Accès au contenu
Réglementation

Les louvetiers, ces bénévoles au service de l’agriculture

Depuis le 1er janvier 2025, la louveterie de la Drôme regroupe 27 volontaires répartis sur chaque circonscription.

Par M.E.
Les louvetiers, ces bénévoles au service de l’agriculture
ME-AD26
Le Gaec de la Chauméane, à Combovin, a déjà fait plusieurs fois appel aux louvetiers pour des problématiques de prédation ou de dégâts sur ses cultures.

Le Corps de la louveterie a été créé sous Charlemagne, au IXᵉ siècle. La louveterie a obtenu une reconnaissance officielle en 1520. Aujourd’hui, c’est le code de l’environnement qui l’encadre. Le préfet nomme les lieutenants sur proposition du directeur de la direction départementale des territoires (DDT) et sur avis du président de la fédération départementale de chasse et du président de l’association des louvetiers. Un mandat dure cinq ans. Renouvelée en 2025, l’équipe drômoise se compose de 27 bénévoles présents sur chaque circonscription.

Les sangliers dans le viseur 

Les louvetiers concourent à la destruction d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) et gèrent parfois des opérations de régulation. Les dégâts de sangliers aux cultures représentent la majorité de leurs interventions. « Ils grattent la terre, notamment au moment des semis ou des récoltes et, à ces moments-là, la chasse n’est pas toujours autorisée, précise Sarah Gagnard, cheffe du pôle espaces naturels à la DDT de la Drôme. Cette année, nous observons aussi d’importants dégâts de cervidés ». Elle fait référence au « mitage du territoire et à l’urbanisation qui poussent les animaux à se loger dans des zones périurbaines où les actions de chasse ne sont pas possibles car trop proches des habitations ou des routes ».

 

Un arrêté préfectoral fixant le classement des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts et leurs modalités de destruction par les particuliers pour la saison cynégétique 2025-2026 a été soumis à la consultation du public. ©AD26

À noter, à la marge le louvetier peut intervenir sur une collision routière si un animal est mis en cause. «  Le préfet a pris un arrêté qui indique que le lieutenant sortira uniquement si les forces de l’ordre sont présentes. Il faut aussi s’assurer qu’aucun centre de soin pour animaux ne puisse prendre en charge l’animal blessé », précise Sarah Gagnard.

Un statut réglementé

L’intervention du louvetier se déroule dans le cadre d’un arrêté préfectoral. Pour être assermenté, le louvetier doit prêter serment devant le juge du tribunal de grande instance. Ainsi, il peut dresser des procès-verbaux. Comme un policier, sa parole est probante. En cas de négligence, de faute grave ou d’abus : la commission peut être retirée par motivation du préfet. Le lieutenant a un statut de collaborateur bénévole de l’administration. Il ne reçoit pas de salaire pour ses actions.

Le louvetier agit à 90 % en lien avec les agriculteurs. Il est aussi habilité à constater une infraction au titre du code de l’environnement ou de la chasse. Pour être louvetier, il faut être titulaire d’un permis de chasse valide depuis plus de cinq ans, avoir un casier judiciaire vierge, être âgé de moins de 75 ans et posséder une certaine connaissance du monde cynégétique.

Intervenir en cas d’attaque de loup 

La louveterie fonctionne comme une association. Elle a récemment été restructurée, notamment en raison du « gros pic de prédation » observé en 2022. « Il y avait la nécessité de réagir beaucoup plus vite. Auparavant, les armes étaient centralisées en plaine de Valence. Cela demandait une grande réactivité pour les déployer sur le territoire », explique Sarah Gagnard. Dans le cadre du Plan national loup, qui a pris fin en 2024 et a été renouvelé, la louveterie compte six référents loups en Drôme. La porte d’entrée reste la DDT, si le préfet donne son feu vert, le référent de la zone coordonne une action.

À ce jour, le protocole implique que tout éleveur qui subit une attaque doit en premier lieu appeler le « répondeur loup », géré au pôle espace naturel de la DDT, au 04 26 60 81 73. La messagerie est relevée plusieurs fois par jour. Si la DDT découvre un signalement le matin, « dans 99 % des cas, dès le soir, le louvetier peut intervenir », précise Sarah Gagnard. La DDT appelle l’Office français de la biodiversité pour l’intervention d’un agent chargé de venir constater les dégâts sur place. L’éleveur doit réaliser un signalement dans les 72 heures suivant l’attaque. Toutefois, s’il n’est pas sur place et constate des dégâts après ce délai, il est aussi invité à les déclarer à la DDT. Toutefois, un agent « constateur » ne peut réaliser une autopsie que dans les cinq jours suivant l’attaque. L’OFB autopsie les animaux vivants ou morts et transmet son compte-rendu d’autopsie à la DDT afin qu’un potentiel dossier d’indemnisations soit instruit. 

Autorisations de tirs

Lorsqu’un éleveur appelle, la DDT vérifie s’il possède une autorisation de tir de défense. Cette autorisation est délivrée par autorisation préfectorale à la demande des éleveurs et renouvelable tous les cinq ans pour les élevages ovins et caprins. Un éleveur sans permis de chasse peut aussi déléguer l’autorisation à un chasseur si l’arrêté le permet. Environ 200 éleveurs bénéficient de cette autorisation dans la Drôme. Les tirs de défense viennent en complément des mesures de protection (filet mobile électrifié, chiens de protection, berger…).

Le service de l’agriculture à la DDT actualise les cercles de protection, basés sur les données rapportées par les éleveurs. Ces cercles, qui évaluent le risque de prédation, permettent aussi de classer les communes vulnérables et les moyens de protection à privilégier. À noter, un appel à projet pour obtenir des aides, selon le classement de sa commune, est accessible sur le site du ministère de l’Agriculture jusqu’au 31 juillet.

« Sans louvetier, nous sommes morts »

En dix ans, les éleveurs du Gaec de la Chauméane sont passés de un à quinze chiens de protection.

 

Pour protéger ses troupeaux de brebis, le Gaec de la Chauméane a recours aux chiens de protection depuis 2016. ©ME-AD26

Pour protéger ses troupeaux de brebis, le Gaec de la Chauméane a recours aux chiens de protection depuis 2016. Adrien Vigne, installé depuis 2018 avec son père Franck, gère 400 ovins. En moins de dix ans, les éleveurs sont passés de un à quinze chiens de protection. Antonin Vigne, à la tête d’un troupeau de 200 brebis, compte quant à lui cinq chiens. La Gaec possède aussi un troupeau de 85 vaches mères…. Difficile à protéger.

« Fin 2024, nous avons eu une attaque sur un veau. La prédation favorise le développement de troubles et de stress sur nos vaches, racontent les éleveurs. Il y a aussi le sanglier, c’est un vrai fléau car il ravage nos récoltes de céréales et nos prairies. Sans louvetiers, nous sommes morts. Ils interviennent rapidement et nous pouvons toujours compter sur eux. Nous pouvons leur tirer nos chapeaux ». 

Des éleveurs démunis 

Pour contrer la prédation du loup sur les bovins, la famille Vigne a changé sa méthode de vêlage. « Ça produit une surcharge de travail car nous devons faire vêler 85 vaches en intérieur. Ça nous a demandé toute une réorganisation. C’est aberrant car les animaux ne veulent même plus aller dehors », rapportent les éleveurs. Ces derniers déplorent aussi les difficultés rencontrées avec le voisinage ou les touristes avec la présence de leurs chiens. Aussi loin que se souvienne Franck Vigne, âgé de 56 ans, la ferme a toujours fait appel aux louvetiers, notamment pour gérer la population de sangliers. 

« À Gigors-et-Lozeron, nous avons deux parcelles avec 50 % de dégâts. Nous n’avons même pas demandé d’indemnisations car elles sont souvent très insuffisantes. On peut observer jusqu’à 50 cochons envahir les champs, témoignent les éleveurs. Pour faire appel aux louvetiers, il faut souvent montrer patte blanche. C’est difficile d’avoir les accords de toutes les parties. Sans parler du fait que les louvetiers ne sont pas indemnisés pour venir, on est gênés de les solliciter ». Pour se protéger des dégâts, les agriculteurs clôturent leurs terres mais cela leur ajoute une charge de travail. « Nous devons couper l’herbe et sans cesse réparer les clôtures. Les cervidés nous bousillent tout », rapportent les Drômois. 

Louveterie : Trois questions à Patrick Desestrets, président de la louveterie de la Drôme.

« En tant que médecin, je vois des agriculteurs dans des états vraiment effrayants, totalement excédés. C’est très difficile », rapporte Patrick Desestrets, président de la louveterie de la Drôme. ©ME-AD26

 

Vous êtes médecin de métier mais aussi bénévole et président de la louveterie de la Drôme. Comment êtes-vous devenu louvetier et quelles sont les qualités nécessaires pour en assurer les missions ? 

Patrick Desestrets : « Je suis chasseur depuis mes 16 ans. Mes grands-parents étaient agriculteurs et j’ai grandi dans la campagne. J’ai connu la louveterie à travers d’autres collègues chasseurs. Je suis maintenant bénévole depuis six ans. En tant que louvetier, les interventions peuvent être chronophages. Cette activité demande beaucoup d’entraînement pour manipuler le matériel et maîtriser les tirs. Selon moi, les qualités nécessaires sont l’efficacité, la modération et l’engagement. Nous agissons dans un cadre légal qu’il est primordial de respecter. »

Quelles difficultés pouvez-vous rencontrer lors des interventions ? 

P.D. : « Peu importe la météo, nous intervenons selon les disponibilités de chacun, nous nous arrangeons. Parfois, nous restons toute une nuit à l’autre bout du département et, le lendemain, le travail peut être difficile car nous n’avons pas dormi. Ça peut durer 24 heures. Nous aimerions être équipés de matériels de meilleure qualité. Nous sommes parfois contraints d’utiliser nos matériels personnels. Par exemple, c’est nous qui achetons nos balles et cela représente un coût important. Ce qui est difficile, c’est aussi de voir la détresse impressionnante dans laquelle se trouve les éleveurs. Notre présence leur apporte du soutien. En tant que médecin, je vois des agriculteurs dans des états vraiment effrayants, totalement excédés. C’est très difficile. » 

Comment se déroulent vos interventions ? 

P.D. : « L’an passé, nous avons eu près d’une centaine d’interventions pour le loup. Lorsque nous venons sur place, après accord de la préfecture et de la DDT, nous nous installons soit au milieu du troupeau soit à proximité. Les missions avec les bovins sont plus compliquées et moins nombreuses car les autorisations sont moins souvent délivrées. Dès que nous tirons sur un loup, nous appelons pour prévenir l’Office français de la biodiversité. Si un loup est blessé, nous partons à sa recherche. Le sanglier représente la plus grosse partie de notre activité. Le pire maintenant, c’est le péri-urbain avec les risques de collision et la proximité des habitations. C’est difficile d’organiser des battues dans ces zones-là. Nous développons donc le piégeage de sangliers avec des cages. »