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Conseil national des appellations d’origine laitières

Les AOP laitières jouent l’attractivité des filières

Lors de son assemblée générale fin septembre au pays du bleu du vercors-sassenage, le Conseil national des appellations d’origine laitières (Cnaol) s’est penché sur le renouvellement des opérateurs et les moyens à mettre en œuvre pour susciter des vocations fromagères.
Les AOP laitières jouent l’attractivité des filières

Les appellations d'origine ont le vent en poupe. Plébiscitées par les consommateurs dans les rayons, les AOP fonctionnent comme autant d'outils de promotion touristique dans les régions. Est-ce suffisant pour assurer la pérennité d'une filière ? Rien n'est moins sûr. Lors de l'assemblée générale du Conseil national des appellations d'origine laitières, le 28 septembre à Autrans (Isère), son président, Dominique Chambon, a rappelé que la plupart des filières sont actuellement sous tension. « Si le renouvellement de la capacité économique est souvent là, comme en témoigne la croissance de la plupart des AOP, c'est qu'elles sont plutôt rémunératrices et que les opérateurs s'adaptent, a-t-il souligné. Mais à quel prix et dans quelles conditions ? »

Production fermière, la clé de la rentabilité

Dans beaucoup de territoires, le constat est le même : le nombre d'exploitations diminue, la taille des fermes augmente (et, avec elle, la difficulté à trouver des repreneurs), les artisans et les PME disparaissent, les savoir-faire se perdent... En dépit des dynamiques lancées par les interprofessions et les AOP laitières, la question de la transmission des outils de production se pose avec acuité. « Nous arrivons en bout de course et il n'y a personne pour reprendre notre fromagerie, a témoigné Christine Combréas, de la fromagerie des Hautes-Chaumes, à Sauvain. Dans la zone de l'appellation fourme de montbrison, nous avons perdu plus de la moitié des producteurs de lait en dix ans. Personne ne veut s'installer dans le Forez : il n'y a plus de commerces, plus de médecins, plus de structures... » Ce point de vue, très personnel, se veut l'écho d'une réalité un peu plus nuancée. Sur les 170 exploitations recensées en 2005 dans la zone AOP montbrison, il est vrai qu'il n'en reste plus que 69 aujourd'hui. Mais il y a eu des départs en retraite, des agrandissements, et le bio monte en puissance. « Nous avons une bonne dynamique autour du bio, confirme Aurélie Passel, animatrice de la filière. Nous avons fait adhérer des producteurs à l'AOP car nous manquions de lait bio. Nous avons aussi trois projets d'installation en production fermière : c'est un moyen de mieux valoriser le lait. » Dans un contexte économique plus qu'incertain, le prix reste en effet l'un des meilleurs atouts des filières, le lait valorisé sous AOP étant généralement plus rémunérateur. C'est d'ailleurs ce qui a conduit le bleu d'auvergne à requalifier son cahier des charges et sa zone de production.
« En resserrant la zone AOP autour des secteurs de montagne et en insistant sur la vocation herbagère de l'appellation, nous avons eu moins de communes, et donc moins de producteurs de lait, précise Aurélien Vorger, animateur de la filière. De 3 000 producteurs il y a dix ans, nous sommes passés à 1 450. Ce qui nous a permis de mieux valoriser le lait : globalement, nous sommes partis de 0 de différenciation pour arriver à environ 20 % de mieux, voire plus selon les fromageries. Mais est-ce un vecteur d'attractivité ou de moindre érosion. ça se discute... »

Recruter des candidats

Car le problème, un peu partout, c'est bien de trouver des gens qui aspirent à reprendre les fermes ou à s'installer. Un jeune éleveur du Vercors a interpellé l'assemblée du Cnaol à ce sujet : « Je vous entends parler de la formation, du financement, mais vous oubliez que les candidats ne sont pas là ! Comment redorer le blason de notre métier ? Nous souffrons d'un gros manque de communication. »
Valérie Pieprzownik, chef du bureau de la qualité au ministère de l'Agriculture, avance une piste : faire la promotion du métier auprès des collégiens en recherche de stage de troisième. « Pourquoi ne pas établir des listes d'exploitations agricoles ou d'entreprises de transformation pour accueillir des petits urbains ? » suggère-t-elle. Des urbains, les producteurs de bleu du vercors-sassenage en rencontrent souvent dans leur territoire. C'est d'ailleurs pour cela que la filière communique beaucoup sur ses « Graines d'éleveurs » et qu'elle a engagé une stratégie mettant en avant autant le cadre de vie que le métier. « Côté Isère, ça fonctionne assez bien mais, dans la Drôme, des fermes cessent, indique Daniel Vignon, le président de l'AOP. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire. Nous avons réalisé une série de films, appelés " Fermes à vendre ", pour les diffuser sur les réseaux sociaux. L'idée, c'est de parler positivement de l'agriculture et du territoire. Comme on s'adresse en partie à des gens qui vivent en ville, dans les bouchons, nous avons voulu montrer que notre métier est attrayant et que l'on peut en vivre. »

Rallye des fermes à reprendre

On retrouve un peu la même démarche en Indre-et-Loire avec l'opération « S'installer en Touraine, une aubaine ». Constatant la difficulté des agriculteurs à transmettre leur exploitation, l'AOP sainte-maure-de-touraine, en partenariat avec la chambre d'agriculture, a travaillé autour de trois axes : des actions auprès de cédants, des interventions dans les lycées agricoles et les Salons afin de promouvoir l'installation en production laitière, et la communication. L'action la plus originale est un rallye d'une durée de cinq jours, au cours duquel sont proposées des visites de fermes à reprendre et la participation à un forum installation, le tout sur fond de découverte du territoire, du cadre de vie et des différents services offerts. L'attractivité des métiers dépend aussi de leur condition d'exercice. Au rayon des bonnes idées, l'AOP époisses a exposé sa politique d'accompagnement en faveur des éleveurs qui bénéficient du service de remplacement. Mise en place en 2014, la démarche est le fruit d'une réflexion de la filière sur le volet social du développement durable. Portée par l'AOP, les fromageries et le service de remplacement de Côte-d'Or, elle consiste à prendre en charge une partie du coût d'une journée de service de remplacement pour les éleveurs habilités en AOP époisses. La filière s'est engagée à prendre en charge 150 jours de remplacement par an, à raison de 15 jours maximum par exploitation. « L'aide financière est non négligeable, apprécie Anne Groseil, du Gaec de la Grange aux biches. On utilise ces journées essentiellement en surcroît d'activité et une fois par an pour avoir six jours de congé. »

L'imagination au pouvoir

Ce genre d'initiative est souvent mis en avant par les AOP elles-mêmes pour faire valoir la force du collectif et inciter les éleveurs à adhérer au cahier des charges. Il existe en effet des zones où les appellations peinent à recruter. C'est le cas notamment de l'AOP picodon. Elle cherche à augmenter son vivier de producteurs fermiers, la majorité des producteurs de fromages de chèvre de la zone préférant faire cavaliers seuls tout en profitant de la notoriété du célèbre Picodon. L'organisme de défense et de gestion (ODG) a donc mis en place l'opération « Picodon AOP, mode d'emploi » dans le but de « désacraliser le cahier des charges qui parfois peut faire peur », selon Olivier Moyersoen, le président de l'AOP. Ailleurs, on met en place des ateliers collectifs ou des partenariats pour développer des formations adaptées. On mise sur le tutorat, la promotion de la coopération aussi bien que sur les réseaux sociaux ou l'attrait des nouvelles technologies pour démontrer que la tradition peut être moderne. On imagine des financements participatifs pour aider les nouveaux installés tout en impliquant les populations locales. L'imagination prend le pouvoir un peu partout dans la France des AOP...
« Si nous voulons être attractifs, il ne faut pas que nous soyons dans la reproduction des modèles, résume Michel Lacoste, producteur dans le Cantal et vice-président du Cnaol. Nous devons être dans des filières en mouvement. » C'est en tout en cas le sentiment qu'ont eu bon nombre de participants en quittant Autrans. 
Marianne Boilève

Les  Graines d’éleveurs sont des enfants âgés de six à quinze ans, passionnés d’élevage et d’agriculture. Ils participent à la présentation des animaux lors des manifestations animées par le bleu du vercors-sassenage. © Siver

 

Formation / Dans les zones sous appellation, le Cnaol travaille avec l’enseignement agricole pour intégrer la recherche dans les modules de formation.

À l’école de la qualité

Pour les AOP, la question de la transmission des savoirs et des savoir-faire est fondamentale. « Au-delà de la production conventionnelle, nous avons besoin de faire ressortir le lien fort entre production de lait et transformation fromagère », explique Michel Lacoste, producteur de lait dans le Cantal et président du réseau Fromages de terroirs (RFT). Pas question pour autant de parler process aux élèves : « Ça ne marche pas, avertit Véronique Drouet, directrice de l’Enilv(1) de La Roche-sur-Foron. En revanche, si on parle de produit, de valeur, et si on montre le côté moderne des métiers, qui sont des métiers du passé poussés par la R&D, on sent que les jeunes accrochent, les garçons comme les filles. » Le Cnaol l’a fort bien compris, qui a travaillé avec la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) pour intégrer les résultats de recherche du RFT dans les parcours de formation. À l’Enilv d’Aurillac, plusieurs modules ont ainsi vu le jour, permettant aux élèves de « toucher du doigt » le lien entre pâturage et transformation fromagère. « Nous sommes partis du fromage et nous avons remonté progressivement toute la chaîne jusqu’aux prairies sur lesquelles pâturent les animaux », explique Florence Rabanne, enseignante en génie alimentaire à l’Enilv d’Aurillac. Composition floristique de la prairie, rendement, couleur du lait, goût, odeur, origine des micro-organismes dans le lait au stade de la production…, tout est passé en revue, ce qui permet aux élèves de développer un regard et une sensibilité particulière. Fort utile pour une future carrière fromagère. 
Michel Lacoste, éleveur dans le Cantal, président du réseau Fromages de terroirs et vice- président du Cnaol.
M. B.
(1) Ecole nationale des industries du lait et des viandes.