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TERROIR

Le roquefort, fils du vent et de la géologie

Les causses rudes et sévères du Méjean et du Larzac doivent au roquefort leur prospérité. Le fromage est né du mariage de la géologie, du vent et d’un savoir-faire ancestral.

Le roquefort, fils du vent et de la géologie

Le roquefort a pour père le vent et pour mère la géologie (1). Tout le reste n'est que hasard exploité par l'Homme. Il y eut d'abord, voilà deux millions d'années, ce gigantesque effondrement du plateau des Causses quand les glaciers alpins s'étendaient jusqu'à Lyon et que le mammouth laineux régnait en maître sur ces vastes plaines. D'un coup, dans un fracas terrifiant, le sol calcaire miné par de furieuses rivières souterraines s'affaisse de 300 mètres ! En un éclair, surgit une falaise de six kilomètres de long couturée de profondes failles. C'est le premier et primitif acte de naissance du célèbre fromage. Le second rendez-vous avec son histoire est une affaire de femme, d'homme et, si l'on en croit la légende, d'amour. Jadis, un berger part pour la journée faire paître son troupeau de brebis. Il plonge dans sa musette un morceau de pain de seigle et un caillé de lait de brebis. En chemin, il s'autorise une pause à l'abri d'une de ces grottes qui mitent les falaises calcaires de Combalou. De cet observatoire, il aperçoit une jolie bergère qu'il décide de suivre abandonnant là son casse-croûte. Sans jamais pouvoir rattraper la belle, il s'égare et perd le chemin de la grotte. Ce n'est que quelques mois plus tard qu'il retrouve les reliefs de son repas abandonné.

Les spectaculaires caves d’affinage du fromage roquefort.

Des « caves cathédrales »

Le temps, l'humidité, la ventilation naturelle de la grotte ont fait leur œuvre. Le pain de seigle est couvert d'une fine moisissure et le caillé de brebis, au contact du croûton, s'est marbré du bleu du pénicillium. Sa pauvre condition de berger l'invite à goûter au fromage. Tout ébaubi, il en découvre le moelleux et les délicates flaveurs d'épices fines. Le roquefort était né. Encore aujourd'hui, le pénicillium roqueforti est élevé en cave et récolté sur des pains de seigle. Le fromager mélange cette moisissure au lait de brebis. Sous l'effet de la présure ajoutée, celui-ci se transforme en caillé, qui sera tranché en petits dès. Le lait issu des troupeaux de race lacaune est collecté les six premiers mois de l'année auprès de 4 000 éleveurs sur un territoire qui englobe la presque totalité du département de l'Aveyron, une partie du Tarn, de la Lozère et vient mordre sur le Gard, l'Hérault et l'Aude. En revanche, selon les règles de l'AOP, la fabrication et l'affinage du roquefort ne sont pas autorisés en dehors du périmètre de la commune de Roquefort-sur-Soulzon où sont concentrées, dans les éboulis du Cambalou, sur 2 kilomètres de long et 300 mètres de profondeur, 30 caves dont 23 sont des grottes naturelles parfois qualifiées de « cathédrales souterraines ». Des caves dont la température constante (10 à 13°C) et l'hygrométrie (95 à 98 %) sont contrôlées grâce à une ventilation naturelle assurée par les fleurines, ces failles qui cheminent à travers la falaise et débouchent sur le plateau. Dans la cave, le maître affineur manœuvre des trappes pour réguler leur température et leur hygrométrie. Le vent du nord assèche les fromages quand celui du sud, au contraire, apporte l'humidité qui donne aux pains blancs de roquefort, entreposés sur des étagères de chêne, leur crémeux inimitable.

Un insecte pour emblème

Sept producteurs, tous propriétaires d'une ou de plusieurs caves à Roquefort-sur-Soulzon, produisent 19 000 tonnes de fromage par an dont l'AOC, obtenue en 1925, est la plus ancienne appellation fromagère de France. Mais c'est l'entreprise Société, aujourd'hui détenue par Lactalis, qui domine le marché et capte 62 % des ventes de roquefort. La coopération avec « Les fromageries occitanes », créées en 1976 par 3A et désormais détenues par Sodiaal, produit 12 % du roquefort commercialisé sous les marques Cantorel et Pastourelle (2). Papillon est à l'origine d'une production de 2 000 tonnes et occupe un peu moins de 10 % du marché. Le nom énigmatique de cette marque lui vient d'une histoire ancienne. Jadis une grande cave commune était utilisée pour l'affinage des fromages de plusieurs fabricants. Pour reconnaître les siens, chacun marquait ses fromages d'un symbole qui devait représenter un insecte familier.
La famille Alric avait choisi le papillon quand les fromageries Société avaient et gardent encore pour emblème l'abeille. Aujourd'hui, les caves de chacun sont bien cloisonnées et c'est à celui qui détiendra le plus de caves à Roquefort-sur-Souzon, au cœur du Combalou, là où se marbre de bleu, de vert et de jaune le fameux fromage. Unique site au monde où les courants d'air et les profondeurs de la roche s'unissent pour enfanter le roquefort. 

Théo Descamps
(1) Curnonsky, le célèbre gastronome proclamait le roquefort « fils de la montagne et du vent ». Diderot et d'Alembert affirment dans leur Encyclopédie (1751-1772) que le roquefort « est sans contredire le premier fromage d'Europe ».
(2) Aux producteurs cités, s'ajoutent : Le Vieux Berger, fromagerie créée en 1923 (5 % des ventes). Carles établissements créés en 1927 (1 % des ventes). Vernières créé en 1890 (3,85 % des ventes). Gabriel Coulet, entreprise créée en 1872 (7,65 % des ventes).

 

Un prix du lait de brebis, « le plus élevé au monde »

Un éleveur moyen de lait de brebis sur la zone de collecte du roquefort produit, avec un troupeau de 300 brebis, 85 000 litres de lait par an. Jusqu’à présent l’interprofession laitière fixait plusieurs prix du lait : un prix pour le lait destiné à la fabrication du roquefort, un prix pour des fabrications de fromages à pâte molle ou servant à la fabrication de féta et un prix pour les autres usages, notamment le lait en vrac ou en poudre… En moyenne, le prix du lait est payé 922 euros pour mille litres mais le lait destiné à la fabrication du roquefort AOP a été fixé, en 2014, à 1 185 euros les mille litres. « Le prix du lait de brebis le plus élevé au monde ! », note la responsable de la fédération régionale des syndicats d’éleveurs de brebis. En décembre 2015, prend fin une dérogation qui permet encore à l’interprofession de fixer les prix du lait. Comme pour le lait de vache, les prix du lait de brebis seront directement discutés entre les organisations de producteurs qui se mettent en place et les acheteurs de lait.
T. D.

Gestion de l’eau / L’aridité du causse due à sa nature calcaire et l’absence de rivière de surface ont contraint les paysans du Larzac à retenir l’eau de pluie en créant des lavognes.


Les lavognes, abreuvoirs des lacaunes


Dans les causses Méjan et du Larzac où pousse une maigre végétation, l’eau est rare. À peine tombée du ciel, elle se perd si vite dans d’insondables failles souterraines qu’aucune rivière de surface n’a eu le temps d’y faire son lit. Ce sont les paysans qui ont canalisé les eaux de ruissellement pour l’abreuvement des animaux en aménageant des points bas du relief appelés dolines. Ainsi sont apparues les lavognes, ces réserves d’eau dont le centre est tapissé d’argile pour la rendre étanche et dont les bords évasés en entonnoir sont pavés de pierres pour faciliter la récupération des eaux de pluie mais aussi pour éviter la formation de boue produite par le piétinement des troupeaux. Ces constructions associées aux caselles, ces abris de bergers en pierres sèches, et à une tradition pastorale séculaire ont façonné un paysage préservé qui lui vaut d’être inscrit depuis le 29 juin 2011 sur la liste des sites remarquables du patrimoine mondial de l’Unesco.