“ Les distilleries françaises sont créatives ”

Globalement, comment évoluent la production et la consommation d'eaux-de-vie de fruits en France ?
Bernard Baud : « À l'échelon national, la grande région de production d'eaux-de-vie est le Nord-Est (avec l'Alsace et la Franche-Comté) qui représente plus de 70 % des volumes. Il faut toutefois rappeler que le secteur des eaux-de-vie de fruits est le Petit Poucet dans l'univers des spiritueux. Sur le plan national, la production est stable depuis une quinzaine d'années. En revanche, la consommation a beaucoup évolué. Avant les années 2000, on considérait que sur bouteille vendue, 90 % du volume était consommé directement et 10 % utilisé dans la gastronomie. Aujourd'hui, plus de 80 % des volumes sont destinés à la gastronomie et 20 % à la consommation directe. La stabilité du marché français montre que nous avons encore une clientèle importante qui se renouvelle. Les distilleries françaises sont créatives et essaient de trouver de nouveaux assemblages qui plaisent au goût des consommateurs. On est en recherche permanente d'innovation, c'est fondamental pour créer une dynamique au niveau de la filière. Nous résistons activement avec optimisme et sans fatalisme ».
Quels sont les facteurs favorisant le développement de l'activité des distilleries ?
B.B. : « Le premier élément majeur, qui est plutôt ancien, concerne l'accueil du public : de très nombreuses distilleries disposent d'un magasin de vente sur leur lieu de production. Elles développent des boutiques sur internet permettant de fidéliser la clientèle. D'autre part, on se rend compte que la meilleure façon de promouvoir notre savoir-faire et la qualité de nos produits, c'est d'expliquer notre métier aux consommateurs. Cette notion de spiritourisme se lie avec le développement économique de la vente directe. Les cavistes et les épiceries fines sont aussi des points de vente importants, sans oublier la grande distribution. Autre phénomène assez récent dans les bars, on a la chance d'avoir toute une génération de barmans qui veulent servir des spiritueux purs et très traditionnels pour faire redécouvrir les eaux-de-vie de fruits comme de véritables trésors à travers la finesse des produits dégustés ».
Aujourd'hui plus de 60 % des volumes d'eaux-de-vie produits en France sont exportés. Quels sont les principaux pays destinataires ?
B.B. : « Les principaux pays d'export sont l'Allemagne, le plus gros consommateur d'eaux-de-vie de fruits en Europe, suivie de la Belgique et du Luxembourg. Dans le reste du monde, on retrouve le Japon, les États-Unis et le Québec. Mais en dehors des frontières européennes, il existe un certain nombre de barrières réglementaires. L'export reste un débouché important. Toutefois, si à un moment donné on pouvait penser que le salut du développement des distilleries françaises passerait par l'export, je pense qu'aujourd'hui l'équilibre est davantage rétabli avec l'accueil du public et la vente directe. Beaucoup de distilleries investissent pour mieux accueillir les visiteurs et communiquer davantage sur la particularité de notre métier : organiser un circuit de visite et prendre le temps de raconter, aux nouvelles générations qui viennent dans nos entreprises, l'histoire, l'enracinement, le terroir. C'est un vrai échange avec les consommateurs. Cela nous permet de garder ce lien privilégié avec des personnes qui ne veulent pas seulement consommer, mais apprendre une histoire, un savoir-faire. Cela fait notre force par rapport à d'autres spiritueux. Certes, dans notre filière, on parle de distilleries industrielles, mais elles sont à taille humaine à côté des grands groupes mondiaux produisant des vodkas, whiskys et rhums ».
Propos recueillis par Colette Boucher
Quelques chiffres
Concernant les parts de marché en France, les ventes d’eaux-de-vie de fruits en grande distribution sont globalement stables depuis 2012 : soit 0,6 million de litres, ce qui représente 0,23 % des parts de marché en volume de spiritueux, contre 0,4 % en valeur. La consommation en CHR est restée stable de 2011 à 2013 : 0,8 million de litres, soit 1,4 % des spiritueux tous confondus. En 2014, on constate une légère baisse des volumes consommés qui se maintiennent en 2015 à hauteur de 0,71 million de litres, soit 1,3 % des spiritueux. Chaque année, plus d’un million de visiteurs français et étrangers sont accueillis sur environ 100 sites de production de spiritueux qui ouvrent leurs portes en France et Outre-Mer.
Source : Fédération française des spiritueux.
Maison Colombier / Cela fera bientôt dix ans que Sophie et Stéphane Jay ont repris l’ensemble de l’exploitation agricole et la distillerie de la Maison Colombier qui a vu le jour dans les années 1930 à Villette-de-Vienne (Isère).
A la fois arboriculteurs et distillateurs
Tout en pérennisant le nom de la Maison Colombier, le couple continue de commercialiser de l’eau-de-vie de poire (à 43 ou 50 degrés), des poires au sirop et des chocolats à la liqueur (élaborés par des chocolatiers). Petit à petit, la gamme de produits à base de poires s’est bien diversifiée au fil des années : cidre (poiré), liqueur, jus, confiture, compote, sorbet, pâtes de fruits et vinaigre. « Cette envie de diversification nous a apporté la possibilité d’offrir un choix plus large de produits. C’était vraiment nécessaire et, avec le recul, on se rend compte que c’était même indispensable, compte tenu de la baisse de consommation d’alcool », soulignent Sophie et Stéphane Jay.
40 % du chiffre d’affaires en vente directe
La Maison Colombier dispose d’un point de vente qui a toujours existé sur place : ouvert six jours sur sept toute l’année, il sert également de local pour la transformation et la préparation des commandes. « Comme les horaires d’ouverture sont assez larges, nous réalisons environ 40 % de notre chiffre d’affaires en vente directe avec une clientèle de particuliers, en majorité fidélisés », expliquent-ils. « La plupart des grands restaurants que nous avons aujourd’hui comme clients pour l’eau-de-vie étaient déjà clients à l’époque de Joannès Colombier », qui était ami avec le célèbre restaurateur Fernand Point (La Pyramide à Vienne).
« Nos clients revendeurs se trouvent essentiellement dans le Rhône, l’Isère, les Savoie, l’Ain, mais aussi à Paris et un peu partout en France. Historiquement ce sont surtout des cavistes, des restaurateurs, mais aussi des chocolatiers, des hôtels et quelques magasins de producteurs. Quand on a repris l’entreprise, il y avait environ 160 clients professionnels, contre
1 100 actuellement ». Mais les quantités vendues par client ont généralement diminué. « Nous travaillons avec des agents commerciaux », complète Sophie Jay. « Nous ne vendons pas nos produits dans la grande distribution : certaines enseignes nous ont sollicités, mais nous souhaitons garder la main sur les conditions de vente. C’est aussi un choix par rapport à la concurrence avec nos clients revendeurs ».
Quant aux débouchés à l’étranger, la Maison Colombier continue d’exporter en Grande-Bretagne et en Belgique. Par la suite, d’autres pays européens (Luxembourg, Allemagne, Pologne…) se sont ajoutés par l’intermédiaire d’importateurs. En complément de leur activité, Sophie et Stéphane Jay développent l’accueil de groupes pour des visites à la demande. Certains samedis de l’année sur inscription préalable, l’office de tourisme de Vienne propose, avec des guides formés, un circuit de visite intitulé « Sur les traces de Fernand Point ». Un parcours original qui emmène les touristes à la découverte du marché de Vienne, suivie d’une visite de la Maison Colombier.
C. B.