« Le loup, nous n’en voulons plus »
Thierry Devimeux, préfet de la Drôme, a rencontré des éleveurs vendredi 6 juin à Saint-Agnan-en-Vercors, afin d’échanger sur leurs attentes en matière de lutte contre la prédation lupine.
À peine arrivée au Gaec de la Luire, exploitation tenue par Thierry Arnaud et ses deux fils Sébastien Arnaud et Grégory Guillet, l’équipe de la préfecture a pris de plein fouet la colère des éleveurs drômois. « Nous sommes dans l’attente. Le loup peut vivre mais ceux qui nous dérangent devraient être prélevés. Nous vous demandons d’avoir du courage pour que les positions de l’État bougent, a lancé au préfet Frédéric Gontard, président de la Fédération départementale ovine. Le loup, nous n’en voulons plus. Nous n’arrivons même plus à produire de l’agneau ».
Une alerte identifiée par Thierry Devimeux, préfet de la Drôme, à l’origine de cette rencontre avec la profession. « Vous êtes soumis à une forte pression de la prédation. Je n’esquive pas la discussion. Au contraire, je viens voir quelles solutions trouver », a assuré le haut fonctionnaire.
« Des états psychologiques chaotiques »
« Les finances agricoles sont tendues. Si nous continuons comme cela, nous ne pourrons plus produire. Attention, le monde agricole est au plus mal. Le Mercosur va finir par remplacer les éleveurs. Vous parlez de statistiques mais nous ne pouvons pas vivre avec autant de loups. Nous avons 1 000 chiens de protection dans la Drôme. C’est ingérable », a déclaré Frédéric Gontard. « Dans dix ans, les vaches seront clôturées comme les brebis et fermées dans des bâtiments », a déploré Sébastien Bosc, éleveur drômois. « Aujourd’hui, le loup attaque les bovins. Nous évitons de faire les mises bas dehors, a précisé Alain Baudouin. Nous sommes pris pour cibles parce que nous nous demandons la régulation. Certains viennent nous couper nos clôtures. Bientôt, nous n’irons plus pâturer dans certaines zones car trop risquées. Le paysage va changer, sans parler du risque d’incendie et l’impact sur la production alimentaire. C’est lamentable de laisser des exploitations dans des états aussi déplorables. Nous ne dormons plus la nuit. Nous sommes dans des états psychologiques chaotiques ».
Protéger les bâtiments
« L’hiver dernier, nous avons croisé un loup sur la route près de notre bâtiment. Lorsque je suis allé voir sur notre site, j’ai vu onze loups tourner autour. Quand les bêtes sont à l’intérieur, elles sont considérées en sécurité donc nous n’avons pas le droit de tirer. La réalité, c’est que le loup peut quand même y rentrer, a raconté l’un des éleveurs du Gaec de la Luire. Je me suis senti impuissant. J’ai contacté la direction départementale des territoires (DDT) qui m’a conseillé de tirer en l’air. Nous devons attendre un malheur pour être autorisés à tirer ». Constat similaire pour Alain Baudouin, président de l'association des éleveurs et bergers du Vercors Drôme-Isère, qui a déploré l’interdiction de l’intervention de la louveterie dans un bâtiment. « À l’échelle régionale, la DDT estime qu’un bâtiment peut être rendu étanche », a expliqué un agent du service départemental de l’État. « Il y a des interprétations du Plan national loup par certains fonctionnaires », a déploré Alain Baudouin. « Nous n’allons pas étouffer nos animaux en bouclant tous nos bâtiments. Nous nous sentirions plus en sécurité si nous pouvions les protéger », a souligné un éleveur présent. « Je vais faire remonter cette demande », a assuré le préfet.
Simplifier les tirs de défense
D’autres éleveurs ont alerté le préfet sur leurs chiens blessés par des loups et sur la lourdeur administrative nécessaire pour actualiser les autorisations de tir de défense. « Nous sommes regardés par la société et nous sommes tenus de respecter le cadre. Les louvetiers interviennent de plus en plus et de manière rapide », a assuré Thierry Devimeux. « Il faudrait leur donner plus de moyens. Ils devraient pouvoir prélever plusieurs loups lorsqu’ils interviennent. Ils ne sont autorisés à en prélever qu’un, donc on doit les rappeler trois jours après pour revenir ? Cela n’est pas écrit sur le Plan national loup, font remarquer les éleveurs. Ceux qui demandent des mesures de protection devraient bénéficier du tir de défense. Il n’y a que 2 % des éleveurs qui n’en veulent pas ».
« Nous sommes noyés sous l’administratif et payés trop tardivement », ont rapporté les professionnels. ©ME-AD26
« Quand nous en prélevons un, les autres se calment, a répondu le préfet. C’est la procédure pour contrôler le nombre de loups prélevés. Il faut faire la demande. Si nous dépassons le plafond de prélèvement, comment faire le reste de l’année ? ». « Si nous dépassons le plafond, cela veut peut-être dire qu’il n’est pas adapté », lui a rétorqué un éleveur.
La question du comptage
« Aujourd’hui, nous sommes sur du post-attaque. Il faudrait changer la réglementation nationale. Le loup est un prédateur qui adapte son attaque par rapport à la protection mise en place. Puisque les éleveurs se protègent et parquent les animaux, il attaque de plus en plus en journée et il attend la sortie des parcs, a constaté un représentant départemental de l’Office français de la biodiversité. Sur les indices utilisés pour compenser les relevés, nous avons peu de retombées départementales. J’ai 25 pièges photo actifs et répartis sur le territoire mais ça ne suffit pas. Pour que ces indices soient pris en compte, il faut plus d’un loup sur la photo. Le mieux est d’avoir des vidéos ». Les éleveurs ont pointé du doigt la prise en compte des loups hybrides dans les quotas de prélèvement. « Nous devrions faire des analyses génétiques afin d’avoir le taux d’hybridation des loups prélevés », a proposé une éleveuse. Le préfet a retenu l’idée de faire analyser les animaux domestiques mordus pour évaluer le génotypage du loup.
Prioriser les demandes d’aides
Depuis 2024, les éleveurs ovins et caprins peuvent demander l’aide à la protection des exploitations et des troupeaux contre la prédation du loup et de l’ours. « Nous sommes noyés sous l’administratif et payés trop tardivement », ont rapporté les professionnels. « Il y a un phénomène d’engorgement avec des traitements de dossiers parfois incomplets et longs. Nous pouvons nous mettre d’accord sur une liste de demandes prioritaires, par exemple pour payer le salariat », a répondu l’équipe de la DDT avant de donner quelques chiffres. Sur 548 demandes d’aides, 308 ont été payées, soit 56 % d’entre elles. 85 % des demandes ont déjà été traitées par la DDT. « L’administration est de votre côté. Nous faisons notre possible pour vous accompagner dans la gestion de ces difficultés avec ce cadre européen contraignant », a martelé Thierry Devimeux.
« Nous avons quatre ou cinq métiers. Les dossiers Safran sont trop durs, nous sommes obligés de faire appel à la FDO pour les remplir. Moi, je n’en peux plus. Nous avons un boulevard devant nous avec le coût de l’agneau qui augmente et on nous freine », a protesté Frédéric Gontard.