Le nougat Silvain, le savoir-faire au service de la tradition

Derrière les vitres du laboratoire attenant à la boutique Silvain, à Saint-Didier dans le Vaucluse, le fils, Jean, fait caraméliser du miel de lavande dans un chaudron en cuivre. D'habitude, il travaille plutôt au grand air, entre ses ruches et ses amandiers, mais il prête main-forte à son père, Philippe, pour la fabrication du nougat quand approchent les fêtes de fin d'année. Les nougats noir et blanc figurent parmi les treize desserts provençaux servis lors de la veillée de Noël, représentant les pénitents noir et blanc, et ses ventes s'envolent à cette période. Les deux frères Silvain, Pierre et Philippe, étaient jadis agriculteurs, cultivant cerisiers, vignes, amandiers et oliviers avec leurs épouses respectives, Remedios et Claudine, dans les plaines du comtat venaissin, entre les premières collines des monts de Vaucluse et le mont Ventoux. « Ils cherchaient une source de revenus supplémentaires en hiver et, comme ils avaient des amandes et quelques ruches, ils ont décidé de faire du nougat à partir de 1996 », raconte Claire Silvain, fille de Philippe et chargée de communication de l'entreprise familiale. Les deux couples exhument une recette d'une aïeule, prénommée Henriette, pour proposer un savoir-faire d'antan.
Des amandiers plantés chaque année
Les premières plaquettes de nougat, fabriquées dans la cuisine familiale, sont vendues sur les marchés de Noël de la région ou directement au domicile des Silvain. Les confiseries rencontrant rapidement un vif succès, les agriculteurs en font leur activité principale, puis installent dans les années qui suivent un espace de vente et un laboratoire de préparation dans une boutique à Saint-Didier. « Nos nougats plaisent pour leur goût et leur tendreté, on est loin de l'image des plaques qui cassent les dents, estime Claire Silvain. On n'utilise que des matières premières de qualité : des amandes de Provence (60 % de la composition pour le noir, 40 % pour le blanc et les fruités, ndlr) et du miel de lavande. Il n'y a ni conservateur, ni colorant ». La Provence était jadis une terre de culture des amandiers, mais les arbres ont été arrachés au fil du temps pour être remplacés par d'autres variétés. « On ne parvient pas à être autosuffisant en amandes, note la porte-parole de la famille de nougatiers. La part de nos amandes représente environ 70 %, le reste provient de la coopérative Sud amandes, installée à Garons (Gard) et un peu de Corse. C'est de plus en plus difficile d'en trouver, d'autant plus que nous sommes très vigilants sur la provenance. Cette année, il y en a peu et elles sont plus chères ». Jean, le fils de Philippe, et Adeline, la fille de Pierre, ont repris l'exploitation agricole familiale, qui s'étend sur une trentaine d'hectares. Progressivement, ils ont arraché vignes, cerisiers et oliviers pour cultiver exclusivement des amandiers qui produisent une dizaine de tonnes de fruits. Ils se sont engagés dans une stratégie de développement et œuvrent pour le renouveau de cet arbre. « On plante des amandiers chaque année depuis vingt-cinq ans pour travailler avec nos amandes, explique Claudine Silvain. En 2016, il est prévu de mettre en terre 700 pieds sur deux hectares. Les vieux arbres sont régénérés ». « Un amandier commence à donner ses premiers fruits au bout de cinq ans, c'est long ! ajoute Claire. Il y a encore du travail, des terres à acheter, mais on espère parvenir à un approvisionnement complet d'ici 2020 ». La moitié des huit tonnes de miel utilisées dans les recettes est issue des 400 ruches que Jean transhume sur le plateau de Sault, haut lieu de la culture de la lavande, ainsi que dans l'enclave des Papes, dans le nord du Vaucluse. Des apiculteurs de la Drôme et de l'Ardèche complètent l'apport.
Trente tonnes de nougat
Tout est fabriqué de manière artisanale : pour le nougat noir, le miel est caramélisé dans un chaudron en cuivre, puis sont ajoutés des amandes grillées à l'état brut et de l'arôme naturel d'orange flambé. Pour le blanc, le miel est cuit au bain-marie pendant trois heures, auquel sont additionnés, pour l'onctuosité, des blancs d'œuf montés en neige et des amandes. Le mélange est remué de longues minutes par une pelle en bois, puis versé sur une feuille de pain azyme pour constituer des plaques. Quelque trente tonnes sortent du laboratoire de Saint-Didier chaque année. 70 % du chiffre d'affaires des nougatiers est réalisé entre novembre et décembre. Outre la vente en boutique (70 %), les nougats Silvain sont commercialisés dans les épiceries fines et confiseries. À l'approche de Noël, le carillon de la porte de la boutique, véritable caverne d'Ali Baba de la gourmandise, ne cesse de retentir à chaque entrée de nouveaux clients. À côté des traditionnelles plaques de nougat noir et blanc, s'est développée une gamme de nougats aux fruits - abricot, pistache et figue, fruits rouges - et d'audacieuses pâtes de nougat sucré salé avec olives de Nyons (Drôme), truffe de Carpentras (Vaucluse) ainsi que poivron, piment basque et tomate. Dans la toute dernière création, des morceaux de spéculos, célèbre biscuit belge à la cannelle et autres épices, ont été incorporés au nougat blanc. « Notre clientèle est proche des valeurs traditionnelles provençales, ce qui ne l'empêche pas d'apprécier les nouveautés, explique la fille Silvain. On cherche toujours à innover, on a envie de surprendre les consommateurs. Notre nougat noir tendre, créé il y a quatre ou cinq ans, grignote des parts de marchés de son concurrent, le noir croquant. Il est fabriqué avec plus de miel, sans sucre, et présente une belle tendreté... ».
Murielle Kasprzak
Provence / Selon la tradition provençale, vieille de plusieurs siècles, les treize desserts sont servis lors de la veillée de Noël, après le gros souper, qui forme un ensemble de plats légers pris avant d’aller à la messe de minuit.
La tradition des treize desserts
Disposés sur trois nappes, encadrés par trois bougies et trois coupelles contenant le blé mis à germer à la Sainte-Barbe, les treize desserts représentent le nombre de convives lors de la Cène, repas rassemblant Jésus et ses apôtres, et ont chacun une signification. La pompe à huile ou fougasse ou gibassier, un gâteau à l’huile d’olive parfumé à la fleur d’oranger, est rompue à la main pour répéter le geste de Jésus avec le pain. Les quatre mendiants représentent l’ordre des Augustins avec noix ou noisettes, les Carmélites symbolisées avec les amandes, les Franciscains incarnés par les figues sèches et les Dominicains pour les raisins secs. Le nougat noir et le blanc rappellent la présence du pénitent noir et du pénitent blanc. L’origine orientale des Rois mages est suggérée par des dattes, tandis que les fruits de saison comme le raisin, les pommes, les poires, les oranges, les clémentines et le melon de Noël peuvent être présentés sous forme de fruits confits. Les oreillettes, beignets à pâte fine à la fleur d’oranger, qui peuvent être des calissons d’Aix ou des croquants aux amandes selon les territoires de Provence, et la pâte de coing ferment le ban des treize desserts. Ils resteront disposés sur la table pendant trois jours et les convives les goûteront un par un.Relancer les produits du terroir
La tradition des treize desserts, que le poète Frédéric Mistral a revalorisée au XIXe siècle, a permis à des produits du terroir provençal de connaître un regain d’intérêt après avoir été supplantés par les fabrications industrielles. Les croquants de Velleron de Bruno Michel s’invitent volontiers sur la table du réveillon de Noël. C’est sa grand-mère, Louise, qui lui a appris à les confectionner selon une recette de son aïeule Marguerite en 1846. « Avant, chaque foyer préparait ses croquants pour les treize desserts de Noël, mais la tradition s’est perdue au fil du temps », raconte l’artisan qui commercialise avec succès ses sachets de croquants depuis plus de trois ans. Les biscuits sont fabriqués à la main avec des amandes de Provence et des zestes d’orange. « J’utilise des vrais fruits, pour retrouver le goût à l’ancienne et je n’emploie pas de conservateur », ajoute Bruno Michel.
À Apt, ville située dans le sud-est du Vaulcuse, célèbre pour ses fruits confits, Denis Ceccon en fabrique artisanalement selon un procédé traditionnel qui sublime les arômes. Les gestes du blanchiment, confisage et glaçage lui ont été enseignés par son père, Denis, qui a ouvert un atelier en 1969. Les fruits proviennent d’une dizaine d’exploitations agricoles du quart Sud-Est où sont cultivées les variétés spécifiques du confisage. Poire martin-sec, figue petite-marseillaise, prune reine-claude, melon pescot, abricot, pêche, clémentine… près d’une dizaine de tonnes sont transformées en confiseries dans des immenses chaudrons grâce uniquement au pouvoir du sucre. Et au savoir-faire artisanal du confiseur.
M. K.