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Elevage bovin

Lait bio : deux logiques d'entreprise

Du lait bio est recherché dans la Drôme. Convertir sa ferme à ce mode de production est plus facile dans une dynamique de groupe. C'est ce qu'ont fait deux Gaec ardéchois, récemment visités par des Drômois.
Lait bio : deux logiques d'entreprise

En Ardèche, une dynamique de groupe s'est développée autour du bio. En 2009, 52 agriculteurs ardéchois se sont engagés dans la réduction des produits phytosanitaires. Ils ont rencontré des céréaliers bio performants du Nord-Drôme qui leur ont expliqué les itinéraires pour avoir des maïs bio sans « mauvaises »  herbes et avec des rendements à plus de 100 quintaux. Le deuxième facteur déclenchant a été le diagnostic autonomie alimentaire, financé par la Région : pourquoi ne pas répondre à la demande de Danone qui recherchait du lait bio ? 10 éleveurs ardéchois se sont convertis en 2010, en même temps que le lycée agricole du Valentin.
« Cette dynamique de groupe s'est retrouvée ensuite avec la Cuma désileuse et le groupe méthaniseur : un vrai développement pour le territoire, note Jean-Pierre Manteaux, conseiller de l'équipe Elevage Drôme Isère. Le 4 mars, des agriculteurs drômois ont pu visiter deux exploitations s'inscrivant dans cette démarche : les Gaec Ribes et Coste. A ce sujet, le conseiller observe : « Avec 53 personnes qui ont visité l'une des deux fermes, on espère que des projets vont émerger : agir plutôt que subir face à la crise ! ».

Gaec Ribes : un objectif d'autonomie


Visite du Gaec Ribes, à Eclassan, qui s'est fixé comme objectif l'autonomie alimentaire de son troupeau.

Au Gaec Ribes à Eclassan, les quatre associés privilégient le raisonnement économique : « En 2009, avec des prix du lait bas, notre exploitation était fragile. Avec la conversion, nous avons fait le choix de réduire nos charges en recherchant l'autonomie alimentaire. Et nous avons augmenté le produit lait : un prix plus élevé et une progression des litrages vendus. Cette hausse du chiffre d'affaires sur le lait de vache a plus que compensé l'arrêt des ventes de céréales. Nous avons conservé notre atelier caprins à côté ».
Depuis la conversion en bio, le Gaec a augmenté sa surface de céréales autoconsommées. Le maïs a changé de mode d'utilisation : moins d'ensilage plante entière et récolte soit en grain humide, soit en ensilage d'épis pour maximiser les valeurs alimentaires. Et du sorgho BMR(*) monocoupe a été introduit. En 2015, les 100 vaches laitières ont produit en moyenne 7 462 litres, à 37,9 de taux butyreux (TB), 32,1 de taux protéique (TP) et 200 000 en cellules. Les livraisons ont augmenté de 157 000 litres entre 2009 et 2015.
« On ensile vers le 10 mai : on a un bon compromis qualité-fibrosité, indique Yvan Ribes. On voudrait bien pâturer davantage mais la surface manque autour des bâtiments. Et les chèvres pâturent aussi. On a essayé la luzerne mais sa culture n'est pas facile chez nous. On préfère acheter du foin de luzerne dans le Sud-Drôme. Cela augmente notre coût alimentaire mais c'est de la luzerne de qualité et on fait d'autres cultures chez nous. »

Une ferme bio rentable

Le coût alimentaire est bien maîtrisé au Gaec Ribes (125 euros par 1 000 litres) pour un système avec maïs. Il est du même ordre que la moyenne des six exploitations tout herbe du Vercors Drôme (121 euros). « On a fait un tableau de bord mensuel sur le coût alimentaire », remarque Antoine Ribes. Au final, en intégrant les annuités plutôt que les amortissements, la rémunération des associés du Gaec est satisfaisante (2,24 smic) et voisine de la moyenne Vercors (2,48). Pour comparaison, dans 30 exploitations conventionnelles avec maïs ensilage, cette rémunération varie de 0 à 2,6 en 2014, elle est à 1,2 en moyenne (résultats 2013-2014, Drôme Conseil Elevage et chambre d'agriculture de la Drôme). « Pour nous, il était important de maintenir nos rémunérations, disent les associés du Gaec. Les années de conversion ne nous ont pas posé de problèmes. »

Gaec Coste : la bio et les énergies

Au Gaec Coste, à Cheminas, « notre exploitation était dans une impasse : on avait un système breton avec des charges ardéchoises, explique François Coste. L'excédent brut d'exploitation 2009 couvrait tout juste les annuités ! On s'est converti à la bio en conservant nos vaches à haut potentiel. Avec l'arrivée d'un nouvel associé, on est monté à 1 million de litres de lait et on a beaucoup investi : mélangeuse distributrice en cuma et robot de traite sur l'exploitation. On s'est diversifié aussi dans la production d'énergie, en créant une société pour le méthaniseur à huit exploitants et en nous associant mon frère et moi pour le photovoltaïque ».

 

 

En plus du lait bio, le Gaec Coste s'est diversifié dans la production d'énergie : la méthanisation (photo) avec d'autres agriculteurs et dans le photovoltaïque.


La conversion bio des terres a démarré en 2010. « Attention, il faut penser à augmenter le cheptel avant conversion car le cahier des charges est contraignant vis-à-vis de l'introduction d'animaux non bio, prévient l'éleveur. On a une vraie rotation sur plus de 10 ans : luzerne pendant 4 à 5 ans ; maïs irrigué ; trèfles violet et incarnat pendant 2 ans ; maïs ; trèfles pendant 2 ans ; maïs ; retour à la luzerne... »
En 2015, les 105 vaches laitières du Gaec Coste ont produit un million de litres de lait, avec un TB de 37, un TP de 28,5 et 198 000 cellules. « Nos taux sont bas, cela pénalise le prix de notre lait, remarque François Coste. On est autonome en fourrage. Par contre, on achète 400 tonnes de maïs grain en Drôme et le tourteau bio coûte 850 euros la tonne ! Notre coût alimentaire est haut (170 euros par 1 000 litres). Pour passer en bio, on a eu plus de travail sur les surfaces et la conduite des cultures. Pour le troupeau, j'ensile l'herbe très jeune : vers le 15-20 avril. On récolte à l'autochargeuse. »

Des règles sanitaires non pénalisantes

Dans les élevages ardéchois visités, « l'aspect sanitaire ne pose pas de problèmes, indique Christel Nayet, conseillère en élevage bio à la chambre d'agriculture de la Drôme. Le préventif est prioritaire. Mais les traitements sont possibles en curatif, au cas par cas : à raison de trois maximum par an et par animal de plus de 12 mois. La réglementation actuelle sur le sanitaire en bio n'est pas pénalisante. Elle est suffisamment souple pour soigner les animaux correctement ».
Et François Coste de confier encore : « Chacun doit suivre son chemin et ne pas écouter ceux qui sont toujours négatifs : pour passer en bio, dans l'entourage il y a toujours quelqu'un qui tient des propos alarmants. Pareil pour le méthaniseur et les panneaux photovoltaïques : on a dû être convaincant avec les banquiers. On n'est surtout pas un modèle de production bio. On a su évoluer par rapport à notre contexte et nos goûts. Aujourd'hui, je m'y retrouve. Personnellement, j'ai fait aussi ma conversion bio : je ne reviendrais pas vers un système conventionnel. »

 

(*) BMR : brown mid rib (nervure centrale brune).

 

 

Du lait bio recherché en Drôme

La SAS Biolait(1) développe une nouvelle zone de collecte sur la Drôme et l'Ardèche. Sodiaal(2) veut tripler ses ventes bio. La coopérative cherche plus de 100 millions de litres de lait bio sur le grand Sud de la France soit sur ses circuits existants, soit sur de nouveaux secteurs avec une densité laitière forte.
Ces deux opérateurs ouvrent ainsi de réelles opportunités pour des agriculteurs, d'autant plus avec l'actuelle crise du prix du lait en conventionnel. «  Comparé au conventionnel, le lait bio est payé aux éleveurs entre 80 à 150 euros de plus les 1 000 litres, en fonction de la période de l'année et de la qualité du produit », explique Christel Nayet, conseillère en élevage bio à la chambre d'agriculture de la Drôme.
(1) Premier collecteur de lait bio de vache en France (activité à 100 % en bio), Biolait approvisionne des transformateurs.
(2) Sodiaal : premier groupe coopératif laitier français.

 

 

Points de vue /
Thierry Ageron.
Thierry Ageron, élu chambre d'agriculture en charge du lait :
« Dans leur recherche de lait bio, Biolait et Sodiaal se sont adressés à l'automne dernier au premier département bio de France, la Drôme. Après un contact avec Jean-Pierre Manteaux, une réunion d'éleveurs s'est tenue en décembre à La Chapelle-en-Vercors. De là, la chambre d'agriculture a proposé à un groupe élargi d'éleveurs de visiter deux exploitations en Ardèche. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'on ne placera pas du lait bio dans tous les élevages. Le prix de 450 euros les 1 000 litres ne doit pas être la seule motivation. Il faut une véritable envie de la part de l'éleveur car passer en bio remet complètement en cause le système de production. Intégrer du maïs dans la ration est un plus pour produire. Mais conduire du maïs en bio ne s'improvise pas et n'est pas possible partout. Il faut se faire accompagner et l'idéal serait de démarrer en groupe. Cela permettrait en outre d'obtenir des aides à la mécanisation. »
Michel Baude.
Michel Baude, élu chambre d'agriculture en charge du bio :
« Face à la situation catastrophique du prix du lait, on peut comprendre que beaucoup d'éleveurs se posent des questions sur leur avenir. Différents opérateurs, dont Biolait, expriment une demande en lait bio. Le rôle de la chambre d'agriculture est d'étudier cette voie. Nous avons les compétences pour accompagner les éleveurs dans leur réflexion et ensuite dans l'appui technique. »