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Emploi

Le travail saisonnier en agriculture n'attire pas assez de candidats

Le travail saisonnier a du mal, cette année encore, à trouver des candidats. Moins de réponses favorables aux offres, les employeurs agricoles emploient plus de main-d'œuvre originaire des pays de l'Est et se tournent vers des circuits alternatifs pour recruter.
Le travail saisonnier en agriculture n'attire pas assez de candidats

Claire Merland est bien placée pour le constater. D'année en année, ça ne se bouscule pas aux portillons pour venir travailler chez elle. « Ce n'est pas nouveau, cet été on en fait tout un tas mais cela fait longtemps que ça dure », lâche-t-elle. Sur les vingt saisonniers qu'elle a embauchés pour la cueillette de ses tomates, dix-sept sont Polonais. « Il y a des années que je ne trouve plus de Français. En ce moment, je n'en ai que trois qui travaillent chez moi », affirme-t-elle. Les raisons ? Il y en a plusieurs selon cette productrice installée à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux en Ardèche. « Faire les saisons, c'est physique. Il faut être prêt à se lever tôt, à travailler dans des conditions pas toujours faciles, parfois le samedi matin. Tout le monde n'est visiblement plus disposé à le faire comme avant », regrette-t-elle. À cela viennent s'ajouter les normes très strictes qui encadrent l'hébergement des travailleurs saisonniers (voir ci-dessous). « J'aimerais pouvoir proposer des solutions mais, avec le durcissement de la réglementation, je ne peux plus », explique la présidente de l'Arefa Auvergne-Rhône-Alpes.
Les saisonniers doivent donc trouver à se loger seuls, à proximité. Si les loyers sont trop chers, s'ils n'ont pas de permis de conduire ou de voiture, ils ne peuvent pas venir travailler. « Si en plus la saison est courte, le jeu n'en vaut pas forcément la chandelle », analyse Boris Chevrot, chercheur spécialisé en organisation du travail, médiateur au sein d'une maison de service public en milieu rural.

« On travaille par mimétisme »

Le marché saisonnier fait donc appel à des boîtes de placement et d'intérim étrangères pour pallier le manque de candidats français. Dans le couloir rhodanien, Polonais, Bulgares, Roumains remplissent bien souvent les rangs des vignobles et des vergers. Ce n'est pas un phénomène nouveau, les populations de l'Est ayant succédé aux Marocains et aux Espagnols présents il y a quelques années. Ces entreprises intermédiaires imposent bien souvent leurs prix : entre 17 et 19 € de l'heure contre 13,80 proposés par un groupement d'employeurs de la région. « Ils ont plus de frais : le voyage jusqu'en France, l'hébergement des groupes de saisonniers... », explique Luc Pierron, président d'Agri Emploi 69, investi dans le travail en réseau, auprès des demandeurs d'emploi agricole mais aussi des missions locales et des associations d'aide aux migrants. Pour Claire Merland, se pose nécessairement la question de la langue et de la communication avec les travailleurs étrangers. « On parle beaucoup en anglais, les Roumains s'expriment assez bien en français. Sinon, on travaille beaucoup par mimétisme », indique-t-elle. Pour la productrice, cette situation vient se cumuler à une conjoncture défavorable impactant les maraîchers et les arboriculteurs, concurrencés par des productions européennes « bradées », qui tirent les prix vers le bas. La suppression à partir de 2019 du TODE, dispositif d'allégement de charges pour l'employeur spécifique au travail saisonnier,
« ne va pas arranger les choses », s'inquiète la productrice qui remarque également « un désamour plus général de la France pour son agriculture. On est tellement en train de décrier l'agriculture tout le temps qu'on finit par ne plus donner envie de travailler avec nous », s'inquiète-t-elle.

Recrutement 2.0

S'il est difficile d'affirmer lequel de ces facteurs pèse le plus dans la balance, ce qui est sûr c'est que, du côté de Pôle emploi, les offres se font également plus rares. Par conséquent, les candidats aussi. À l'agence de Montmélian (Savoie), spécialisée dans le recrutement agricole, 720 postes de saisonniers agricoles ont été pourvus en 2017 contre 337, à ce jour. « En 2016, nous avions une cinquantaine d'appels par jour, 25 l'année dernière et cette année pas plus de 15 », précise Maud Wantier, responsable d'équipe dans cette agence savoyarde. Les employeurs n'hésitent plus à se servir d'internet et des réseaux sociaux pour trouver le candidat idéal. « Lorsque vous mettez une annonce sur Leboncoin, le lendemain vous avez au moins dix appels. Cela représente plus de travail mais au moins on est sûr de recruter la bonne personne, celle qui a envie de travailler et d'avancer avec nous », estime Claire Merland, pas tout le temps satisfaite de la sélection des candidatures de Pôle emploi. Conscient de ce revirement de situation, l'établissement public n'y voit pas d'inconvénients. « Il y a forcément des candidats qui nous échappent mais qui sont captés autrement. À partir du moment où les demandeurs d'emploi trouvent du travail, c'est l'essentiel », ajoute-t-elle. « Un mauvais accompagnement peut parfois décourager les candidats. Si vous êtes au RSA depuis longtemps, que l'on ne vous explique pas les conséquences sur vos droits, ça peut être chamboulant pour des emplois souvent de courtes durées qui ne débouchent pas sur des CDI », souligne Boris Chevrot.

Fidéliser ses saisonniers

C'est l'une des raisons pour laquelle de plus en plus d'employeurs tentent de fidéliser leurs saisonniers. « Une fois qu'ils ont de l'expérience, je les rémunère au-delà du smic, leur accorde des primes, des avantages en nature... », ajoute la présidente de l'Arefa. Certains proposent, par exemple, un supplément de 5 € par nuit pour ceux qui dorment en camping, ou encore de 50 € pour ceux qui travaillent tout au long de la campagne. « C'est tout simplement reconnaître leurs compétences et leur fidélité ». 

Alison Pelotier

 

Hébergement collectif : des règles strictes à respecter

L’hébergement collectif des travailleurs saisonniers est régi par le Code rural et de la pêche maritime. Par ses décrets modifiés pour la plupart en 2007, il impose une réglementation stricte. Toute pièce destinée au sommeil peut recevoir au maximum six travailleurs. Sa superficie minimale est de 9 m2 pour le premier occupant et de 7 m2 par occupant supplémentaire.
« Les lits ne peuvent pas être superposés et les douches, les lavabos et les toilettes doivent être distincts pour les hommes et pour les femmes », stipule-t-il. « Avant, nous pouvions proposer des solutions d’hébergement à nos saisonniers. Aujourd’hui, c’est difficile d’être dans les clous. Il faudrait prévoir des travaux coûteux pour cela », explique un viticulteur du Beaujolais. En plus, « vous n’avez pas le droit de louer votre résidence principale en location saisonnière plus de 120 nuits par an, soit 4 mois », rappelle Julien Loboda, spécialiste de l’immobilier. L’administration fiscale estime que, pour qu’un bien soit considéré comme résidence principale, il doit être loué huit mois minimum d’affilée dans l’année.