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Agronomie

Le potentiel redox : un atout caché sous nos pieds

 En agriculture, un paramètre souvent méconnu joue un rôle essentiel dans la santé des plantes : le potentiel redox du sol. Avec lui, l’idée n’est pas de tout contrôler, mais plutôt de maintenir la plante dans un état d’équilibre, légèrement acide et réduit, défavorable au développement des bioagresseurs.

Le potentiel redox : un atout caché sous nos pieds
Via l’étude du potentiel redox, la clé réside dans le maintien de l’équilibre naturel entre tous les composants du sol et de la plante, dans leur environnement. © Getty Images Khanchit Khirisutchalual

Considérons les feuilles d’une plante comme des panneaux solaires, le sol comme la batterie, le carbone comme la capacité de la batterie, et la rhizosphère comme un tube digestif. C’est de cette façon imagée qu’Olivier Husson, agronome, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), plante le décor pour expliquer l’intérêt du potentiel d’oxydoréduction, ou potentiel redox. Pour lui, une meilleure compréhension des dynamiques d’oxydoréduction pourrait permettre un bond en avant pour la santé des plantes et la réduction des produits phytosanitaires.
Le carbone actif d’un sol représente le niveau de charge de la batterie, que l’on va pouvoir mesurer, via le potentiel redox. Un sol à potentiel redox élevé est révélateur d’une oxydation qui entraîne une diminution de l’énergie : la batterie se vide. Si le potentiel est bas, cela indique une réduction, donc une abondance d’énergie. Mais dans des conditions où l’oxygène ne circule pas bien, cette énergie est impossible à utiliser. Il faut donc trouver un équilibre.
Un sol vide, sans minéraux, a un potentiel faible car sa conductivité électrique est très faible. Cependant, un sol qui a une conductivité électrique trop élevée peut être très productif, mais il épuise rapidement sa « batterie ». Un sol non rechargé par des panneaux solaires, ici les plantes, vide sa « batterie » rapidement, entraînant une diminution du niveau d’activité biologique.
Jusqu’à présent, l’utilisation d’engrais chimiques a réussi à compenser le déclin de la matière organique des sols, augmentant la conductivité électrique et donc la production. Cependant, cela a un coût. Si la conductivité électrique est trop élevée, la batterie se vide plus rapidement. Sans sources d’énergie alternatives, comme les panneaux solaires (plantes) pour la recharger, il s’épuise facilement.

Une bonne structure du sol est essentielle

Pour que tout cet ensemble fonctionne, une bonne structure du sol est essentielle car elle permet de maintenir des niveaux variés de charge électrique, ce qui est important pour le potentiel redox. En outre, les agrégats présentent des gradients différents, permettant la présence de différentes populations de micro-organismes. « Les macro-agrégats par exemple, stabilisés par les mycorhizes, les vers de terre et les chevelus racinaires, vont pouvoir stocker de l’eau et permettre la circulation de l’air, ce qui est fondamental », prévient Olivier Husson. Lorsque le sol est fortement oxydé, il libère du CO2, alors qu’un sol réduit émet du CH4 (méthane). En bref, lorsqu’un sol est mal structuré, on passe de sols trop oxydés quand il fait sec, à des sols trop réduits quand il pleut. Des conditions peu favorables pour la plante. En revanche, un sol riche en matière organique et à activité biologique intense, avec une bonne structure, présentera un bon équilibre pour avoir une diversité de niches pH/redox dans l’espace, qui favorisent les cycles biogéochimiques, et donc la nutrition. Alors que l’absorption de nitrates entraîne pour la plante une réaction d’oxydation, et l’absorption d’ammonium une réaction d’acidification au niveau des racines, « l’idéal est une nutrition aminée, que l’on obtient en évitant le travail du sol, et en ramenant de la matière organique par les couverts végétaux », estime l’agronome.

La santé, une question d’équilibre

Quel est le lien avec les pathogènes ? Le niveau pH/redox influence la nutrition et donc la croissance des plantes. À leur tour, les plantes influencent le niveau pH/redox dans le sol qui, en retour, influence la présence d’insectes et maladies. « Le moteur de tout cela ce sont les feuilles des plantes, c’est là le capteur d’énergie. Plus la plante doit compenser le milieu, moins elle fait de surface foliaire, et moins elle fonctionne correctement, et plus elle est malade. C’est un vrai cercle vicieux », explique Olivier Husson. L’agriculture conventionnelle repose en grande partie sur des pratiques oxydantes : labour et produits phytosanitaires en tête. Les conditions de sol aérobie, riches en matière organique et bien structurées, favorisent un équilibre sain, tandis que les sols compactés, sujets à l’inondation, stimulent les pathogènes, en particulier sur les jeunes plantes actives. De plus, une baisse de la photosynthèse due au climat, aux carences, ou à d’autres facteurs stressants, peut déplacer la plante vers un environnement propice aux maladies. La connaissance des processus biologiques permet de comprendre les interactions entre les divers pathogènes et la plante (voir encadré), mais aussi comment ils sont affectés par l’environnement.
L’objectif d’un fongicide, par exemple, est notamment d’aider la plante à éliminer les pathogènes qui prolifèrent par suroxydation. Ces pesticides stimulent la libération d’eau oxygénée par la plante pour combattre les pathogènes, et ce par manque d’énergie pour les contrôler par réduction. De nombreuses pratiques conventionnelles s’efforcent de contrer les pathogènes et les insectes, en poussant la plante vers l’oxydation. La photosynthèse entraîne pourtant une réaction diamétralement opposée, à savoir l’acidification et la réduction. Dans le cadre d’une protection agroécologique des cultures, l’approche diffère : il faut soutenir les plantes pour qu’elles disposent de suffisamment d’énergie, afin d’éviter que les pathogènes puissent proliférer. Reste à déterminer, selon l’intensité de l’attaque, à quel moment une intervention de l’agriculteur devient nécessaire. En tous cas, le potentiel redox ouvre des voies pour réduire l’emploi de produits phytosanitaires.


Anthony Loehr
 

Le saviez-vous ? 

Potentiel redox et vinification
La mesure du potentiel redox en œnologie aide à déterminer si un vin est à risque d’oxydation ou de réduction. Cela a un impact sur la gestion de l’apport en oxygène lors de la vinification. Le vin subit de nombreuses réactions simultanées et variées, ce qui complique l’atteinte d’un équilibre stable. C’est pourquoi le potentiel libre est toujours mesuré. Suivre l’évolution de ce potentiel permet de savoir quand et où ajouter de l’oxygène pendant la vinification. Contrôler ce potentiel et maintenir un apport en oxygène adéquat garantissent un processus de vinification plus sûr et adapté au produit final.

Les pathogènes  n’aiment pas l’équilibre 
L’interaction entre divers organismes comme les champignons, virus, bactéries pathogènes, oomycètes, insectes et nématodes avec les plantes dépend largement de l’équilibre des paramètres biologiques et chimiques de l’environnement. Les conditions de l’environnement dans lequel ils opèrent, en particulier le niveau de pH et de redox, délimitent les zones de développement optimal pour ces organismes. Les champignons, par exemple, ont des zones d’évolution optimales dans une gamme de pH bas. En revanche, les virus se trouvent généralement dans des environnements plus alcalins, nécessitant un pH assez élevé pour être mobiles dans la plante. Ces derniers utilisent aussi un potentiel redox élevé, pour bloquer les défenses immunitaires de la plante par oxydation. Par contraste, les pathogènes bactériens préfèrent un milieu basique et réduit, tandis que les oomycètes se plaisent en conditions plus acides, mais réduites. « Pour la vigne par exemple, le mildiou sera favorisé par des conditions de fortes pluies, d’engorgement, de compaction, qui vont favoriser ce genre d’oomycète », explique l’agronome Olivier Husson.