Le semis de blé sous couvert de luzerne, une pratique délicate mais vertueuse

Pourquoi utiliser la luzerne comme couvert végétal ?
Vincent Gerenton : « Au départ je n'avais pas assez de temps pour travailler sur mes cultures et je voulais améliorer la fertilisation de mes sols sans apport extérieur ; j'ai donc adopté des techniques de travail simplifié, pour toujours avoir une couverture au sol et un apport fourrager riche en protéines. Pour choisir mon couvert, cela m'a demandé de bien observer et d'analyser mon territoire et son histoire. Je possède des terres argileuses profondes et les anciens cultivaient des luzernes sur ces terres. Je me suis intéressé à cette culture et j'ai réalisé mes premiers essais en 2009, dès mon installation en agriculture biologique. Depuis, je suis tombé amoureux de la luzerne en l'intégrant comme seule source de fertilisation de mon système et d'alimentation en protéines pour mon troupeau. La luzerne est une légumineuse résistante à la sécheresse avec un pouvoir racinaire pénétrant, permettant un fort apport fourrager. Elle nettoie les champs, capte l'azote et garde l'humidité au sol. Elle s'adapte aussi bien au climat de plus en plus sec et m'assure une sécurité fourragère. Cette culture m'évite de nombreuses interventions, comme l'amendement de fumier, le désherbage mécanique et le labour. Depuis dix ans, je n'utilise pas d'apport de fertilisant sur mes cultures. Bien que je sois en élevage bovin, j'utilise mon fumier uniquement sur mes prairies naturelles. J'ai pu observer qu'il favorise le développement des adventices et, lors des moissons, les graines d'adventives se retrouvent dans les ballots de foin que l'on donne aux vaches. Les fauches successives de la luzerne (3 à 4 par an) vont nourrir mon cheptel, réduire le salissement, tout en apportant de l'azote dans les sols. En fonction des années et de son développement, la luzerne peut apporter jusqu'à 80 unités d'azote par an. En doublant la densité de semis avec mes propres semences de luzerne, soit une densité de 50 kg par hectare, la luzerne va m'apporter son pouvoir couvrant limitant la prolifération des adventices. »
Les céréales population sont-elles une solution pour les semis sous couvert vivant ?
V. G. : « Contrairement aux céréales modernes, les céréales population ont la caractéristique de produire une longue paille qui va leur permettre de dépasser le couvert et demandent très peu d'éléments azotés. Le couvert de luzerne suffit à lui seul pour apporter l'azote nécessaire à leur développement.
En Haute-Loire, un groupe d'agriculteurs ont créé le GIEE « Les Épis de Cérès », qui multiplie et sélectionne des céréales population, afin d'adapter ces variétés à chaque condition pédoclimatique sur le territoire. Bien que ces céréales ne produisent pas autant de grains que les variétés modernes, elles procurent d'autres avantages, comme une paille dense, une teneur en protéines plus élevée et des qualités nutritionnelles et gustatives supérieures. Les mélanges population permettent de garantir une hétérogénéité variétale s'adaptant année après année aux besoins de la ferme, ce qui me permet aussi d'être autonome en semences céréalières. Je sème mon mélange de six blés population en forte densité à 300 kg/ha pour avoir un recouvrement élevé et limiter le développement des adventices. Cela n'influe pas fortement sur le rendement mais m'évite des interventions sur la parcelle. »
Comment implanter un couvert de luzerne dans une parcelle ?
V. G. : « Je la sème à 50 kg/ha avec un semoir combiné à une herse rotative courant septembre car cette culture est sensible au gel. Donc, attention au semis tardif. Si les conditions sont défavorables en automne, le semis peut être reporté au printemps. Durant la première année d'installation de la luzerne, je peux soit la broyer pour augmenter la matière organique de la parcelle, soit la faucher à l'aide d'une faucheuse à plat sans conditionneuse pour ne pas perdre les feuilles. On peut réaliser trois à quatre fauches par an. La première coupe est enrubannée pour faire le stock d'hiver, les autres sont distribuées en frais. L'idéal serait de l'associer avec du trèfle, ce qui apporterait plus de sucre pour améliorer la fermentation. »
De quelle manière faut-il s'y prendre pour implanter un blé population sous couvert de luzerne ?
V. G. : « Pour bien faire, la luzerne doit se développer au moins un hiver pour avoir son pivot suffisamment fort pour résister au travail mécanique lié au semis de blé. La deuxième année d'exploitation, je sème le blé très dense dans la luzerne avec une semoir combiné et une herse rotative, à une profondeur de 0,5 à 1,5 cm maximum, pour ne pas détruire le pivot de la luzerne. L'objectif est d'avoir un mulch de luzerne, créant des conditions favorables à la germination du blé semé en surface. Le développement de la luzerne s'arrête en octobre, période idéale pour le semis de blé. Pour la suite, il n'y a pas d'autre intervention à faire ! La moisson du blé est réalisée en août. Pour moissonner, on lève au maximum la barre de coupe (+ 1,50 m de haut), puis on passe la récolte dans un trieur-séparateur le jour même, pour optimiser la conservation du grain. Il faut bien sécher la récolte car les gousses de luzerne peuvent apporter jusqu'à 2 points d'humidité au blé. Si la luzerne ne s'est pas trop développée, on peut la moissonner avec le blé. On peut ainsi cultiver deux années de suite des céréales sur un couvert de luzerne. Au bout de 5-6 ans, il faudra la casser. »
Quel est le secret pour réussir son semis sous couvert ?
V. G. : « Tout est une question d'équilibre. Les espèces associées ne doivent pas se concurrencer pendant des périodes de développement comme la levée de germination. C'est pour cela qu'il est intéressant de semer le blé quand la luzerne est en période de repos. L'association légumineuses-céréales permet d'avoir un très bon rapport C/N qui optimise la minéralisation de la matière organique dans le sol. C'est une symbiose ; elles s'échangent les éléments nutritifs au fur et à mesure de leurs cycles de vie. L'exploration racinaire est optimale car il y a deux systèmes racinaires, pivotant et fasciculé, prospectant sur deux profils différents, ce qui limite la concurrence. Mais il reste encore tant d'essais à faire avec la luzerne ! Pour la suite, j'aimerai tester d'autres associations et couverts végétaux, comme le sainfoin associé à de l'orge brassicole ou encore l'association trèfle-seigle en semis d'automne. Il tient à chacun de trouver son "mariage" idéal ! ».
Propos recueillis par Clément Rousseau, animateur filières végétales bio à Haute-Loire Biologique
Présentation de l'exploitation
Vincent Gerenton est paysan boulanger en polyculture élevage, avec une vingtaine de vaches allaitantes de race aubrac, et sur une SAU de 70 ha à Rosières (Haute-Loire). Pour assurer son autonomie fourragère tout en produisant des céréales panifiables de qualité, Vincent Gerenton pratique un semis de blé de variété population sous couvert de luzerne sur un tiers de ses surfaces de blé, soit 2 ha sur 7. L'objectif est de convertir la totalité de ses cultures de blé. Cette technique atypique montre l'optimisation possible pour répondre aux différents besoins de la ferme.