Les agriculteurs, acteurs de leurs solutions

Si pour les agriculteurs l'enjeu de la rentabilité des exploitations est immense, celui de répondre aux attentes sociétales l'est tout autant. Le bien-être animal en est une, il devient un réel défi pour l'agriculture. Les incitations à consommer moins de viande, voire à ne plus en consommer du tout, les actions conduites contre l'élevage par des organisations telles L214 ou 269 Life France, et le bruit médiatique autour de la cause animale bousculent le monde agricole. « Il faut écouter l'irrationalité de notre société », affirme pourtant Stéphane Devillers. Juriste au sein d'Allice, organisation professionnelle nationale dans le domaine de la reproduction et de la sélection animales, il intervenait le 8 décembre dernier lors des assemblées générales des organisations d'élevage de l'Ain. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour Stéphane Devillers, la fin des fléaux et des utopies politiques du XXe siècle et l'érosion des religions ont construit « le terreau de l'idéologie animaliste. Les gens n'ont plus la mémoire de la famine, le frigo est plein, les épidémies ont disparu et l'Europe est sortie de plus de 70 ans de guerre. [...] Nous sommes face à un problème occidental, où des sociétés sont dans un désert idéologique et utopique. » La révolution numérique a été et est aujourd'hui un accélérateur du phénomène.
La puissance du numérique
Comment agissent les défenseurs de la cause animale ? Tout d'abord, « ils modifient le droit », explique le juriste. L'amendement Glavany, adopté par l'Assemblée nationale en février 2015, par lequel le Code civil reconnaît le caractère sensible de l'animal, est sur ce point une étape charnière dans la légitimation de leurs actions. Ensuite, « ils investissent le terrain politique. La percée du parti animaliste lors des élections législatives en juin 2017 en est l'illustration ; ils choquent le public, la puissance du numérique les y aidant fortement ; ils parviennent enfin à abolir la consommation de produits animaux », résume-t-il.
Comment le monde agricole doit-il y répondre ? « Les éleveurs se doivent de construire des consensus avec la société et des démarches inclusives en bien-être animal. Ils doivent aussi s'interroger sur l'acceptabilité de certaines pratiques d'élevage », affirme Stéphane Devillers. Dans ce combat « douloureux et qui peut être toxique », les agriculteurs sont « acteurs de leurs solutions ». Le juriste conclut : « Prenez la parole, apprenez à la prendre et ouvrez vos fermes ! ».
Sébastien Duperay
ITAVI / Afin de permettre aux éleveurs des filières avicole et cunicole d’évaluer le bien-être animal en élevage, l’Itavi (Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole) lancera en avril une application mobile. L’objectif est de pousser les éleveurs à s’auto-évaluer pour faire évoluer leurs pratiques d’élevage.
Une application mobile pour évaluer le bien-être animal
Fin avril, l’Itavi (Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole) lancera une application mobile pour évaluer le bien-être animal en élevage. Elle sera disponible pour les filières de volailles de chair (en bâtiment et en plein air), de poules pondeuses (en bâtiment et en plein air) et de lapins (maternité et engraissement). Cette application est le résultat de trois ans et demi de travail en concertation avec tous les acteurs des filières et des ONG (Welfarm et CIWF). Ces dernières ont donné leur avis sur la méthode et les critères d’évaluation du bien-être. Anne Richard, directrice de l’Itavi, justifie la nécessité de la création de cette application par la préoccupation quotidienne des éleveurs pour le bien-être de leurs animaux. Cette application doit leur permettre de s’auto-évaluer afin d’évoluer. Elle a aussi été pensée pour être simple d’utilisation, peu chronophage (une évaluation doit prendre moins d’une heure), fiable et complète. La fiabilité des critères a bien été vérifiée, il s’agissait d’un point important pour l’institut technique.L’éleveur pourra ainsi évaluer le comportement et la santé de ses animaux. En élevage de volailles de chair, il devra, par exemple, renseigner la taille du bâtiment, l’homogénéité des lots, les comportements des animaux (bain de poussière, picage agressif, étirement des ailes, etc.), les animaux boiteux, etc. Les différents critères doivent être observés dans trois zones pour le comportement et dans deux zones pour le sanitaire. Une fois le questionnaire rempli et tous les critères renseignés, l’éleveur aura accès à ses résultats par le biais de notes et de scores. Il aura ainsi la possibilité de savoir sur quels domaines il a encore des marges de progrès et ceux sur lesquels il a déjà de bons résultats. Avec les scores, il pourra également se comparer aux autres éleveurs de son organisation de producteurs utilisant cette application.
Redonner la main aux éleveurs
Pour Isabelle Bouvarel, directrice technique et scientifique de l’Itavi, il s’agit bien, avec cette application de pousser les éleveurs vers une démarche de progrès, de leur redonner la main sur la question du bien-être en élevage en leur permettant de s’auto-évaluer. Afin de bien utiliser cette application des formations seront organisées, dans un premier temps pour les techniciens et ensuite pour les éleveurs volontaires.

BoviWell mesure le bien-être des bovins
Jusqu’à présent, il n’existait pas d’outil simple d’évaluation du bien-être animal en élevage bovin. Pour pallier cette absence, seize organisations agricoles et l’entreprise spécialisée dans la transformation de la viande Moy Park beef Orléans ont travaillé sur un outil de diagnostic nommé BoviWell. Cet outil s’adapte aux besoins des éleveurs en prenant en compte les spécificités des différents systèmes d’élevage bovin. Il permet par exemple d’évaluer le bien-être des vaches laitières comme celui des jeunes bovins allaitants. Le diagnostic se divise en deux phases. La première a lieu au bureau avec l’éleveur pour présenter l’outil en lien avec la charte des bonnes pratiques d’élevage. La deuxième a lieu sur le terrain où il faut compter entre 30 minutes et une heure pour observer et évaluer les animaux dans leur environnement.Les partenaires du projet se sont fixés comme objectif de diagnostiquer 1 600 élevages d’ici fin 2018. Bruno Colin, président de la section bovine de Coop de France, rappelle que « les coopératives se doivent d’être moteur et d’accompagner leurs adhérents dans l’évaluation du bien-être animal de leur élevage pour qu’ils puissent situer leur niveau mais aussi et surtout parler de leur métier. Nous espérons maintenant que la filière s’appropriera largement et rapidement cet outil ». Cet outil pourra être partagé au sein de l’ensemble de la filière bovine afin de permettre à toutes les exploitations agricoles de disposer de mesures objectives pour mettre en avant la qualité de leur travail. « Les initiatives comme BoviWell traduisent l’engagement de la production de viande française dans une amélioration continue sur le plan de la protection animale. »