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Lavande et lavandin, un succès à maîtriser

Après des années fastes, les producteurs de lavande et lavandin doivent désormais gérer leur succès. Les deux plantes ont connu un bel essor durant la décennie écoulée, avec des prix rémunérateurs et des surfaces s’étendant bien au-delà de la zone historique. La baisse du cours du pétrole, des utilisateurs plus sourcilleux sur l’envolée des prix, mais aussi la crise sanitaire actuelle appellent la filière à reconsidérer ce modèle.

Lavande  et lavandin,  un succès  à maîtriser
Que ce soit lavande ou lavandin, le temps est venu de stabiliser les surfaces et d’exploiter pleinement les atouts du produit. Et, malgré le coup d’arrêt dû à la pandémie de la Covid-19, ces deux productions françaises ont encore des cartes à jouer.

Les producteurs de lavande et de lavandin doivent envisager la décélération. Après une décennie d’essor, les deux filières ont à trouver le moyen de tirer leur épingle d’un jeu renouvelé par les demandes des utilisateurs finaux et la crise de la Covid. Sous le même bleu de carte postale, il s’agit bien de deux plantes différentes, dont les marchés ne subissent pas les mêmes pressions.

Utilisations industrielles pour le lavandin

Première différence : le lavandin occupe la très grande majorité des 25 620 hectares couverts en 2018 par les deux espèces. Cet hybride dérivé de la lavande « est destiné à une utilisation industrielle », explique Alain Aubanel, producteur à Chamaloc et président de la fédération des plantes à parfum aromatiques et médicinales (Ppam), syndicat regroupant producteurs, metteurs en marché et distillateurs. Succédané des parfums de synthèse, les producteurs de lessive y ont recours dans leurs formulations pour bénéficier d’une image flatteuse : « Les entreprises clientes ont toujours voulu du naturel », sourit Alain Aubanel.
« Très mécanisée, facile à travailler - on peut faire 100 hectares tout seul », selon Jérôme Volle, producteur de lavande en Ardèche et vice-président de la FNSEA, le lavandin est devenu une solution de diversification pour des agriculteurs de tous horizons, attirés par des tarifs à la vente soutenus par une demande croissante et des cours du pétrole élevés qui défavorisaient le recours aux ingrédients de synthèse. « Son intérêt en termes de rentabilité en a fait une alternative pour des exploitants en grandes cultures », note-t-il. Cette « capacité de revenu intéressante », selon ses termes, a été renforcée par des aléas climatiques à répétition qui ont entravé la production dans les zones traditionnelles.
Dès lors, sortant de sa zone historique, la région Paca et le Sud de Rhône-Alpes, le lavandin a pu s’étendre de l’Occitanie jusqu’au Centre et l’Ile-de-France, mais aussi venir en soutien de producteurs malmenés, tels des viticulteurs du Tricastin ou des éleveurs ovins en butte aux attaques du loup dans la Drôme, développe Alain Aubanel.
Aussi, les surfaces n’ont cessé de croître, passant de 17 000 hectares (ha) dans les années 2000 à 30 000 actuellement (comprenant lavande et lavandin). Le nombre d’exploitants, lui, a augmenté de 15 % de 2014 à 2018 (1 433 à 1 723). Les nouveaux entrants rejoignent une population de producteurs assez hétérogène : quand 75 % des exploitations lavande-lavandin ont des surfaces de 18 ha, les plus grands cultivent jusqu’à 300 ha. Ainsi, 10 % d’entre elles représentent 50 % de la surface totale lavande et lavandin.

Correction de prix

Après une augmentation constante durant douze ans et une pointe en 2018-2019, les prix de l’huile de lavandin connaissent une « correction » : « Les prix demandés jusque-là n’étaient peut-être pas “normaux ” », avancent certains. « Ils sont montés trop vite, trop haut ; c’était trop cher, c’est sûr », lâche Eliane Bres, à la tête de la coopérative France Lavande. Les cours du pétrole diminuant, les éléments de synthèse reprennent leur part dans les produits nettoyants. « L’huile de lavandin se négocie à peu près à 40 euros le kilo, contre 8 à 10 dollars (7 à 12 euros) le kilo d’élément de synthèse », détaille Jérôme Volle. Même si les lessiviers achètent aussi l’image « naturelle » du produit, la pression se fait donc sentir.La crise sanitaire ralentit les échanges et la production 2020 a été « exceptionnelle, en augmentation de 40 % : nous avons une année de récolte en avance », selon Alain Aubanel. Stocks abondants, « demande en baisse depuis dix mois », explique Jérôme Volle : les cours suivent, avec un recul des prix « de 40 à 50 % », estime-t-il. Avec cette bascule, « j’ai des gens en larmes au bout du fil, assure Eliane Bres. C’est catastrophique pour les lavandiculteurs. »

La lavande sous pression bulgare

La lavande, elle, est réservée à des usages plus « nobles » que le lavandin : cosmétologie et parfumerie. Les producteurs français font face à une vive concurrence apparue récemment en Bulgarie, laquelle « compte déjà 20 000 hectares », selon Jérôme Volle. « Elle a produit cette année 400 ou 500 tonnes d’huile essentielle, contre 250 en France », ajoute Alain Aubanel. Là encore, la différence de prix joue à plein : 40 euros le kilo d’huile essentielle pour l’une, 90 à 120 euros le kilo pour l’autre, « et la différence de qualité n’apparaît pas sur l’étiquette », regrette le président de la fédération des Ppam. Par rapport aux principaux utilisateurs - Chine, pays asiatiques -, la France doit donc jouer le haut de gamme.
Que ce soit lavande ou lavandin, le temps est venu de stabiliser les surfaces et d’exploiter pleinement les atouts du produit. Pas si facile, aux yeux d’Eliane Bres, qui lâche sans ambages : « Maîtriser les surfaces ? C’est un peu tard, il s’est planté du lavandin partout… Il aurait fallu le prévoir il y a quatre ou cinq ans, faire une IGP ». Et de conclure : « Pour sa part, notre coopérative refuse de prendre de nouveaux adhérents ».
Pourtant, à d’autres, les débouchés semblent assurés : « On n’a jamais autant lessivé et lavé qu’aujourd’hui », sourit Alain Aubanel, et les lessiviers continueront à recourir aux huiles essentielles. Jérôme Volle l’assure : « Ces cultures bénéficient à plein de l’intérêt renouvelé pour les productions locales et la protection de l’environnement ». Et de souligner que ces filières sont structurantes pour les « zones historiques ». Traçabilité, bilan carbone, méthodes alternatives de culture, certification HVE à venir… malgré le coup d’arrêt dû à la pandémie, lavande et lavandin français ont des cartes à jouer.

Après une augmentation constante durant douze ans, les prix de l’huile de lavandin connaissent une « correction ».