Lavandiculture : « Le marché va s’assainir plus vite que prévu »
Alors que la récolte de lavande et lavandin approche, Alain Aubanel, président de PPAM de France et producteur à Chamaloc, nous livre son analyse sur la conjoncture difficile de cette filière. Un retournement de situation semble se dessiner. De quoi donner de l’espoir aux lavandiculteurs des zones traditionnelles.

Comment se présente la récolte de lavande et lavandin ?
Alain Aubanel : « Fin mai, la récolte des fleurs s’annonçait jolie, en avance d’une dizaine de jours. Mais avec la sécheresse qui perdure et en l’absence de pluies ces prochains jours, elle devrait être finalement moyenne. De plus, depuis un mois, beaucoup de plantations sont affectées par des attaques sans précédent de cécidomyies. Des parcelles ont dû être broyées et des centaines d’hectares seront arrachés prématurément. Les plants de plus de cinq ans, affaiblis par plusieurs sécheresses et gels, sont les plus impactés. »
Aucun traitement n’est disponible pour lutter ?
A. B. : « Depuis l’interdiction de l’insecticide Reldan il y a deux ans, les lavandiculteurs sont dans une impasse technique. Cela fait vingt ans que des alternatives sont recherchées pour les producteurs bio, sans succès. La pression colossale de la cécidomyie cette année devrait être encore plus forte l’année prochaine. »
Quels impacts ont la crise sanitaire de la Covid-19 et la guerre en Ukraine sur votre filière ?
A. B. : « Avec les confinements et l’instauration du télétravail, la consommation d’huiles essentielles, de cosmétiques, de parfums a ralenti. Même le marché des détergents est affecté car il y a moins de bureaux à nettoyer. Celui de l’aromathérapie a également chuté avec la baisse des maladies les plus courantes. Par ailleurs, la hausse de 70 % du prix de l’énergie, celle des emballages (+ 30 %) déstabilisent fortement la filière. Les coûts de la distillation explosent. Tout ceci conduit des exploitants à ne pas récolter. »
« L’assainissement du marché lavandicole va venir plus rapidement qu’on ne le pense. Dans trois ans, nous pourrions retrouver des prix acceptables », estime Alain Aubanel, président de PPAM de France et lavandiculteur à Chamaloc.
Les prix payés aux producteurs ne suivent donc pas ?
A. B. : « Actuellement, chez les courtiers, le kilo d’huile essentielle se négocie à dix euros HT, ce qui représente une perte de mille euros par hectare ! Pour certains producteurs, arracher des parcelles de lavande et lavandin pour faire du tournesol n’est pas forcément un mauvais calcul. Déjà quelques dizaines d’hectares sont concernés en Drôme, beaucoup plus dans la Beauce, en Bulgarie… Cela donne une tendance. Mais tous les exploitants, notamment ceux en zone traditionnelle de production comme le Diois ou les Baronnies pour la Drôme, ne peuvent se lancer dans les grandes cultures faute d’eau et de parcellaires adaptés. Certaines exploitations qui n’ont rien vendu depuis plus d’un an sont en très grande difficulté. »
Dans le contexte actuel de surproduction et de chute des prix, peut-on penser que les arrachages vont assainir cette situation ?
A. B. : « L’assainissement du marché lavandicole va venir plus rapidement qu’on ne le pense. Dans trois ans, nous pourrions retrouver des prix acceptables, même s’ils ne seront pas du niveau de ceux d’il y a cinq ans. À Ppam de France, nous demandons un plan d’arrachage car nous considérons qu’en supprimant les quotas de commercialisation (droits de vente - ndlr) il y a une dizaine d’années, l’État est responsable de l’explosion des plantations. »
Mettez-vous des conditions à ce plan d’arrachage ?
A. B. : « Nous en demandons deux. Tout d’abord que ceux qui arracheront ne puissent pas replanter pendant cinq ans et que la lavande et le lavandin soient remplacés par des céréales et/ou des oléagineux. Ensuite, que les distilleries aient accès au Plan de résilience du gouvernement en tant qu’entreprises fortement consommatrices d’énergie. Cela éviterait une répercussion des hausses de leurs charges sur les producteurs. »
À cette probable embellie de la filière, espérez-vous d’autres bonnes nouvelles ?
A. B. : « La réponse est oui. Une étude de marché conduite avec FranceAgriMer auprès d’un panel de consommateurs plébiscite les produits naturels. Cela nous sert d’argument auprès des grandes entreprises (formulateurs pour les cosmétiques, parfums, lessives…) que nous fournissons. Des entreprises qui, actuellement, ont tendance à revenir vers les produits de synthèse, sans doute par anticipation d’un durcissement de la réglementation sur les huiles essentielles naturelles (voir encadré). Par ailleurs, Ppam de France et le Cpparm (comité des plantes aromatiques et médicinales - ndlr), en lien avec les Régions Paca et Aura et les Départements concernés, font une demande de classement de la lavande de Provence au patrimoine mondial de l’Unesco. Cela permettra de protéger et valoriser la production, les savoir-faire. En Drôme, le lancement de cette démarche est prévu le 4 juillet à Grignan. »
Pour finir, quel message souhaitez-vous adresser aux lavandiculteurs ?
A. B. : « On va s’en sortir même si c’est parfois très compliqué et que certains producteurs souffrent beaucoup, notamment en zone traditionnelle lavandicole. Je suis confiant. J’ajoute que les grandes entreprises qui sont nos clients doivent cesser d’acheter nos huiles essentielles en dessous du prix de revient et être cohérentes avec leurs engagements sociétaux (RSE...). Elles doivent remettre de la moralité dans leur fonctionnement. »
Propos recueillis par Christophe Ledoux
Lavande : le Sénat défend les huiles essentielles
Le sénateur Jean-Michel Arnaud (Hautes-Alpes) a déposé le 31 mai, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, une proposition de résolution européenne visant à préserver la filière des huiles essentielles à base de lavande. Celle-ci risque d’être « une victime collatérale » de la révision prochaine de deux textes européens relatifs aux substances chimiques, affirme-t-il : le règlement Reach, qui vise à sécuriser leur fabrication et utilisation ; et le règlement CLP, qui porte sur la classification, l’étiquetage et l’emballage. M. Arnaud estime que ces règlements sont « inadapté » car les huiles essentielles sont considérées « à tort comme des substances chimiques ». Il affirme aussi que leur révision engendrerait des « surcoûts » et des « risques juridiques et marketing » pour les « producteurs, importateurs et industriels ». Il alerte enfin sur une possible « confusion entre les perturbateurs endocriniens et les substances entraînant une activité endocrinienne ». La proposition de résolution a été renvoyée à la commission des affaires économiques du Sénat.
Sur ce sujet, « je pense que l’on va arriver à s’en sortir, confie Alain Aubanel, président de PPAM de France. Le bons sens, la raison et la science vont finir par s’affirmer. Mais il nous faut rester vigilants, ce que nous sommes », assure-t-il.