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Economie et social

Les agriculteurs à l’épreuve des crises

Problèmes sanitaires, événements climatiques exceptionnels, marchés en berne, l’agriculture subit de plein fouet une crise durable et profonde. De plan d’aide en plan de refinancement, les exploitants font front - avec une étonnante résilience – en attendant des jours meilleurs.
Les agriculteurs à l’épreuve des crises

Les chiffres dévoilés par la Caisse nationale de la MSA en octobre dernier n'ont sans doute pas surpris ; mais ils ont permis de révéler l'ampleur des difficultés auxquelles les exploitants agricoles sont confrontés. Ainsi, à l'échelle du pays, 30 % des agriculteurs au réel (soit 131 450 exploitants) ont déclaré des revenus annuels inférieurs à 4 248 euros, soit un revenu de 354 euros par mois pour l'année 2015. Ils n'étaient que 18 % dans cette situation l'année précédente. « Et l'ordre de grandeur est à peu près le même dans notre région », précise Henry Jouve, président de l'Arc-MSA (Association régionale des caisses de MSA Auvergne-Rhône-Alpes). « Les exploitants doivent payer des dettes et des charges. Ce qui reste pour la vie personnelle et la famille se réduit donc à la portion congrue. » A noter, d'après le même bilan dressé par la Caisse nationale de la MSA, que le salariat agricole est aussi en baisse de quelque1,6 % au troisième trimestre 2015, soit le plus fort recul depuis 2010. La crise est profonde et l'inquiétude bien réelle. « Sans vouloir hiérarchiser les crises, il y en a certaines dues aux aléas climatiques ou à une mauvaise conjoncture des marchés qui peuvent se résoudre si on met des mesures en face. Mais pour l'élevage laitier ou l'élevage allaitant, il y a beaucoup d'inquiétudes sur l'avenir même des filières et leurs perspectives », poursuit le président. Autre chiffre alarmant, en 2016, 3 600 exploitants en Rhône-Alpes ont touché la prime d'activité qui s'est substituée au RSA activité et à la prime pour l'emploi (PPE). Ces statistiques (voir ci-dessous) font apparaître des disparités fortes selon les territoires avec notamment un nombre de bénéficiaires bien plus élevé sur le secteur de MSA Ardèche-Drôme-Loire. « Le secteur de l'élevage est très important dans ces départements et, historiquement, il y a beaucoup de petits exploitants avec à la base de petits revenus », analyse Henry Jouve.

« Pas de honte à percevoir une aide sociale »

La MSA est en première ligne pour appliquer le plan de soutien à l'élevage lancé de septembre 2015 ; renforcé par le pacte de consolidation et de refinancement en octobre dernier. Ainsi, sur l'année 2015, ce ne sont pas moins de 18 millions d'euros qui ont été mobilisés en faveur des agriculteurs des huit départements rhônalpins à travers quatre mesures : la réduction de l'assiette minimum Amexa ; l'option N-1 qui permet de calculer ses cotisations sur les seuls revenus de l'année précédente ; la réduction de la cotisation allocation familiale (de 5,25 à 2,25 %) et la prise en charge de cotisations (réservée au secteur de l'élevage). « Bien sûr la MSA continue d'envoyer des factures, mais il y a des centaines d'exploitations qui ont économisé près de 1 000 euros sur un an, ce n'est pas anodin ! », insiste Henry Jouve. Et de vouloir faire tomber un tabou. « Même si ce n'est pas dans la culture paysanne, il n'y a pas de honte à recevoir de l'aide sociale et subvention n'est pas non plus un gros mot. De la même manière, ce n'est pas une déchéance de changer de production ou de troupeau en cours de carrière. Au contraire, cela prouve une certaine capacité d'adaptation. »

La liberté de choisir

Pour l'heure, la majorité des exploitants font le dos rond. « Nous n'avons pas les éléments sur les arrêts d'activités. Ils sont, semble-t-il, peu nombreux. Envoyer un troupeau à la casse ou couper ses vergers, c'est laborieux. Maintenant, même si un exploitant décide d'arrêter, il lui faut quand même continuer de rembourser ses dettes. Peut-être que certains tiennent grâce à la solidarité familiale mais, attention, rembourser les annuités du tracteur avec le salaire de son épouse qui travaille à l'extérieur, ce n'est pas non plus la solution car cela engendre des situations compliquées au sein du couple », prévient le président de l'Arc-MSA. Et de conclure : « Les agriculteurs doivent garder la liberté de choisir : continuer, arrêter ou changer de production. Ils ne doivent pas subir, ne pas s'entêter et tomber dans le surendettement ». 
D. B.

 

La MSA ne veut pas faire plus avec moins  : les caisses de MSA sont inquiètes. Alors que la COG (convention d’objectifs et de gestion) 2016-2020 a acté la réduction de personnel, « la diminution des moyens humains ne permettra pas aux équipes d’assurer toutes les missions d’intervention de proximité et notre capacité à agir au niveau local auprès de nos publics touchés fortement par la crise agricole », estime Henry Jouve.
Numéro d’appel du dispositif écoute pour les agriculteurs en détresse : 09 69 39 29 19.

 

Accompagnement  : accepter de parler de ses difficultés

Jacques Habrard est conseiller d’entreprise à la chambre d’agriculture de l’Isère, en charge des agriculteurs en situation fragile. Une mission qu’il assure depuis 1999. « On assiste à une succession de crises : crise du lait, sécheresse à répétition, crise de la viande… ça finit par faire beaucoup, beaucoup trop pour certains agriculteurs », dit-il. Avec le recul et l’expérience, proche du terrain, ce conseiller qui suit une centaine de dossiers d’agriculteurs en situation fragile peut mesurer l’impact des crises et l’ampleur de la détresse vécue par certains exploitants. « Ce n’est pas facile pour un agriculteur en difficulté de faire la démarche de venir nous voir, raconte Jacques Habrard. Beaucoup vivent cela comme un échec. Il faut une certaine dose d’humilité. » Pourtant, insiste le conseiller, « il est important de ne pas s’isoler lorsque l’on sent que la situation dérape. Si la démarche de venir nous voir est parfois difficile, elle permet à l’agriculteur de parler, de se poser, de relever le nez du guidon, de bénéficier d’une écoute bienveillante et d’un regard extérieur neutre, sans jugement. Accepter de parler de ses difficultés, les reconnaître, c’est le préalable pour envisager des solutions. »
Jacques Habrard est aussi partenaire au titre de la chambre d’agriculture de l’Isère du Sillon Dauphinois, un dispositif qui regroupe le Département, la MSA, la DDT pour soutenir et accompagner des agriculteurs en situation difficile. « Nous n’avons pas de baguette magique ni de solutions miracles, reconnaît le conseiller. Nous rencontrons des situations diverses. Pour certains, la difficulté est passagère et une négociation d’étalement de la dette par exemple permettra de passer le cap. Pour d’autres, il faudra des solutions plus radicales. Après un diagnostic de l’exploitation, une analyse fine de la comptabilité et de la gestion, il faut parfois revoir l’organisation du travail, la politique d’investissement, proposer des formations… Parfois, la remise à niveau demande du temps, c’est un processus long, les effets des mesures préconisées ne sont pas immédiats. » Si le conseiller affirme que son travail consiste à aider les agriculteurs à s’en sortir et continuer dans le métier, parfois, la solution passe par une reconversion professionnelle. Une solution qu’il faut aussi accepter. 

Dernière minute : un accord-cadre pour faciliter les reconversions

Un « accord-cadre national » entre Pôle Emploi, Vivea et le ministère de l’Agriculture a été signé le 18 novembre. Cet accord vise « à accompagner et former les chefs d’exploitation dans leurs reconversions et transitions professionnelles.» L’accord national peut être décliné au niveau régional. Vivea, dans le cadre du congé formation, apporte une prise en charge de la formation plafonnée à 2 500 € par personne pouvant être complétée par des cofinancements. Vivea a consacré 5 M€ au dispositif sur 2017 et 2018. Le ministère, de son côté, a prévu « une aide au départ de 3 100 € par actif (majorée de 50 % en cas de déménagement), ainsi que la possibilité de financer des formations jusqu’à 2 500 € ». Selon le ministère, Pôle Emploi interviendra, lui, dans le cadre de sa mission de mise en œuvre des parcours de formation professionnelle, en mobilisant notamment les moyens supplémentaires alloués dans le cadre du Plan 500 000 formations.