. De son côté, la MSA prépare un plan d'action pour la période 2016-2020.
Un numéro national : Agri’écoute : 09 69 39 29 19
Lancé en octobre 2014, ce service d’écoute est accessible 24 h/24 et 7 j/7. Il permet de dialoguer anonymement avec des écoutants formés aux situations de souffrance ou de détresse. La MSA fait appel aux associations partenaires SOS Amitié et SOS Suicide Phénix, ainsi qu’à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) pour assurer la mise en œuvre et la gestion de la plateforme technique. Vingt postes d’écoute sont reliés à ce jour au numéro d’appel. Le service sera étendu à une cinquantaine de postes. La ligne téléphonique Agri’écoute a reçu 1 118 appels depuis son ouverture en octobre 2014. Au premier semestre 2015, on compte en moyenne une centaine d’appels par mois.
Former des « veilleurs »
Lors de ces formations, tous les métiers étant amenés à travailler en étroite collaboration avec des agriculteurs étaient représentés. « Il y avait par exemple des personnes de centres d’insémination ou encore des comptables. Une vingtaine de personnes était présente à chacune de ces réunions », indique le jeune éleveur. « Ces derniers ont un œil particulièrement important. La conjoncture actuelle et certaines situations financières d’exploitations sont compliquées », précise-t-il encore. Preuve en est d’ailleurs, la mobilisation des agriculteurs de ces derniers mois. Une crise qui s’enlise et qui a forcément un impact sur le moral. Lors de ces manifestations, les agriculteurs n’ont d’ailleurs cessé de dénoncer la fin des quotas, les revenus en baisse, les marges des intermédiaires ou encore le profond désarroi qui s’empare peu à peu de la profession. Mais à cela peut aussi s’ajouter un caractère privé : une vie familiale compliquée, une séparation amoureuse, etc. Autant d’éléments qui peuvent favoriser le passage au suicide.
Détecter des signes
Mais détecter des personnes capables de passer à l’acte n’est pas forcément chose aisée. Les professionnels de santé ont ainsi distillé quelques signaux qui ne doivent pas être pris à la légère. « Nous avons beaucoup échangé lors de cette formation. L’idée est de repérer le mal-être des agriculteurs et donner le signalement à temps, afin d’éviter le geste regrettable. L’agriculteur va peut-être s’isoler, se refermer sur lui-même, rompre progressivement les contacts, éviter son voisin, etc. Il faut vraiment veiller à son attitude », ajoute Julien Derory. L’agriculteur parle en connaissance de cause. Il a déjà signalé une personne de son entourage. « Les échanges sont importants. Il faut croiser nos informations, ne pas hésiter à dire que nous avons croisé tel agriculteur et rapporter son comportement. La personne de mon entourage a quant à elle été prise en charge par la MSA et par la suite suivie. Il y a toujours une issue », poursuit-il. Julien Derory lui a ainsi peut-être évité le pire, même s’il reste une part d’incertitude. « Difficile de dire jusqu’où il serait allé », précise enfin l’éleveur.
Aurélien Tournier