Le tourisme vert dans le rouge

«Sans aucune activité touristique à proprement parlé, la situation est catastrophique, avoue d'emblée Bruno Doménach, directeur de La Drôme Tourisme. On ne sait pas réellement dans quelles conditions le tourisme va reprendre », soupire-t-il. Si l'annonce du Premier ministre Edouard Philippe*, jeudi dernier, peut rassurer les professionnels du tourisme, la situation est critique dans les territoires ruraux. C'est le cas de la Drôme, département touristique par excellence, à l'arrêt depuis la mi-mars. « La reprise sera certainement très lente, d'autant plus tant que les restaurants, bars et autres sites touristiques resteront fermés. Il faudra de longs mois, voire de longues années, pour retrouver une situation à la normale », prévient Bruno Doménach. Alors que les nuitées touristiques avaient atteint un score historique avec une augmentation de + 3 % en 2019, c'est un coup d'arrêt total pour le secteur. « Cela remet en cause les structures et les équilibres financiers. Il faudra donc être vigilant à la reprise d'autant plus que les aides ne sont pas éternelles. C'est à ce moment-là que cela va se jouer. Nous n'aurons pas de clientèle étrangère cette année et les touristes français ne dépensent pas autant. Les pertes seront donc catastrophiques », affirme-t-il.
92 % de chiffre d'affaires en moins pour les Gîtes de France
Pour les Gîtes de France Drôme, le constat est le même : « Nous avons perdu 60 % du chiffre d'affaires sur le mois de mars et 92 % en avril. La situation est extrêmement compliquée, note Véronique Duchalais, directrice, qui a reçu plus de 2 000 appels de clients depuis le 17 mars dernier, soit pour annuler leurs réservations, soit pour faire part de leurs inquiétudes. Nos propriétaires sont inquiets par la situation économique d'autant plus qu'un certain nombre avaient réalisé des investissements importants ces dernières années. Nous avons déjà enregistré une dizaine d'arrêts d'activité pour 2021. D'autres propriétaires en revanche ont décidé de changer leurs biens de destination et de les proposer à la location à l'année. »
Pour les mois à venir, la situation s'annonce donc tendue : « Nous avons commencé à relancer des contrats pour l'été. C'est encourageant mais, malgré tout, cela se déroule avec inquiétude, ajoute la directrice de Gîtes de France Drôme. Le tourisme est soumis à des décisions au coup par coup, il est très difficile de se projeter et d'imaginer la reprise de notre activité économique ». Des craintes qui proviennent d'un éventuel confinement supplémentaire, voire même d'une limite de déplacement de 100 kilomètres maintenue pour les mois à venir. « Nous pourrons observer l'ampleur du désastre d'ici la fin de l'année. Mais une chose est sûre, c'est que toutes les réservations qui n'ont pu se faire ces trois derniers mois ne seront pas remplacées en été », s'inquiète Véronique Duchalais.
Bienvenue à la Ferme sur le front
Du côté de l'association drômoise Bienvenue à la Ferme, le constat est le même : « Le bilan est simple puisque négatif. L'activité est à l'arrêt, totalement bloquée, que ce soit pour les fermes auberges, gîtes, fermes pédagogiques... Nous avons pu relancer en partie les marchés avec le soutien de la chambre d'agriculture de la Drôme et la chambre régionale, pour limiter les dégâts, souligne Hervé Roux, président de Bienvenue à la Ferme en Drôme. Mais il est vrai que la situation est catastrophique pour certains agriculteurs, engagés dans le tourisme. »
Interrogé juste avant la déclaration du Premier ministre au sujet du plan de soutien pour le tourisme, Hervé Roux se disait être dans l'attente d'aides complémentaires pour soutenir le secteur. « La saison est un peu tronquée. Nous ferons un bilan à l'automne mais nous sommes conscients que pour beaucoup, l'activité touristique est un complément financier non négligeable et permet de maintenir une activité agricole à certains endroits. »
Amandine Priolet
« Un été déterminant » pour le devenir de l’agritourisme
Fabienne et Charles Monteux sont propriétaires d’une petite exploitation arboricole sur la commune de Mirmande. Village même où se trouve leurs gîtes, une activité qu’ils gèrent en parallèle de leurs fonctions de formateurs agricoles. « Les annulations des mois d’avril et mai ont conduit à un chiffre d’affaires nul. Nous avons en revanche pu bénéficier du fonds de solidarité de 1 500 euros sur le mois d’avril », explique la gérante. Avec des prêts importants en cours, le couple, adhérent aux Gîtes de France Drôme, peut aussi compter sur la récente période d’hiver qui a permis à sa trésorerie de se maintenir. « Nous avons la chance d’avoir réalisé un bon hiver avec la présence d’entreprises sur les mois de décembre, janvier et février, période relativement creuse d’ordinaire. » Malgré tout, Fabienne Monteux reste prudente quant au déroulement de la saison estivale : « Les réservations pour les trois mois à venir sont pour l’heure maintenues. Mais la limite des 100 kilomètres autorisés pourrait être un facteur marquant si celle-ci venait à être prolongée au-delà du 2 juin. Ces trois prochains mois vont être déterminants », prévient-elle.
Agritourisme et exploitations agricoles / « Sans l’activité touristique, nous ne pouvons pas vivre »
Dans cette ferme auberge de la Vallée de la Drôme*, les gérants ont perdu 55 000 euros de chiffre d’affaires du 15 mars à fin avril. « Toutes les réservations ont été annulées jusqu’à Pentecôte. De plus, nous avions beaucoup de clients étrangers qui avaient réservé pour fin juillet début août et qui ont également décommandés », annonce la responsable, qui accueille généralement 60 % de clientèle étrangère. « On ne peut rien prévoir, rien anticiper, jusqu’au 2 juin. Et après ? Que se passera-t-il, dans quelles conditions ? C’est le flou complet », poursuit-elle. Dans ce contexte, ces exploitants agricoles remettent en question la survie de leurs activités agritouristiques diverses et variées : « Nous avons décalé nos emprunts de six mois et nos charges sociales à fin juin. Pour autant, il va bien falloir les payer. Nous avons bénéficié de l’aide de 1 500 € mais pas du soutien de la Région à hauteur de 5 000 euros qui nécessite un code NAF hôtellerie / restauration. C’est dramatique, d’autant plus que l’agritourisme permet souvent de maintenir de petites exploitations agricoles. Très clairement, sans l’activité touristique, nous ne pouvons pas vivre », rajoute la gérante.
Avec ses associés, elle réfléchit donc à donner un nouveau tournant à son activité touristique : « Nous devons revoir notre stratégie et peut-être arrêter certaines activités comme la location saisonnière au profit d’une location régulière », note la gérante. Proche de la retraite, le couple ne veut pas reprendre le risque de s’endetter. « L’agritourisme nécessite des investissements très lourds sur du bâti, l’ameublement, etc. D’autre part, cette saison va être horrible au niveau de l’ambiance. Le secteur sera d’autant plus concurrentiel, avec des batailles de prix à venir. Ce n’est pas agréable de travailler dans de telles conditions… », poursuit-elle.
Pour Fabienne et Edmond Tardieu, éleveurs et propriétaires de La Ferme du Clos de l’Orme à Vesc, la fréquentation est aussi à l’arrêt. La crise sanitaire liée au Covid-19 a entraîné non seulement des annulations de location du gîte mais également freiné les visites pédagogiques de la ferme. « Nous estimons la perte à près de 3 150 € depuis Pâques. Cela ne se rattrapera pas mais nous n’avons pas eu à déplorer ni malade, ni décès, confie Fabienne Tardieu. Cela permet de relativiser et de rester positif ».
*Ces agriculteurs ont souhaité témoigner de manière anonyme.
TOURISME / Un plan de relance de 18 milliards d'euros« Les Français pourront partir en vacances en France au mois de juillet et au mois d'août », a assuré Edouard Philippe, sous réserve toutefois « de possibles restrictions très localisées » en fonction de l'évolution de l'épidémie de Covid-19. L'annonce du Premier ministre date du jeudi 14 mai, lors de la présentation d'un plan « de 18 milliards d'euros » en soutien au secteur du tourisme. Le fonds de solidarité et le chômage partiel seront étendus aux entreprises du secteur, ainsi qu'un doublement du plafond journalier des tickets restaurants relevé de 19 à 38 euros. Les entreprises bénéficieront d'une exonération de cotisations de mars à juin pendant toute la durée de la fermeture des TPE/PME. Les collectivités locales pourront prévoir des allègements de taxe de séjour et un dégrèvement de deux tiers des cotisations foncières que l'Etat financera à 50 %. Le guichet unique plan-tourisme.fr sera ouvert. C'est ici que les professionnels retrouveront toutes les aides mises en place par l'Etat et pourront effectuer leurs démarches.