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Légumineuses

Les légumes secs en voie de réhabilitation

L’ONU a proclamé 2016 Année internationale des légumineuses. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a été désignée pour faciliter la mise en œuvre de cet événement. Les légumes secs sont au cœur d’un défi nutritionnel, agronomique et économique.
Les légumes secs en voie de réhabilitation

Riches en nutriments, économiquement accessibles, bénéfiques pour la santé et adaptés à une agriculture durable, les bienfaits des légumineuses sont nombreux aux yeux de la FAO, l'Agence des Nations unies en charge de l'alimentation et l'agriculture. L'année internationale qui leur est consacrée vise à sensibiliser l'opinion publique aux avantages nutritionnels des légumineuses. La FAO espère aussi profiter de cette célébration pour favoriser des rapprochements au sein de la filière de manière à mieux exploiter les protéines issues des légumineuses, à renforcer leur production à l'échelle mondiale, à tirer un meilleur parti de la rotation des cultures et à résoudre leurs problèmes commerciaux. Si la culture des légumineuses est très ancienne(1), dans de nombreux pays, elles jouissent d'un prestige bien moindre que celui des céréales. Le pain en Europe, le riz en Asie ou le maïs en Amérique latine sont la base de l'alimentation et, plus encore, des symboles culturels. Au cours des 50 dernières années, alors que les productions de maïs, blé, riz et soja s'envolaient, celle des légumineuses avançait à pas lents. Entre 1961 et 2012, les progrès techniques ont conduit à des gains de l'ordre de 200 à 800 % pour les céréales contre seulement 59 % pour les légumineuses.

La consommation

Dans leur ouvrage « Le guide terre vivante des légumineuses »(2), les coauteurs Pascal Aspe, Claude Aubert et Blaise Leclerc dressent un état des lieux de la consommation. C'est en Afrique centrale, avec des moyennes de 100 à 150 grammes par jour, qu'elle est la plus élevée. Suivent l'Amérique latine (60 à 70 g) ou encore l'Inde. En Europe, les pays méditerranéens, producteurs de fèves ou pois chiches, ont logiquement conservé une consommation non négligeable mais, en France, elle s'est écroulée, passant de 50 g/jour à la fin du XIXème siècle à 10 g aujourd'hui. Indigestes, longs à cuire, les légumes secs ont parfois mauvaise réputation. Chacun se souvient, sans plaisir, des fameux « fayots de la cantine ». Mais il faut chercher ailleurs les raisons de ce bouleversement alimentaire. La baisse lente mais régulière de la consommation des légumineuses, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, est corrélée directement à la hausse de la consommation de produits laitiers et de viande. À mesure que les pays s'enrichissent, les populations délaissent les protéines végétales pour consommer des sources de protéines plus chères d'origines animales. Cette tendance ne devrait pas s'inverser. La consommation de légumineuses par habitant devrait se maintenir à environ 7 kilos par personne par an (moyenne mondiale), selon les estimations de la FAO.

Des débouchés à l'export

Pour autant, la demande en légumineuses ne devrait pas chuter. Pour une raison simple, l'accroissement de la population mondiale se poursuit à un rythme qui dépasse celui de la production agricole. En d'autres termes, les agriculteurs ne cultivent pas suffisamment de légumineuses pour répondre à cette demande croissante. En Inde et en Chine, ce phénomène est déjà perceptible. La Chine est récemment passée d'exportateur net à importateur net de légumineuses, et l'Inde – le plus grand producteur et importateur mondial de légumineuses – est confrontée à des hausses massives des prix des légumineuses suite à une mauvaise récolte.
En France, actuellement, le débouché principal du pois protéagineux est l'alimentation animale (75 % de la production), mais les débouchés en alimentation humaine se sont fortement développés dans les années 2000, surtout à l'export (Inde entre autres), alors que l'offre nationale se réduisait fortement. Sur le marché national, la demande est tirée par les nouvelles tendances de consommation (vegan, sans gluten) mais elle demeure relativement modeste.

Innovation et politique publique sont indispensables

Dans un colloque organisé par le ministère de l'Agriculture et l'Inra, le 14 décembre dernier, Marie-Benoît Magrini, économiste à l'Inra, estimait que « les deux leviers majeurs à actionner » pour favoriser le développement des légumineuses en Europe étaient « les politiques publiques et l'innovation. Les légumineuses ont subi un rapport de compétitivité défavorable, renforcé par un verrouillage technologique en faveur des céréales européennes et du soja importé ». Et de s'interroger. « Le prix du marché révèle-t-il la vraie valeur des légumineuses ? » Sachant que le rendement des céréales est toujours amélioré lorsqu'elles sont semées à la suite d'une année de légumineuses sur la parcelle. Les enjeux sont forts pour la filière « légumineuses fourragères » (augmentation de la production, relèvement de la teneur en protéines des rations alimentaires), notamment pour répondre aux besoins en alimentation bio du cheptel mono gastrique. Ils le sont aussi pour la filière alimentation humaine signale l'Inra puisqu'à ce jour 70 à 80 % des légumes secs sont importés. Il faudra donc augmenter et diversifier la production de protéines végétales, ce qui demandera des investissements en recherche (amélioration variétale...) dont ces filières ont peu bénéficié jusqu'ici car considérées comme mineures. L'Année internationale des légumineuses pourrait ainsi favoriser la mise en place de nouveaux projets de recherche et de développement, et au final, augmenter la disponibilité des légumineuses pour satisfaire la consommation mondiale. 

(1) On retrouve la trace de culture de haricots, féveroles et pois en Israël ou en Mésopotamie près de 10 000 ans avant notre ère ; ainsi que dans la Bible, quand Esau, de retour de la chasse, abandonne son droit d'aînesse à son frère Jacob en échange d'un plat de lentilles.
(2) Édition terre vivante, Mens, février 2016.
283 pages.

 

Potentiel / Le Centre-Est, de Auvergne Rhône-Alpes à la Bourgogne Franche-Comté, cultive aujourd’hui quelques centaines d’hectares de légumes secs à destination de l’alimentation humaine. Des cultures qui pourraient se développer car la demande s’amplifie.

L’Est de la France pourrait absorber une production de 100 000 en plus de soja non OGM.
La culture des légumes secs se développe

Les légumes secs ont le vent en poupe dopé par leurs bienfaits alimentaires. Ils font la Une des magazines de cuisine et de régime. La FAO leur consacre même une Année internationale. Lentilles, pois chiche, fèves, soja, pois, etc. on les cultive depuis plusieurs millénaires en Europe et en Méditerranée. Dans une rotation agricole, ces cultures de légumineuses permettent d’apporter de l’azote pour les suivantes, en plus d’un nouveau débouché. Cependant, en Rhône-Alpes, Bourgogne et Franche-Comté, leur culture est faiblement développée même si les surfaces progressent globalement d’une année sur l’autre, du fait d’une demande de plus en plus forte.
Parmi les légumes secs, la lentille était cultivée et consommée en France avant l’Antiquité. Depuis la fin des années 90, son développement est une tendance de fond. On ne comptait en 1997 que 4 000 hectares de surfaces cultivées contre près de 16 600 en 2015, presque uniquement en lentilles vertes. La Haute-Loire en produit sur plus de 3 800 ha, commercialisés via l’AOC Lentilles vertes du Puy, et le Berry cultive plus de 4 000 ha pour une lentille verte label rouge. Malgré cette hausse de la production française de lentilles, le pays continue d’importer près de la moitié de ses besoins, essentiellement en lentilles blondes et en lentilles destinées à la fabrication de conserves. En Rhône-Alpes, la production de lentilles est assez faible avec un peu moins de 100 ha. Elle est un peu plus développée en Bourgogne Franche-Comté avec 325 ha. Autre légume sec, le pois chiche très consommé dans le bassin méditerranéen. Le Centre-Est n’en compte que 140 ha. Cette culture est bien plus développée dans l’Hérault et le Gers, avec plus de 3 200 ha en 2015.
Le soja, un beau potentiel
Si ces cultures concernent de plus en plus d’hectares à l’échelle nationale, leur développement dans le Centre-Est est limité pour différentes raisons. « La féverole et dans une moindre mesure les pois craignent les coups de chaud et la sécheresse, explique Hubert Hebinger de l’institut technique des oléoprotéagineux, Terres Inovia. Ils sont donc assez peu adaptés aux conditions climatiques de Rhône-Alpes, Bourgogne et Franche-Comté. Pour le pois chiche, une filière s’est développée assez tôt dans le Sud de la France, avec une perspective d’export vers le bassin méditerranéen qui en est grand consommateur, mais elle n’est pas remontée plus loin. Enfin, la filière de la lentille verte du Puy est très proche et rayonne largement sur Rhône-Alpes et autour, rendant difficile la création d’une autre filière lentille. » Quelques agriculteurs cultivent un peu de lentilles qu’ils valorisent en vente directe car elle ne demande pas de matériel spécifique par rapport à une céréale. C’est le tri des grains qui peut ensuite être consommateur de temps.
Pour Hubert Hebinger, c’est la filière soja qui présente le meilleur potentiel en Rhône-Alpes parmi les légumes secs à destination de l’alimentation humaine. « Il faut un outil de transformation pour valoriser le soja qui n’existe pas en Rhône-Alpes, ni en Bourgogne Franche-Comté à ma connaissance. En Alsace, il y a, en revanche, une filière structurée avec une usine de transformation. Leur besoin en graines dépasse la capacité du bassin de production alsacien, ce qui les a amenés à passer des contrats jusqu’en Rhône-Alpes. » L’itinéraire technique n’est pas très différent d’un soja destiné à l’alimentation animale. Ce qui est aussi déterminant, c’est la partie récolte et post-récolte. Il faut des graines de grande qualité, avec très peu d’impuretés. D’après Hubert Hebinger, l’Est de la France pourrait absorber une production de 100 000 ha supplémentaires en soja non OGM à destination des industries agroalimentaires.

C. P.