Accès au contenu
Après-quotas et élevage laitier

Le modèle d’élevage laitier en question

À moyen terme, la taille des exploitations laitières françaises devrait continuer de croître, selon l’Institut de l’élevage. Mais jusqu’où ? Entre
la ferme géante des 1 000 vaches et la petite exploitation de montagne en transformation fromagère intégrale,il y a de la place pour une grande diversité de fermes et de stratégies. Avec la fin des quotas, le paysage laitier bouge mais il n’est pas figé dans un modèle unique.
Le modèle d’élevage laitier en question

Dans un monde où la compétitivité prix est l'élément essentiel, plusieurs projets de fermes de grande taille émergent en France. Depuis plus d'un an, la ferme des 1 000 vaches (cf article ci-contre) dans la Somme accueille un troupeau de 500 vaches et fait beaucoup parler d'elle. Un projet d'élevage de taurillons porté par trois agriculteurs prévoit 1 200 taurillons près de Hagenau en Alsace, un autre pourrait monter jusqu'à 1 500 taurillons dans l'Oise, ou encore près de Tours, un Gaec envisage de s'agrandir pour atteindre le nombre de 2 200 animaux avec 450 vaches laitières et 1 300 chèvres. Et souvent, les riverains se mobilisent par crainte de l'augmentation des nuisances et certains s'inquiètent du bien-être des animaux, des impacts environnementaux et de la survie des exploitations plus petites. Aussi, la question de la taille des élevages, notamment laitiers, se pose comme une évidence pour les agriculteurs français.

La tendance est à l'agrandissement

Depuis 1980, la taille des exploitations laitières s'accroît et le nombre de vaches par exploitation augmente. Mais cette tendance à l'agrandissement s'accélère. Lors de la campagne 2008-2009, seulement 10 % des exploitations françaises produisaient plus de 500 000 l de lait. En 2013/2014, plus de 20 % des fermes laitières dépassent ce seuil. Un doublement en cinq ans. Dans le même temps, le nombre de fermes produisant moins de 200 000 l est passé de 40 % à 28,3 %. Ces agrandissements sont souvent le fait de Gaec qui accueillent ainsi de nouveaux associés, ce qui permet d'améliorer les conditions de travail en réduisant les astreintes. Or, jusqu'où faut-il aller ? Aujourd'hui, la ferme moyenne française en production laitière comprend 57 vaches et génisses, 88 hectares de terre et deux personnes. Si l'on pousse le raisonnement économique très loin, on peut développer des modèles de fermes géantes à l'image de Fair Oaks Farms aux États-Unis qui réunit 40 000 vaches laitières et produit plus de 300 millions de litres de lait par an ou encore certaines exploitations allemandes qui comptent plus de 1 000 bovins et plusieurs dizaines de salariés.
Alors que l'on pourrait penser qu'il faut être gros pour être efficace économiquement, ce n'est pas toujours vrai. La rentabilité d'un grand élevage n'est pas toujours supérieure à celle des exploitations classiques. Cet été, la plus grande exploitation Suisse qui comptait 280 vaches et une production de 2,85 millions de litres a mis la clé sous la porte faute de rentabilité. « Les coûts de production ne sont pas directement corrélés aux tailles d'exploitations. Des structures moyennes peuvent être efficaces si elles sont bien gérées. Il est, en revanche, important d'atteindre un seuil suffisant de lait par unité de main-d'œuvre pour rémunérer le travail », souligne une étude des chambres d'agriculture. La modernisation des élevages de taille moyenne via les bâtiments et la robotisation par exemple permet d'améliorer les conditions de travail des agriculteurs tout en produisant un lait de qualité à un coût de production raisonnable.

Des exploitations à taille humaine

Pour Philippe Wallet, ingénieur au BTPL (Bureau technique de promotion laitière), « conduire un grand troupeau ne s'improvise pas, cela demande de nouvelles compétences et une grande rigueur. Le volume de production ne suffit pas à la rentabilité. Il faut avoir un coût de production bas et augmenter la productivité par travailleur. La conduite d'un grand troupeau génère de nouvelles contraintes et demande de remettre en cause de nombreuses pratiques qui ont fait leur preuve avec des tailles de cheptel classiques. » Avec les fermes géantes, le pâturage disparaît le plus souvent. Or, en France, plus de 50 % de la ration des vaches laitières est composée d'herbe et 30 % de maïs souvent cultivés sur l'exploitation. Les enjeux en termes de pratiques d'élevage et d'image vis-à-vis des consommateurs sont également importants.
Aussi, même si la création de quelques méga fermes aura bien lieu en France, la grande majorité des producteurs laitiers devraient garder des exploitations à taille humaine, selon l'Idele. D'après une étude de l'Institut de l'élevage, les exploitations françaises vont continuer de croître dans les années à venir pour atteindre en moyenne 90 vaches d'ici 20 ans. Cette restructuration de la production laitière va s'accompagner d'une réduction du nombre de fermes laitières pour atteindre environ 20 000 unités en 2035, selon Christophe Perrot de l'Idele. « À la différence de nos voisins européens, la France devrait accueillir encore des exploitations de taille très différente selon les régions, avec des fermes de 300 vaches en zone de plaine et de 30 vaches en zone de montagne. Et les exploitations situées entre ces deux extrêmes, mixtes ou en polyculture-élevage, représenteront encore une part importante des fermes laitières », indique le chargé de mission économie à l'Idele. Les méga fermes ne seront que des exceptions. Tout n'est donc pas joué dans le paysage laitier français. Il y a de la place pour de la diversité de stratégie, car il y a une diversité de paysage et de type d'élevage. » 

Camille Peyrache

 

STATISTIQUES /
La France, leader des exploitations de plus de 100 ha

En Europe, avec 53,9 ha, la France pointe au 7ème rang en matière de taille d’exploitation moyenne, très loin derrière la République tchèque (152,4 ha), le Royaume-Uni (90,4 ha), la Slovaquie (77,5), le Danemark (62,9 ha), le Luxembourg (59,6 ha) et l’Allemagne (55,8 ha). En queue de classement, on retrouve la Pologne (9,6 ha) et la Roumanie (3,4 ha). Plus généralement, la majorité des exploitations d’Europe centrale (hormis dans l’ex-Tchécoslovaquie) et du sud ont des exploitations avec des plus petites surfaces.
Mais contrairement aux idées reçues, c’est en France que les grandes exploitations sont les plus nombreuses :
247 000 exploitations ont plus de 30 ha ; 94 250 ont plus de 100 ha. Si la France ne dispose que de 4,2 % du total des exploitations européennes, en revanche, elle totalise 28,9 % des exploitations de plus de 100 ha. C’est également en France que la SAU des grandes exploitations est la plus élevée : 16,45 millions d’hectares pour les exploitations de plus de 100 ha, devant l’Espagne (13,09 millions) et le Royaume-Uni (12,48). Ces chiffres traduisent aussi la volonté affichée de l’agriculture française de s’approcher de l’autonomie alimentaire au détriment des élevages hors-sol.
La taille moyenne du troupeau laitier va augmenter
Dans le peloton de tête des producteurs de lait, la taille moyenne du cheptel varie énormément. Alors que le cheptel moyen européen s’élève à 29 vaches, un troupeau britannique (3ème producteur laitier européen en volume) compte en moyenne 119 vaches, et le troupeau polonais (6ème producteur) en compte seulement 16 ! La France et l’Allemagne possèdent un troupeau moyen relativement similaire : 53 vaches pour le premier et 56 pour le second. Cette moyenne cache néanmoins d’importantes disparités : en Allemagne ou en Pologne, les fermes comptant plusieurs milliers de têtes ne sont pas rares. En France, les fermes de grandes tailles font l’objet de vives critiques, comme celle dite des 1 000 vaches (lire ci-contre). Il n’empêche, la superficie des exploitations comme la taille des cheptels sont appelées à augmenter dans les années futures, en France ainsi que chez ses voisins européens. Selon une étude prospective de l’Institut de l’élevage, le cheptel moyen des fermes françaises pourrait approcher 90 vaches laitières dans un avenir pas si lointain.