Le dessein d’une France agricole entre volontarisme et ambiguïté

Devant un parterre de 500 responsables agricoles et d'élus, réunis dans le gymnase de Saint-Genès-Champanelle dans le Puy-de-Dôme, le président de la République a tracé la voie de la politique agricole qu'il entend conduire, soulignant d'emblée sa volonté d'adresser des vœux spécifiques « aux agriculteurs, ces piliers de la Nation, garants de notre souveraineté alimentaire ». Si au début et à la fin de son discours, Emmanuel Macron a multiplié les séquences de câlinothérapie,
(« parce que vous êtes les premiers maillons du goût français », « l'agriculture a du talent, de la ténacité »), allant jusqu'à conclure des trémolos dans la voix « avec les crises, je sais que beaucoup sont dans le doute et la souffrance. Je sais aussi tout l'investissement de ceux qui sont engagés dans ce qui n'est pas un métier mais une vie, parce que ça commence tôt et ça finit tard, ça ne s'arrête jamais ». Sur le fond, il a confirmé des engagements mais aussi sérieusement battu en brèche les positions qu'ils portaient, hier encore. Décryptage.
Ramener du prix à la production
« Le combat pour la valeur nous l'avons livré en lançant les États généraux de l'alimentation », a indiqué Emmanuel Macron, se félicitant de la promulgation imminente d'une loi permettant « la juste rémunération », considérée comme « l'étape de base ». Toutefois, constatant que malgré la signature de la charte d'engagement, certaines enseignes ne la respectaient pas, le Président a été très clair : « Quand on est un acteur économique, on respecte les lois de la République, et les engagements que l'on a pris. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous allons donc renforcer les contrôles et dire au consommateur qui fait quoi ». Unanimement, dans les rangs de la FNSEA, on salue le volontarisme du chef de l'État. « Sur les prix, nous avons œuvré, au niveau de la FNSEA, pour faire des propositions depuis le début des États généraux pour renverser la réglementation qui était faite pour tirer les prix vers le bas, et pour aller vers une réglementation qui protège les agriculteurs et leurs prix. C'est un sujet qui doit être accompagné d'autres mesures, notamment de stratégies à l'export, pour être efficace. Nous avons porté plusieurs points : la condamnation des prix abusivement bas, l'introduction des coûts de production dans toute la chaîne contractuelle, les clauses de renégociation des prix, et l'arrêt de la guerre des prix, en encadrant les promotions et en relevant le seuil des reventes à pertes. Parallèlement, nous avons demandé que les règles européennes relatives au droit de la concurrence évoluent, pour que les agriculteurs puissent s'entendre sans être
condamnés. Sur cette partie, le chef de l'État a amplifié et renforcé le discours qu'il avait eu en octobre à Rungis. Cela va dans le bon sens. Maintenant, place aux actes de la part du chef de l'État, place à la loi ».
Pac : Macron prêt à défendre le budget
Dénonçant la complexité de la politique agricole commune, la rendant souvent illisible, Emmanuel Macron a indiqué vouloir œuvrer en faveur d'une « Pac aux ambitions préservées ». Comprenez, il est prêt à se battre pour défendre un budget fort pour la Pac. Un point positif pour les responsables agricoles. Dans le détail du canevas de la future Pac, le président a avancé un certain nombre de points : recours à davantage de subsidiarité, mécanismes efficaces de lutte contre la volatilité des prix, outils de gestion des nouveaux risques, assurances climatiques, aides directes « qui constituent le premier filet de sécurité européen pour permettre à l'agriculteur de gérer son risque ».
ICHN : pas d'écrêtement sur la montagne
Sur l'ICHN (indemnité compensatoire de handicap naturel), Emmanuel Macron a rappelé « qu'elle a été conçue avec des critères qui ne correspondent plus aux règles européennes. Depuis 2013, la France traîne cette impasse. Il nous faut en sortir dans les mois qui viennent ». Reste à savoir si le chef de l'État compte bel et bien intégrer les surfaces végétales dans les ICHN... Il a toutefois précisé, que « l'ICHN en zone de montagne ne sera pas écrêtée », tout en indiquant qu'une nouvelle carte zones défavorisées simples (ZDS) « claire et partagée, serait publiée mi-février ». Pour les territoires qui sortiraient du dispositif, il s'est voulu rassurant : « Il y a des inquiétudes, c'est pourquoi, il faudra prévoir des mesures d'accompagnement pour les territoires qui sortiraient du dispositif ICHN, en se donnant un délai de sortie de deux à trois ans ». Selon Patrick Bénézit, les inquiétudes sont loin d'être levées « notamment sur les ZDS, d'une part sur le zonage, et d'autre part sur le budget. Nous considérons toujours que la réforme doit être financée sur des fonds nationaux émanant de Bercy et que les conséquences financières de cette réforme ne doivent pas être assumées par les éleveurs ».
Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup !
Sur le loup, le chef de l'État a abusé des « en même temps », rendant la clarté de son propos imperceptible. « Il nous a parlé d'équilibre, mais cela veut tout et rien dire, explique Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes. On ne peut pas d'un côté vouloir remettre l'éleveur au cœur de la montagne, comme il l'a exprimé, et de l'autre ne rien annoncer sur les tirs de défense indispensables pour atteindre l'objectif de zéro attaque ».
Sophie Chatenet
« Des annonces concrètes », estiment la FNSEA et JA
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a réagi au discours d’Emmanuel Macron, saluant « des choses très concrètes », comme l’épargne de précaution, les dispositifs assurantiels défendus par le président, ou encore la loi à venir suite aux États généraux de l’alimentation et qui devrait reprendre l’essentiel des propositions du secteur agricole. « Bien sûr, nous vérifierons si les annonces sont tenues », a-t-elle prévenu, mais « le discours était attendu pour redonner de l’espoir sur les prix », un sujet sur lequel le volontarisme du président de la République semble prouvé. Néanmoins, certains points restent problématiques, comme « celui des zones défavorisées simples, avec des territoires qui sont aujourd’hui classés et qui risquent de quitter ce zonage, et donc de perdre l’aide financière, ce qui serait catastrophique », indique la présidente de la FNSEA. Jeunes agriculteurs a également salué des « engagements clairs », s’inquiétant cependant de la vision du président de la République concernant les accords commerciaux internationaux et sur l’avenir de l’ICHN. « Nous aurons besoin d’un suivi actif des engagements pris aujourd’hui mais aussi d’un État qui traite l’agriculture de façon spécifique à l’échelle nationale comme internationale », a commenté Jérémy Decerle, président de JA.
Mercosur / L’onde de choc d’un accord imminent
« Si nous savons nous organiser, l’ouverture au monde n’est pas un danger ». La formule aurait pu être séduisante si, deux secondes plus tard, le président de la République n’avait pas habilement fait comprendre à son auditoire que la signature d’un accord avec le Mercosur était imminente. Incompréhensible pour Bruno Dufayet, président de la FNB, qui dénonce ni plus ni moins une trahison : « Je suis sorti de Rungis plein d’espoir, je repars de Saint-Genès-Champanelle abattu. Le chef de l’État nous disait à Rungis qu’il allait demander à Bruxelles de ne pas signer l’accord de libre-échange avec le Mercosur, et aujourd’hui, il vient expliquer aux éleveurs de bovins viande qu’il est prêt à signer un accord à hauteur de la ligne rouge fixée par son équipe à 70 000 tonnes ».Sur ce sujet, c’est donc la douche froide. « Venir dire cela au cœur du Massif central est une véritable provocation que les éleveurs ne laisseront pas passer, observe Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. Nous exigeons que le gouvernement français se ressaisisse sur cette question. On ne peut pas nous demander de faire toujours mieux, tenir un discours où des prix à la production sont nécessaires, et nous inonder de dizaine de milliers de tonnes de viande produites avec toutes les molécules possibles et imaginables interdites depuis des lustres sur notre territoire ». Comble de l’incohérence, selon Bruno Dufayet, le président de la République a conclu son discours sur l’enjeu climatique : « Alors que le monde de l’élevage bovin viande français a fait la preuve de sa capacité à répondre au défi climatique, Nicolas Hulot lui-même en est convaincu, le président veut faire rentrer sur notre territoire de la viande produite à grands coups de déforestation en Amazonie. C’est n’importe quoi ! »
