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Réchauffement climatique

Le Vercors, un laboratoire à ciel ouvert

A quoi ressemblera la montagne de demain ? Les activités humaines et économiques seront-elles capables de s’adapter aux changements climatiques ? Oui, si on leur fournit la «boîte à outils » nécessaire. C’est ce que s’attache à faire Adamont, un projet de recherche territorial piloté par l’Irstea.

Le Vercors, un laboratoire à ciel ouvert

Dans les Alpes, tout le monde le sait depuis longtemps : le réchauffement climatique est une réalité. Agriculteurs et professionnels du tourisme en font l'expérience chaque année. Si l'on observe une importante variabilité sur le court terme (hivers plus froids, étés pluvieux), globalement les données recueillies sur le long terme montrent une hausse des températures de 1,5 à 2 °C sur l'ensemble des Alpes depuis 1900. Avec une nette accélération depuis le début des années 1980. Sur le terrain, ce bouleversement climatique se traduit par un plus grand nombre de jours de fortes chaleurs, de canicules et de sécheresses, mais aussi moins de jours de gel et moins de neige dans les stations. Ce qui n'est pas sans conséquence sur les événements saisonniers (floraison, développement ou chute des feuilles, arrivée des oiseaux migrateurs, perturbation des écosystèmes de montagne...). Concrètement, au printemps, la nature se réveille une à deux semaines plus tôt qu'il y a trente ans. La floraison du noisetier par exemple a été avancée d'une dizaine de jours en dix ans. L'hiver, la durée moyenne d'enneigement s'est réduite d'un mois depuis 1970. Certaines stations de moyenne montagne, comme celle du col de Porte, reçoivent toujours la même quantité d'eau, mais sous forme de pluie plutôt que de neige. Quant aux glaciers, leur régression est désormais un fait. Dans les Ecrins, le front du Glacier blanc recule de 40 mètres en moyenne chaque année depuis dix ans (plus de 100 mètres en 2012...). La nature devient elle-même un peu folle : les épicéas dépérissent sur le plateau du Vercors et les orchidées méditerranéennes se plaisent en Savoie.

Repenser les pratiques ?

Ces évolutions qui, prises séparément, peuvent sembler anecdotiques, ont des conséquence importantes sur les activités humaines et les économies de montagne. Comment s'adapter ? Comment aménager le territoire pour éviter les déprises ? Quelles activités économiques favoriser ? Élus, agriculteurs, forestiers, professionnels du tourisme doivent-ils réformer ou tout au moins repenser leurs actions sur ces territoires particulièrement sensibles ? Scientifiques et pouvoirs publics planchent sur la question depuis pas mal d'années(1). Des programmes d'observation à grande échelle, comme l'Orecc ou Phénoclim(2), ont déjà permis de recueillir des quantités de données phénologiques(3) et climatiques à partir desquelles les chercheurs étudient l'adaptation des végétaux et des animaux aux variations de leur environnement. Mais quelles préconisations proposer aux acteurs socio-économiques ? Le programme Adamont devrait apporter des éléments de réponse à l'horizon 2017.
Piloté par l'Irstea (4) et lancé officiellement en juin dernier à Villard-de-Lans, ce programme de recherche a pour finalité de créer une « boîte à outils » permettant aux acteurs des territoires de montagne de mettre en place des stratégies d'adaptation. De ce point de vue, les massifs sont eux-mêmes appelés à devenir de véritables « laboratoires à ciel ouvert ». « Même si on arrêtait demain d'émettre les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique, l'inertie est telle qu'il faudrait quand même s'adapter aux bouleversements climatiques en cours, explique Maurice Imbard, chargé de mission climatique au ministère de l'Environnement, du Développement durable et de l'Energie (Medde). D'où l'intérêt d'un programme comme Adamont, qui développe une approche globale, intégrant les problématiques d'adaptation sur l'ensemble d'un territoire, avec toutes ses dimensions économiques. Le Medde attend de ce projet pilote qu'il développe une méthodologie transférable et applicable à d'autres régions confrontées au même type de problématique. »

 

Le Vercors, territoire « pertinent »

Certes, depuis les premières alertes lancées par le Giec(5), les pouvoirs publics ne sont pas restés les bras ballants. Mais, fait remarquer Nicolas Bériot, secrétaire général de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc), « il a fallu 20 ans pour convaincre les gens de la réalité du réchauffement climatique. Aujourd'hui, nous avons gagné cette bataille. Maintenant, il faut passer à l'action ». C'est ce qui se fait, doucement. Des réseaux en charge de l'adaptation au changement climatique se mettent en place, notamment dans les collectivités locales. En montagne, ce travail est souvent porté par les parcs. « Cette question, nous l'abordons de façon très transversale, en essayant d'intégrer l'ensemble des filières pour obtenir un effet cumulé », témoigne Jean-Philippe Delorme, directeur du PNR du Vercors, dont le territoire a été choisi comme espace laboratoire principal pour la mise en place du projet Adamont. Un choix qualifié de « pertinent » par Thierry Lebel, hydroclimatologue et directeur du laboratoire d'étude des transferts en hydrologie et environnement (LTHE) à l'Université de Grenoble-Alpes, car représentatif des problématiques climatiques rencontrées par la moyenne montagne.

Produire de la connaissance

Programmé sur trois ans, Adamont doit à terme proposer une sorte de feuille de route, déclinable dans tous les territoires contraints de mettre en place des stratégies d'adaptation. L'originalité du projet vient de ce qu'il « considère le territoire comme un système, et le changement climatique comme facteur significatif des évolutions de ce système », précise Marie-Pierre Arlot, directrice de l'Irstea Grenoble. D'où la pleine intégration des acteurs socio-économiques du territoire dans l'analyse et la volonté de confronter connaissances scientifiques et pratiques de gestion et d'adaptation. Dans un premier temps, les chercheurs qui travaillent pour Adamont (Irstea, Météo-France, CNRS...) vont donc s'attacher à « produire de la connaissance » en recensant le plus finement possible les impacts du changement climatique à l'échelle d'un territoire, en partenariat étroit avec les acteurs de terrain. Ils caractériseront ensuite « des enjeux spatialisés », avant de proposer une boîte à outils opérationnelle prenant en compte les caractéristiques et la variabilité des pratiques.

Alpages sentinelles

Des initiatives ont déjà été conduites en ce sens. C'est le cas par exemple des « alpages sentinelles », où un protocole de suivi des alpages a été élaboré, qui permet d'observer ce qui se passe sur le terrain et d'agir de façon concertée avec les acteurs. « La variabilité climatique pose des problèmes pour la ressource pastorale et provoque de gros décalages phénologiques, relève Baptiste Nettier, chercheur en agronomie à l'Irstea. Face à cela, les bergers doivent s'adapter, faire en fonction de l'aléa climatique de l'année en ajustant en permanence leur pratique. » De leur côté, les chercheurs s'attèlent à comprendre les « dynamiques de végétations », celles-ci présentant une incroyable capacité à revenir à leur état normal après une année de sécheresse (on appelle cela la « résilience »). D'où l'intérêt de comprendre comment les « communautés végétales  » (autrement dit les prairies) résistent - ou non - aux aléas climatiques. Un travail du même ordre est mené dans différents secteurs clés, notamment au niveau de la forêt du Vercors : « Nous avons des éléments concrets qui nous permettent de dire que l'épicéa va avoir de sérieux problèmes, indique Baptiste Nettier, de l'Irstea. Nous avons croisé cela avec les pratiques des forestiers. A partir de là, nous pouvons proposer des mélanges plus adaptés que d'autres au changement climatique. » L'adaptation est en marche. 

Marianne Boilève
(1) Lancé en 1999, le GICC (gestion et impact du changement climatique) est un programme de recherche interdisciplinaire destiné à développer les connaissances scientifiques sur le changement climatique de façon à venir en appui aux politiques publiques.
(2) Orecc : observatoire régional des effets du changement climatique. Phénoclim est un programme scientifique et pédagogique qui s'appuie sur un réseau de 5 000 observateurs bénévoles dans les Alpes pour déterminer les impacts du changement climatique sur les écosystèmes de montagne.
(3) La phénologie étudie l'influence des climats sur les phénomènes biologiques saisonniers.
(4) Irstea : Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture.
(5) Giec : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

 

 

Un territoire pilote et trois satellites 


Très sensible au réchauffement, doté de gradients Nord-Sud marqués et d’une biodiversité très intéressante, le territoire du Vercors constitue le terrain d’étude principal du programme Adamont. Les scientifiques n’en vont pas moins élargir leurs recherches à trois autres territoires sensibles (PNR de Chartreuse, des Bauges et des Baronnies provençales), ce qui va leur permettre de prendre en compte une diversité de mesures et de gradients, tant climatiques qu’altitudinal, écologiques, social et économiques.