Les agriculteurs 2.0 s'engagent sur les réseaux sociaux

Le temps passe et les réseaux sociaux s’imposent comme une évidence. Ne pas marquer sa présence sur la Toile paraît presque impossible. Pour ne pas se perdre dans le grand bain de l’information virtuelle, il est indispensable de connaître la multitude de possibilités qu’offrent ces nouvelles technologies. Tout d’abord, l’ancêtre des réseaux : Facebook. Créé en 2004 par l’Américain Mark Zuckerberg, sa navigation est simple et intuitive. États d’âme, photos, commentaires, partages d’informations, vidéos, même en direct… En quelques clics, une véritable communauté « d’amis virtuels » peut s’abonner à vos contenus. Il est même possible de créer une page pour promouvoir son entreprise ou un événement auquel on invite ses connaissances. Deux ans plus tard, en 2006, c’est le petit oiseau bleu qui pointe le bout de son nez sur internet. Twitter, limité à 140 caractères, permet une réactivité exceptionnelle. En temps réel, vous visualisez l’actualité de vos « followers », c’est-à-dire les personnes qui suivent votre compte et donc vos publications. Sa grande particularité : le #, un symbole indispensable pour identifier des personnes ou des mots-clés dans vos « tweet ». Traduction en français : « gazouillis ». Niveau popularité, Facebook, avec 1,8 milliard d’utilisateurs dans le monde est le réseau social préféré des agriculteurs français. Longtemps sceptiques à la communication virtuelle, ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans le grand bain des réseaux sociaux. Selon une enquête réalisée par l’agence marketing Hyltel, 78 % des agriculteurs se connecteraient à Internet. Ce chiffre monte à 95 % chez les moins de 40 ans, « nés avec et qui ne savent pas faire sans ». D’après le ministère de l’Agriculture, ils ne seraient que 33 % branchés sur les réseaux pour parler de sujets agricoles : 14 % sur Facebook, 12 % sur Youtube, 9 % sur Google + et seulement 2 % sur Twitter. Si ce chiffre paraît timide par rapport à la moyenne française (près de la moitié des Français ont un compte sur Facebook), la tendance est à la hausse. « Le nombre d’utilisateurs va croître de manière forte », prédit Hyltel, en particulier chez les plus jeunes.
Le poids des mots, le choc des images
Frédéric Bacou, éleveur de vaches limousines en Midi-Pyrénées est particulièrement actif sur Internet. Installé depuis treize ans, cela fait presque huit ans qu’il a lancé sont compte Facebook entièrement dédié à son activité professionnelle. « Je l’utilise pour promouvoir mon élevage, maintenir le lien avec mes contacts et découvrir des gens d’autres milieux que le mien ». Utilisateur d’une chaîne Youtube, il y diffuse des vidéos tournées dans son exploitation et montées par ses soins. « Je parle positivement de mon métier en montrant de belles images », reprend-il. Frédéric cherche aussi à entrer en contact avec les associations anti-viande très actives sur les réseaux sociaux. Le collectif 269 Life France adresse plus particulièrement ses messages chocs contre les abattoirs. Mises en scène diffusées en live sur les réseaux, leur stratégie de communication est très forte : « Meurtre », « viol », « exploitation ». Face à la brutalité des mots utilisés, la mobilisation des agriculteurs sur les réseaux sociaux ne fait pas le poids. « À chaque action, Facebook sert de base à la diffusion de nos contenus. Nous les partageons ensuite sur Twitter, Youtube et Instagram », explique Éric Damamme, ancien président de l’association militante. Aujourd’hui investi au sein de Vasara, collectif végan, antispéciste et animaliste, il cherche à instaurer « un dialogue sain » avec les éleveurs, également sur les réseaux sociaux. Ce n’est pourtant pas ce qui est constaté du côté des éleveurs. « J’ai reçu des menaces. On a supprimé certains de mes commentaires et parfois même bloqué l’accès aux groupes », explique l’un d’entre eux. Même son de cloche du côté de Régis Meyer, l’actuel président de 269 Life France. « Certains agriculteurs sont très durs verbalement », soutient-il. Pour tenter de peser positivement sur les réseaux sociaux, et contrebalancer les messages de ces associations, des formations auprès des agriculteurs s’origanisent (lire article ci-contre). Les rumeurs sur le Net se diffusent rapidement et peuvent porter préjudice à toute une filière. Ce fut le cas avec le soi-disant concombre tueur espagnol.
Alerte aux rumeurs et aux « fake news »
Souvenez-vous. L’affaire commence fin mai 2011. Une trentaine de morts en Allemagne crée la panique dans les médias. Premier inculpé : le concombre espagnol contaminé par la bactérie E. Coli. Plus d’importations, plus de productions. Les cours du cucurbitacé chutent drastiquement dans toute l’Europe. Une semaine plus tard, la cause est déterminée : des graines germées contaminées importées d’Égypte. François–Xavier Weill, directeur de recherches à l’Institut Pasteur n’a jamais cru en la culpabilité du concombre espagnol. Il a vécu la médiatisation de l’affaire en première personne. Une surmédiatisation amplifiée par l’impact des réseaux sociaux laissant la place aux rumeurs, multiples et variées. « Ce qui s’est passé est vraiment dingue car les épidémies à E. Coli sont très rares. En tout, plus de 150 interviews en six semaines dont un direct avec Pujadas et des plateaux nationaux. Six kilos de perdus mais je considère que donner des conseils simples pouvait réduire la panique entretenue par les médias », explique-t-il. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres. « Tous les ans, le traitement médiatique de la grippe aviaire met sur la paille un certain nombre de producteurs qui ne reprendront plus jamais leur activité », regrette André Dremaux, président du SNPAR*. Ces informations reprises sur les réseaux sociaux donnent très souvent lieu à des rumeurs, voire à ce que l’on appelle des « fake news », des fausses informations. « Aujourd’hui, tout le monde se revendique journaliste. L’information n’est plus hiérarchisée. Dès qu’il y a un problème sanitaire, c’est la surenchère », reprend-il. Résultat : « Sur les réseaux, on retrouve tout et n’importe quoi. On a souvent l’impression que le monde agricole empoisonne tout le monde ». L’information finit par conditionner le lecteur mais surtout par lui donner des informations infondées, parfois publiées par des lobbyistes, parfois par des provocateurs.
Alison Pelotier
* SNPAR : syndicat national de la presse agricole et rurale.
Communication / En Savoie, Clément Poccard-Chapuis partage sa vie d’éleveur de montagne avec le grand public sur une page Facebook ouverte au nom du Gaec Alpin. Sur son mur, il invite à découvrir son univers, raconte son quotidien, partage photos et vidéos… avec déjà plus de 2 378 personnes !
“ Vis ma vie d’éleveur sur Facebook ! ”
Au cœur de la Haute Tarentaise, sur la station de ski de Peisey-Vallandry, le Gaec Alpin est un élevage laitier atypique pour une exploitation agricole située à 1 500 m d’altitude, avec ses 180 vaches laitières et sa salle de traite rotative de 26 places. Mais c’est le résultat de quatre générations d’agriculteurs qui ont très vite compris l’intérêt de la modernisation de leur exploitation pour améliorer leurs conditions de travail et surtout qui ont une réelle facilité à communiquer positivement sur leur métier. Déjà le grand-père, Jean Poccard-Chapuis, puis le fils, Pierre, expliquaient aux touristes, lors des cours de ski, leur place d’agriculteurs et leur rôle pour entretenir ces paysages tant appréciés des visiteurs.
Quand l’image prend le pouvoir
Aujourd’hui, le petit-fils prend le relais à travers les réseaux sociaux. Clément Poccard-Chapuis prépare son Bac au lycée agricole de Savoie, tout en étant très présent, comme l’ensemble de la famille, sur l’exploitation. Il a créé une page Facebook pour le Gaec Alpin. « J’y mets des photos, des films et des commentaires une fois par semaine en moyenne, ou plus si nécessaire. Mais je ne veux pas envahir non plus, ni déranger. Ma volonté est de montrer la réalité du métier d’agriculteur en haute montagne, en utilisant le support de notre exploitation ». Avec son cousin Jérôme, ils sont « administrateurs » de cette page et transmettent leur passion pour ce métier avec un vrai dynamisme. Les images des montagnes savoyardes, des vaches, du matériel moderne et performant font rêver, donnent envie. Mais c’est bien la réalité quotidienne de cette exploitation laitière de haute montagne qui est mise en avant. Ce matin, c’est le résultat du comice agricole du week-end à Aime qui est transmis. Il y a quelques jours, un film, réalisé avec une caméra GoPro directement sur le tracteur, montre le hersage des prairies, avec la musique à fond dans le tracteur, l’herbe toute fraîche au premier plan, puis les montagnes derrière, on a envie de monter dans le tracteur. Le commentaire est simple mais efficace « Une belle matinée de printemps » et un cœur en émoticône, c’est tout, mais tout est dit.
Des mots simples, des textes courts
Le film des petits veaux, heureux de sortir dans leur nouveau parc et qui font des cabrioles dans tous les sens, obtient plus de 21 000 vues, et les commentaires du style « ils sont trop chou ! » donne également une image très valorisante du métier d’éleveur. Comme souvent sur les réseaux sociaux, l’humour est utilisé pour faire passer les messages. Le 1er avril, l’annonce de l’achat de trois robots de traite a entraîné des commentaires sur la marque des robots choisis (pourtant interdit en zone de production de l’AOP beaufort) mais le lendemain le message était corrigé : « Nous continuons toujours avec plaisir et passion à traire nos vaches matin et soir 365 jours par an, à les alimenter en foin l’hiver et en pâturage du printemps à l’automne ! » Outre le partage avec le grand public, les réseaux sociaux permettent un dialogue direct avec les autres agriculteurs qui viennent échanger et chercher des conseils techniques. « Pour cela, nous utilisons plutôt les discussions instantanées, pour dialoguer en privé, ça évite les commentaires assassins, de ceux qui ne partagent pas votre point de vue ». La page Facebook est aussi l’occasion de promouvoir la race locale, les quatre associés du Gaec Alpin étant des passionnés de vaches tarines.Youtubeur en tracteur
Clément utilise Youtube pour diffuser des films. Un premier film de présentation de l’exploitation avait été mis en ligne, il y a déjà quatre ans. « Mais il était rempli de fautes d’orthographe, alors je l’ai refait et mis à jour, puisque maintenant les veaux ne sont plus logés de la même façon. Je me sers d’un logiciel gratuit : Windows Live Movie Maker pour faire les montages, c’est bien suffisant pour ce que je fais. En général, je fais attention à ne pas mettre de personnes, pour ne pas avoir de problème de droit à l’image, et surtout pour ne pas se mettre trop en avant. Mon souhait est de communiquer globalement sur l’agriculture de montagne ». à l’avenir, Clément pense créer un site internet, pour présenter davantage l’exploitation, le magasin et leurs produits fermiers, puisque beaufort et autres fromages des 180 vaches laitières et des 80 brebis sont effectivement vendus directement à la ferme. Ce qu’il cherche dans cette démarche de communication, c’est avant tout montrer la passion qui l’anime, lui et sa famille, pour leur métier de paysan, leurs vaches, leurs montagnes, « comme le faisaient déjà mon grand-père et mon père, mais avec les outils actuels ».
Claudine LavorelPour en savoir plus :consultez les vidéos :
http://bit.ly/2oS4pJs http://bit.ly/2oJmYgSwww.facebook.com/gaecalpin