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Equilibre territorial

« Le devenir des territoires ruraux, un enjeu pour la France »

Avec la réorganisation territoriale, des inquiétudes se font jour sur le risque de fracture entre zones urbaines et rurales. Intervenant dans un colloque organisé à l'Assemblée nationale, Anne-Claire Vial, en tant que présidente de Sol et Civilisation(1), a défendu « l'inter-territorialité ville-campagne ».
« Le devenir des territoires ruraux, un enjeu pour la France »

A l'invitation d'Henri Nallet, président de la Fondation Jean-Jaurès, et Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle et directeur de l'Observatoire de l'agriculture et de la ruralité de la Fondation Jean-Jaurès, s'est tenu le 13 décembre à l'Assemblée nationale un colloque(2) intitulé « Nourrir toute la Terre ». Cinq leviers ayant été identifiés, chacun a fait l'objet d'un débat : le partage et la protection du foncier ; la production d'une nourriture de toutes les qualités ; l'équilibre territoires-filières, l'agroécologie ; le juste commerce ; une nouvelle donne ville-campagne. Anne-Claire Vial, en tant que présidente de l'association Sol et Civilisation, est intervenue sur ce dernier thème. Nous lui avons demandé de nous restituer ses réflexions.

 

La réorganisation des territoires fait émerger un nouveau couple organisateur : les régions d'une part, les métropoles d'autre part. Le visage des campagnes change-t-il aussi ?
A-C. V. : « Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) définit trois catégories de campagne. Celles des villes, des vallées et du littoral avec une population jeune, active, dynamique ; celles à dominante agricole et industrielle, peu denses ; et celles de très faibles densités. Ces dernières concentrent une activité agricole et agroalimentaire en lien avec une activité touristique. C'est aussi là qu'on trouve "l'hyper-ruralité", telle que l'a définie le sénateur Alain Bertrand, où tous les voyants sont au rouge. »

 

Faut-il craindre pour le devenir des territoires ruraux ?

« Les territoires ruraux doivent être des espaces de vie, de développement économique, de projets collectifs et d'innovation », estime Anne-Claire Vial, présidente de Sol et Civilisation. A-C. V. : « Deux scénarios sont possibles. Dans le premier, les espaces ruraux deviennent des sous-produits de l'urbain. Ce sont de vastes espaces inhabités, éventuellement sanctuarisés au nom de la préservation de la nature et de l'environnement. Les moyens financiers s'estompent pour ces territoires avec les conséquences que l'on imagine (sociales, logistiques, politiques). A l'opposé de ce scénario noir, on peut imaginer des espaces ruraux pensés comme des pôles de développement, intégrant "l'inter-territorialité ville-campagne". L'idée n'est pas ici de défendre les campagnes pour les campagnes mais de les intégrer dans une logique de développement plus équitable, plus durable. Les territoires ruraux doivent être des espaces de vie, de développement économique, de projets collectifs et d'innovation. Leur devenir est un enjeu pour la France. »

 

Que proposez-vous pour que soit privilégié le deuxième scénario ?
A-C. V. : « Les décideurs politiques doivent réinventer un rôle pour les campagnes, sans partir d'une position nostalgique, défensive ou de séparation. Ainsi, les élus des métropoles doivent développer leur connaissance de l'agriculture, en lien avec tous les sujets prioritaires de la ville : son approvisionnement alimentaire, son développement économique et son attractivité. Ils doivent être ambitieux et ne pas se satisfaire de marchés paysans, de murs végétalisés, de productions de légumes sur les toits ! Il y a et il y aura plusieurs agricultures. Comme le directeur de la FAO, Graziano Da Silva, nous pensons à Sol et Civilisation que l'agroécologie et les biotechnologies sont complémentaires pour répondre aux défis du XXIème siècle et aux besoins des agricultures familiales, dans l'intérêt de la société tout entière. »

 

Pour aller dans ce sens, quel(s) échelon(s) faut-il convaincre ?
A-C. V. : « L'Union européenne doit affirmer haut et fort que l'agriculture et l'alimentation sont un domaine stratégique et géopolitique pour elle. Et ainsi arrêter à chaque réforme de la Pac de détricoter un peu plus des politiques au nom du dogme ultralibéral, qui ne convient pas à l'économie agricole et qui est en décalage complet avec ce que fait le reste du monde(3). Elle doit aussi encourager l'innovation en dehors des zones denses. Les approches Leader(4) ont souvent été une réussite. L'Europe de la croissance inclusive et intelligente se construit aussi dans les campagnes. Par ailleurs, à l'échelle nationale, il ne faut rien lâcher sur la couverture numérique, l'accessibilité physique, les services avec des solutions totalement nouvelles, à l'instar du projet télé-santé et télé-médecine porté par le comité d'expansion des Hautes-Alpes. De plus, il est nécessaire de placer la démarche sociétale d'une alimentation de qualité et de proximité au cœur des leviers pour créer des liens entre les territoires urbains et ruraux. »

 

Certes, mais comment ? Avez-vous un exemple en tête ?
A-C. V. : « Je citerai l'exemple du Grand Genève, métropole de 1,2 million d'habitants souvent classée dans le top 10 mondial. Depuis 2007, elle a placé l'agriculture au cœur de son projet avec une ambition : que 50 % de son alimentation viennent de son territoire transfrontalier. On peut citer aussi Turin. »

 

Et en France ?
A-C. V. : « Les projets alimentaires territoriaux (PAT), créés par la loi d'avenir agricole, vont dans ce sens, il faut les démultiplier. Je veux aussi évoquer, parmi les initiatives du monde de la coopérations, la démarche de la coopérative aveyronnaise Unicor (siège à Rodez). En 2014, elle a créé un magasin de 2 500 m² à 35 km de Paris (près de Cergy-Pontoise) dédié aux produits aveyronnais, en premier la viande. Un second est en projet, toujours en région parisienne, tant le succès est là ! Par ailleurs, les contrats de réciprocité, avec l'exemple de Brest métropole, sont intéressants et permettent d'aller au-delà de l'aspect alimentaire. Des signaux encourageants apparaissent, il faut les voir et les soutenir. »

 

Comment faire pour aller plus loin ?
A-C. V. : « Comme le préconise l'économiste Olivier Bouba-Olga(5), il faudrait des politiques moins jacobines. Les contextes territoriaux étant très différents, il faut développer des financements spécifiques pour l'ingénierie inter-territoriale, entre métropoles et territoires ruraux. Il faudrait peut-être réfléchir à une évolution du système électoral au sein des conseils régionaux, afin de garantir une représentation des territoire ruraux dans les instances décisionnelles. Ainsi, nous maintiendrons la cohésion sociale et l'art de vivre à la française. »

 

(1) Sol et Civilisation est un think-tank indépendant, créé en 1991 par des responsables agricoles et d'autres personnalités, pour penser et accompagner l'innovation dans les territoires ruraux. Depuis 2012, il est présidé par Anne-Claire Vial, également présidente de la chambre d'agriculture de la Drôme.
(2) Ce colloque s'est appuyé sur la prospective Agrimonde-Terra Inra Cirad « l'usage des terres et la
sécurité alimentaire à l'horizon 2050 ».
(3) Lire l'article « L'agriculture est-elle encore un secteur stratégique ? », paru en page 3 de L'Agriculture Drômoise du 1er décembre (à retrouver aussi sur www.agriculture-dromoise.fr).
(4) Leader : programme de « liaison entre actions de développement de l'économie rurale », initiative de l'Union européenne pour soutenir des projets de développement rural lancés au niveau local afin de revitaliser les zones rurales.
(5) Olivier Bouba-Olga, économiste français, est professeur des universités en aménagement de l'espace et urbanisme et doyen de la faculté de sciences économiques de l'université de Poitiers. Ses recherches portent sur l'économie de l'entreprise, l'économie de l'innovation et l'analyse du développement économique local.