Les éleveurs en appellent au gouvernement

Un peu moins d'une heure avant le lancement officiel de la fête de la transhumance de Die au Vercors, les éleveurs disposaient çà et là plusieurs banderoles : « La fin annoncée de l'élevage des moutons est une menace pour tous les animaux élevés en plein air ». L'ambiance semblait être bon enfant mais le ton était donné. Car si l'événement tient à promouvoir une tradition historique et ancrée dans le territoire, ces derniers ont voulu témoigner de leur quotidien et expliquer au plus grand nombre la réalité du terrain.
Le désarroi d'une profession
C'est donc autour d'une table ronde que la problématique du loup a ainsi été abordée. Michèle Baudoin, présidente de la fédération nationale ovine (FNO), Jean-Pierre Royannez, président de la FRSEA et responsable national du dossier « prédateurs », accompagnés de quelques éleveurs et élus locaux ont alors pris la parole. Et clairement, les éleveurs sont à bout.
« Je ne peux plus supporter les appels téléphoniques de mes collègues ». C'est le désarroi de toute une profession que lâche ce jour-là Michèle Baudoin. « Les brebis, ce sont des animaux qu'on chérit. L'éleveur veille à leur bien-être, c'est le code rural. Les attaques des loups, ce sont aussi des souffrances pour les familles. Les éleveurs voient leurs troupeaux égorgés », poursuit-elle. La coupe est pleine et la présidente de la FNO ne mâche pas ses mots. à quelques jours de la fin de la campagne 2014-2015, le nombre de loups qui aurait pu être prélevé ne s'élève qu'à une quinzaine. Le plafond n'est pas atteint et les attaques sont toujours en augmentation. Le compte n'y est pas et un signal fort est attendu de la part de l'État. « Les limites ont été supportées par le monde de l'élevage. Nous demandons une obligation de résultat », ajoute-t-elle.
Un discours partagé par des élus. Car si l'élevage ovin génère de l'activité économique, il participe également à l'aménagement du territoire et au maintien de la biodiversité. La problématique du loup ne concerne ainsi pas seulement le cadre agricole mais bien l'ensemble de la ruralité. Et le risque, à terme, pourrait être le départ des éleveurs de la montagne. « Que veut-on faire ? Être obligé de mécaniser pour entretenir ? Pas sûr. C'est pourtant grâce aux éleveurs que l'on peut faire du ski », dénonce quant à lui Pierre-Yves Bonnivard, maire de Saint-Colomban-des-Villards, en Savoie. L'élu a déjà connu trois attaques sur son territoire en ce début 2015, 11 en 2014. Le 17 juin dernier, la préfecture de Savoie autorisait d'ailleurs la réalisation d'un tir de prélèvement en vue de la protection contre la prédation du loup des troupeaux domestiques sur les communes de Saint-Alban-des-Villards et de Saint-Colomban-des-Villards.
L'État s'est pourtant déjà saisi des dégâts causés par le loup. Mais les éleveurs demandent davantage de moyens, une vraie volonté politique et des résultats. « Aujourd'hui, cette problématique est dans l'esprit des élus mais il n'y a aucun mouvement sur le terrain. Il y a des engagements clairs mais des actes inexistants », relève Jean-Pierre Royannez. « Quand j'appelle le ministère de l'Écologie, on me répond que la ministre va nous appeler. Je ne demande pas ça mais des actes. » « Faut-il que le loup soit aux portes de Paris pour écouter le monde des éleveurs ? », s'indigne Michèle Baudoin. « Mme Royal, c'est "je voudrais bien mais je ne peux point". Elle est plus préoccupée par le Nutella que par le loup », ajoute quant à lui Daniel Dellenbach, éleveur dans la Meuse et membre du bureau FNO.
Réguler à tout prix
Les différents protagonistes s'accordent en tout cas à dire que les textes doivent être améliorés pour gagner en efficacité. « Actuellement, on est dans une logique de protection. Il faut passer à une logique de régulation. Il faut arrêter de sacraliser le loup », explique Alain Matheron, président de la communauté de communes du Diois. « Il faut faire évoluer les textes afin de donner plus de marge de manœuvre aux préfets », ajoute Pierre-Yves Bonnivard. Joël Mazalaigue, vice-président de la fédération des chasseurs de la Drôme, est lui aussi favorable à la régulation du loup. Cependant, il note qu'il faudrait un arrêté afin de permettre aux chasseurs de pouvoir le prélever quand ils le voient. D'autres pistes sont évoquées. « L'État sait beaucoup de choses et notamment où sont les meutes. Pourquoi ne pas prélever des meutes entières si cela peut résoudre un problème ? L'espèce n'est pas en danger, ni en voie de disparition », relève Jean-Pierre Royannez.
Interrogée, Clara Thomas, sous-préfète de l'arrondissement de Die, se défend. « Il faut que les éleveurs se protègent, à savoir mettre en place un parc de nuit, un berger, un chien. Cela diminue les risques de prédation. Ensuite, nous autorisons des tirs de défense. De quinze, ils sont passés à une centaine cette année. À partir de ces deux gradations, nous pouvons autoriser les prélèvements. Le loup est un animal protégé par la loi », indique-t-elle. En Drôme, cinq éleveurs sont également autorisés à prélever le loup, pour une durée de six mois. Une mesure exceptionnelle mise en place pour ceux qui connaissent des attaques systématiques.
Dans les cinq années à venir, une brebis sur deux devrait changer de propriétaire. Mais comment attirer les jeunes générations dans pareilles conditions ? Nul doute que cette problématique restera encore au cœur des débats.
A.T.
La fédération nationale ovine vient de lancer un site internet. Celui-ci, mis en ligne le 20 juin dernier, vise à présenter l’élevage ovin mais aussi sensibiliser le grand public sur le loup et les dégâts qu’il peut occasionner.
Un site internet pour sensibiliser le grand public
Les éleveurs face au loup », c’est le nouveau site internet mis en ligne ces derniers jours par la fédération nationale ovine (FNO), en partenariat avec la maison régionale de l’élevage. Ce support de communication vise à sensibiliser le grand public sur l’élevage ovin, le loup et ses dégâts. Les internautes peuvent ainsi accéder à l’actualité concernant le loup (revue de presse, décryptage de l’actualité, tribunes), consulter des informations concernant l’élevage (économie, emploi, paysage) et bien sûr, le loup (idées reçues, biologie, répartition, cadre juridique). Des témoignages d’éleveurs viennent compléter le dispositif. Bref, des éléments essentiels pour mieux comprendre la prédation du loup dans son ensemble. « C’est un vrai problème, il y a une augmentation des attaques. Avec ce site, nous voulons expliquer ce que vivent les éleveurs », indique Mylène Foussier, chargée de mission à la FNO. Un moyen supplémentaire de mettre également la pression à l’État, afin qu’il conduise son plan de gestion des prédateurs, et demander le soutien de la population. « Pour un réveil citoyen », poursuit-elle.Des attaques
en augmentation
En France, le bilan des attaques de loups au 31 décembre 2014 s’élevait à 9 033 victimes constatées pour
2 515 attaques, contre 6 810 victimes constatées et 2 082 attaques en 2013. On compterait au moins 500 loups dans l’arc alpin. Mais désormais, c’est une problématique qui ne se cantonne plus seulement aux ovins et à la montagne. Le loup a en effet fait son apparition en plaine et s’attaque également aux chevaux des particuliers. En 2014, 29 départements étaient ainsi concernés, contre 19 en 2013. Les chiffres ne font qu’augmenter. Des démarches sont pourtant menées. Mais pour l’heure, les résultats ne sont pas concluants. Une situation qui pèse ainsi sur la profession.
A.T.
www.leseleveursfaceauloup.fr

Edmond Tardieu : incertain sur l’avenir
En septembre 2014, Edmond Tardieu, éleveur à Vesc (Drôme) connaissait une importante attaque. Sur son cheptel de 400 têtes, près de 100 animaux ont été touchés : 24 brebis mortes, 6 blessées, 56 brebis et 28 agneaux disparus. « Nous avons mené pendant trois semaines des recherches avec des bénévoles ». À l’époque, Edmond Tardieu n’était pas assez protégé. S’il avait en effet un parc électrifié, il ne possédait point de chien de protection. Ce qui, bien sûr, n’est plus le cas aujourd’hui. L’électrification de ses 14 kilomètres de clôture a par ailleurs été renforcée. Les responsables de l’attaque n’ont jamais été retrouvés, ni même aperçus.
Son fils Pierre-Antoine, âgé aujourd’hui de 17 ans, espère un jour prendre la relève. Mais l’éleveur reste inquiet. « Il faudra aussi qu’il fasse sa vie. Il ne pourra pas rester tout le temps avec le troupeau. Nous sommes dans une zone boisée, nous n’avons aucune visibilité extérieure. Sans compter le temps nécessaire, près de trois heures, pour rassembler les bêtes chaque soir. Pouvoir prélever le loup est une avancée mais ça n’est pas à nous de le faire. Nous n’avons pas le temps, ni l’expérience. Il faut donner plus de moyens humains et financiers aux services de l’État », souligne-t-il.