Lait de montagne : face aux surcoûts, les producteurs cherchent des solutions

«Le lait de montagne est en train de dévisser. » C'est par ces mots que Michel Lacoste, président de la commission montagne du Cniel (interprofession), a tiré la sonnette d'alarme lors d'une conférence au Sommet de l'élevage, le 2 octobre. Un cri d'alarme inhabituel pour un producteur laitier de montagne, reconnaît-il. « Tout le monde était habitué à ce que les producteurs de lait de montagne ne s'en sortent pas si mal. Mais le marché est beaucoup plus difficile ces cinq dernières années. » Comprendre : depuis la suppression des quotas laitiers. Depuis quelques années, le modèle du lait de montagne présente des signes de faiblesse. Les aides publiques (ICHN notamment) et la meilleure valorisation du lait grâce aux signes de qualité ne suffisent plus à compenser le manque de compétitivité du secteur. La filière en appelle aux pouvoirs publics pour compenser les surcoûts inhérents à la montagne. Pour les 20 000 producteurs montagnards, produire du lait coûte 30 à 43 % plus cher qu'en plaine, d'après le Cniel, entre des frais de mécanisation plus élevés, des bâtiments plus chers à construire et des rendements céréaliers réduits. Quant à la collecte, elle coûterait 14 euros de plus les 1 000 litres, en raison d'une moindre densité d'élevages et des contraintes climatiques et routières. « Chez Sodiaal, collecter du lait en montagne coûte deux fois plus cher, car on consomme deux fois plus de gasoil et qu'on mobilise 2,3 fois plus de main-d'œuvre », précise Damien Lacombe, président de la coopérative et de Coop de France Métiers du lait.
Un développement de la segmentation
Résultat : « En dix ans, le nombre de producteurs a baissé de 19 à 47 % selon les départements dans le Massif central, le Jura et les Alpes », indique l'interprofession. Des chiffres qui cachent d'importantes disparités selon les massifs. Poids lourd du lait de montagne avec 61 % des volumes, le Massif central est « très marqué par la transformation fromagère », rappelle Alain Plan, directeur du Criel Alpes et Massif central. Mais seulement un quart des exploitations produit sous un signe de qualité (Siqo). L'un des points clés pour ce massif consistera à améliorer la valorisation des 600 millions de litres de lait produits hors Siqo. Ce qui passera par un développement de la segmentation (lait de pâturage, sans OGM, etc.). De leur côté, les Alpes ont tout misé sur le lait cru et les signes de qualité, qui représentent plus de 90 % de la production. D'où une excellente valorisation du lait, malgré un risque sanitaire toujours prégnant (ex. salmonelle, listeria). Entre 2008 et 2018, l'érosion du nombre de producteurs y a été moins marquée (- 24 %) qu'en Auvergne Limousin (- 32 %).
Dans les Pyrénées, « la transition est engagée »
Enfin, de l'autre côté du spectre, les Pyrénées ont perdu près d'un producteur laitier sur deux en moins de dix ans. À tel point que « les industriels ne trouvent plus suffisamment de lait dans la zone », rapporte Damien Lacombe. Pour Caroline Nollet, de la chambre d'agriculture des Hautes-Pyrénées, « la transition est engagée » vers les circuits courts, l'agritourisme ou des débouchés plus locaux. Avec des modèles rémunérateurs au niveau des exploitations et des « éleveurs heureux dans ces systèmes ». Malgré ces trajectoires différentes, les professionnels du lait de montagne se sont accordés sur une demande commune à porter aux pouvoirs publics. Damien Lacombe a ainsi plaidé pour un « plan montagne, qui pourrait s'inscrire dans le Pacte productif » en cours de concertation. Les professionnels demandent à l'État d'agir pour alléger les coûts de production (exonérations de charges sociales, fiscalité sur le carburant, etc.) et soutenir les investissements (modernisation et matériel de collecte).
Le coût total des mesures proposées atteindrait 51,4 M€ sur cinq ans. Une somme « inférieure aux coûts économiques et sociaux » qui résulteraient de la poursuite de l'érosion du lait de montagne, estime le Cniel. Interrogé par AgraPresse le 2 octobre lors du Sommet de l'élevage, Didier Guillaume a confirmé que des discussions sont en cours. Tout en refusant d'apporter plus de précisions.
Y. G.
POINT DE VUE / La recherche de valorisation hors signe d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo) est une priorité pour la filière lait de montagne. État des lieux et perspectives sur les bassins Auvergne-Limousin et Sud-Est avec le directeur du Criel Alpes Massif central, Alain Plan.
“ Il faut continuer à soutenir l’investissement ”
Quel est le poids socio-économique de la filière lait de montagne pour notre région ?Alain Plan : « La filière laitière crée et maintient de l’emploi dans les zones de montagne, des emplois que l’on retrouve partout dans les territoires. Sur le bassin Auvergne-Limousin, très fromager, on recense 110 établissements de collecte et transformation, 6700 ETP (équivalents temps plein) en exploitations laitières et 2670 salariés dans les entreprises. Nous estimons ainsi à 14 000 le nombre d’emplois directs et indirects liés à la filière lait de montagne. Sur le bassin Sud-Est, où la production est plus variée, on compte 175 établissements de collecte et transformation, 9200 ETP en exploitations et plus de 6000 salariés, soit une estimation de 19 000 emplois directs et indirects. La filière lait de montagne pèse donc économiquement et socialement. »
Quels sont les principaux enjeux pour l’avenir de la filière lait de montagne ?
A. P. : « La première urgence est de sécuriser les résultats économiques des exploitations, pour pérenniser leurs activités et celles, en prolongement, des outils de collecte et de transformation. Cela passe par la recherche d’une plus grande efficacité économique. Il faut continuer de soutenir l’investissement pour améliorer les coûts de production, miser sur le progrès technique, progresser sur la qualité… Il faut aussi aller chercher du prix et de la valeur. »
Les bassins Auvergne-Limousin et Sud-Est comptent 16 AOP et 3 IGP. N’est-ce pas la solution pour valoriser la production de lait de montagne ?
A. P. : « Ce qui attache les entreprises à leur territoire, c’est le produit. Il est important que le produit se démarque du lait standard de plaine. Pour les entreprises, la recherche de valorisation est une priorité. Les AOP et les IGP existent mais cela n’est pas suffisant car le taux d’utilisation du lait est très variable selon les appellations et les territoires. En moyenne, on peut considérer que 50 % du lait de montagne n’est pas transformé en AOP. Et il faut aussi comprendre qu’il existe des zones de production en montagne sans appellation. Sur le bassin Auvergne-Limousin, nous estimons à 600 millions de litres le potentiel de lait produit en montagne qui n’est pas sous Siqo, et sur lequel il est impératif de trouver de la valeur supplémentaire. »
Ces enjeux concernent tous les maillons de la filière. Qu’en est-il de l’aval ?
A. P. : « Les entreprises de collecte et transformation ont besoin d’être soutenues. La Région Auvergne Rhône-Alpes a mis en place une action test pour soutenir les investissements dans les outils de collecte. Cette aide s’élève à 400 000 euros, dix-sept dossiers ont été traités en Aura. Elle concerne les investissements pour des citernes compartimentées dans les exploitations et pour des camions équipés de double pompage. L’objectif est de favoriser l’installation de tournées de collecte de lait mixte, pour répondre justement aux besoins de valorisation du lait de montagne. Nous sommes en discussion avec la Région pour étendre le test, mais cela ne suffira pas. Le groupe montagne du Cniel demande une prise en compte plus large de la situation et la mise en place de dispositifs fiscaux et sociaux pour la filière. »
Quelles sont les conséquences sur l’attractivité de la filière lait de montagne ?
A. P. : « La filière laitière est la première en Aura en termes de chiffre d’affaires agricole et agroalimentaire. Pour autant, le taux de renouvellement, en bovins lait notamment, est l’un des plus faibles de la région. L’incertitude économique pèse davantage sur le lait que sur d’autres filières. Il faut redonner de la visibilité sur le revenu, sécuriser le système de production, comme je le rappelais plus haut, revoir le système assurantiel… Il faut aussi que nous redonnions envie aux jeunes qui s’installent de rejoindre des organisations sociétaires existantes. Là aussi, c’est une priorité ! »
Propos recueillis par Sébastien Duperay